Un débat récent entre Bruce Schneier et David Brin nous offre l’occasion de revisiter une question soulevée par la banalisation des nouvelles méthodes de surveillance, leur déploiement de plus en plus important dans les pays européens comme aux États-Unis, pour ne rien dire de la Chine et du Japon, grâce à la technologie numérique. Brin, physicien et auteur de nombreux romans de science-fiction, a aussi publié un très beau livre, The Transparent Society, dans lequel il plaide pour une “transparence” dans nos sociétés actuelles soumises à certains usages du numérique, concept ancrée selon lui dans la tradition des Lumières et de sa philosophie d’ouverture, de changement et d’apatation et, surtout, dans le rôle que peuvent jouer les citoyens ordinaires face à la concentration du pouvoir aux mains d’une élite. Schneier, spécaliste de la sécurité informatique, par contre, trouve cet argument faible et même “mythique” et plaide pour un contrôle citoyen de la croissance presque sans limites de la surveillance sans justification préalable ni supervision judiciaire cohérente.
D'une part, un pari sur le rôle de la réciprocité et de la responsabilité qu'elle implique; de l'autre, un plaidoyer pour un pouvoir relatif, sous la vigilance des citoyens. Deux modèles on ne peut plus différent du rôle de l'activité citoyenne etd e ses rapports avec l'état.
L’intérêt de cette polémique est multiple: quel est le statut du “privé” et du “confidentiel” face à une technologie qui est en train de modifier les usages sociaux et politiques des informations sur les personnes, leurs déplacements et leurs communications? Comment penser la mutation radicale dans le statut de l’espace public de plus en plus caractérisé par ce qu’il peut savoir sur l’individu? Mais au-delà de ces questions, il me semble qu’il faut réfléchir au statut même de l’information dans le carde de ses usages potentiellement abusifs par les autorités politiques et policières. Dans le cas du Royaume Uni, on a pu parler d’une “société de surveillance” (pour un exemple américain, voir le rapport publié par le ACLU en Californie). La culture numérique donne lieu à de nouvelles pratiques et à de nouveaqux usages de l’information qui peuvent, suivant les outils et les méthodes, devenir de nouveaux savoirs. Mais ces savoirs ne sont pas toujours nécessairement pour le meilleur. Il faut, bien-sûr, se méfier d’un optimisme utopique ou d'un simple rejet des nouvelles technologies, mais il faut aussi penser aux façons de faire véhiculer le potentiel négatif de la technologie vers des formes de résistance et d’absorption, vers des déplacements qui permettent de mieux maîtriser les conséquences de cette nouvelle sociabilité mise en place par le numérique.
L’enjeu est énorme, car il concerne le statut juridique de l’individu dans nos sociétés dites de savoir. Comment définir la protection des données confidentielles de l’individu tout en prenant en compte les avantages d’une numérisation presque inévitable? Comment permettre une liberté dans un cadre où tout mouvement, toute présence dans l’environnement numérique sont sujets à un stockage et accès par les fournisseurs, par les services de sécurité comme, potentiellement, par les Hackers?
La transparence reste un argument puissant, mais elle aura besoin d’une compétence numérique qui, pour l’instant, nous manque.