Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n’entend rien. Dixit Pascal.
Un article du Monde renvoie à deux textes qui traitent du numérique, l’un, par le philosophe allemand Peter Sloterdijk, l’autre signé par l’ancien directeur des systèmes informatiques de Renault, Jean-Pierre Corniou. Le premier se concentre sur les effets de la mobilité, de la rapidité et du culte du changement, emblématiques d’une société numérique envahie par des outils dits sociaux et qui ne valorisent que l’accès, la présence et, en fin de compte, le mouvement. Le second voit un changement radical dans le passage vers l’intelligent dans le numérique, passage qui a le potentiel de modifier radicalement l’individu, le rationnel et l’humain tout court.
Dans ces deux scénarios, on retrouve la nostalgie d’une autre époque (tout en se rappelant bien sûr que le mot « époque », pour citer Bossuet, l’auteur d’un livre sur la variation et la fixité [Histoire des Variations des Églises Protestantes], vient « d’ un mot grec qui signifie s’arrester, parce qu’ on s’arreste là pour considerer comme d’ un lieu de repos tout ce qui est arrivé devant ou aprés, et éviter par ce moyen les anachronismes, c’est à dire, cette sorte d’erreur qui fait confondre les temps. ») et la promesse d’une nouvelle rationalité et surtout d’une nouvelle intelligence ancrée dans l’interface de l’humain et du numérique. Bossuet nous avertit contre la « confusion » des temps. C’est dire qu’il ne faut point refuser de voir ce qui est notre réalité, certes de plus en plus marquée par le numérique et ses effets multiples.
L’ordre des machines intelligentes fragilise l’humain tout en offrant à la société de nouvelles perspectives et de nouveaux savoirs. Mais le numérique nous invite en même temps à penser la nature de l’intelligence, ses rapports intimes avec l’humain et le social. La culture numérique, dans ses usages et pratiques actuels, semble bien s’éloigner d’un ensemble de notions et de conceptions clés héritées des Lumières et du 19ème siècle (ici on peut parler de littérature, de l’auteur, etc.), mais en retrouvant d’autres qui sont plus proches des pratiques courantes durant la Renaissance et le 17ème siècle. Oubli et dépassement, mais aussi reprise et déplacement : telle est la nature même de cette culture numérique qui devient de plus en plus notre culture. C’est le risque de notre présent mais aussi le défi de notre courage et notre engagement. Une lecture patiente et informée de l’environnement numérique trouverait sans difficulté des modèles culturels et lettrés au cœur même de cette aventure qu’est le numérique, modèles qui peut-être pourront rassurer les inquiets et calmer les enthousiastes.