Personne ne comprend vraiment la stratégie d'Emmanuel Macron. Veut-il laisser le RN aux commandes pour montrer le chaos que ce parti peut déclencher ? Veut-il préparer sa succession en 2027, en présentant son successeur comme un sauveur ? Etait-ce un coup de poker inconsidéré et mal calculé ? Ou un autre symptôme de l'hybris présidentielle ? Pour ma part, j'ai tendance à le considérer comme trop intelligent et informé pour faire une bêtise pareille. Évitons de le sous-estimer.
Toujours est-il que se dégagent trois tendances. Le bloc des gauches, provisoirement uni et rebaptisé "Nouveau Front Populaire", qui était un soulagement pour le moindre de ses militants ; le bloc du centre, qui a embarqué depuis 2017 ce que la France comptait d'opportunistes unis par peu de chose, sinon par le fait de tout devoir à Emmanuel Macron ; le bloc d'extrême droite, qui agrège désormais une partie des cadres de LR, le RN et les fugitifs de "Reconquête".
Ensuite, plusieurs hypothèses. La minorité présidentielle ne gouvernera probablement pas. Le RN pourrait obtenir une majorité relative, tout comme le NFP. A quoi ressemblera la suite ? Il est improbable que le RN obtienne une majorité absolue ; aussi devra-t-il gouverner avec les autres ; de même, le NFP n'aura sans doute qu'une majorité relative, s'il en a une. Nous sommes dans un scénario de western, qui n'est pas encore l'impasse mexicaine, mais qui pourrait le devenir.
Comment ces trois partis gouverneront-ils ? L'extrême centre jette l'anathème sur les deux autres mais n'est plus en mesure d'imposer ses choix ; l'extrême droite et les gauches se vouent une détestation mutuelle... Dans ce cadre, les dernières années du président Macron seront soit un moment d'intense chaos, de blocage à l'assemblée et de tensions sociales, soit un moment de révélation.
Dans la première hypothèse, qui me semble la plus probable, le premier problème sera de constituer un gouvernement. Avec qui dedans ? Ce blocage me rappelle ce qu'on a pu voir aux Pays-Bas, en Belgique, etc. Le second problème sera de gérer des affrontements constants entre des partis qui se détestent. Je suis jeune ; mais j'ai vu ce que c'était que la politique du temps du Parti Socialiste et de l'UMP. C'étaient des invectives à fleurets mouchetés entre gens qui, au fond, appartenaient à la même caste et partageaient la même culture politique. Je ne crois pas que trois partis se soient détestés à ce point, que l'entente ait été à ce point difficile, que les coups de mentons autoritaires (du goût des sanctions de Yaëlle Braun-Pivet à la présidence de l'Assemblée nationale) aient été aussi nombreux, bref, qu'on ait eu trois acteurs aussi dissemblables dans l'Assemblée nationale. Je m'imagine aussi la possibilité de voir le président destitué avant la fin de son mandat, procédure dont les contours me semblent élastiques et qui ne semble pas avoir de précédent.
Dans l'autre hypothèse, un des blocs, probablement celui du centre, se dévoierait ou accepterait la cogestion pour débloquer la situation. Aussi je suis plutôt pessimiste : si cette union dans la douleur devait se faire, elle joindrait le centre à l'extrême droite plutôt qu'à la gauche. La minorité présidentielle est anti-sociale, anti-écologiste, autoritaire, xénophobe, atlantiste et attentiste sur le dossier du génocide israélien ; sur l'école, l'autorité, la jeunesse, on l'entend seriner depuis des années des grossièretés réactionnaires qu'on n'aurait pas entendues il y a quinze ans. Où seront ses meilleurs alliés, entre la gauche qu'il fuit, et l'extrême droite qu'il suit, et qui, elle-même, en recherche de respectabilité, a voté des lois avec le camp Macron ? Bref : si union il y a, je frémis déjà de la voir advenir.
Dans tout cela, je pense à une phrase du politicien machiavélique Littlefinger, dans la série Le Trône de fer : le chaos est une échelle. Oui : à aucun moment davantage que dans ce chaos, les digues n'auraient été plus à même de céder. Échelle pour l'extrême droite, qui a débauché le président des Républicains en personne et achevé le rival Reconquête ; Meyer Habib, l'extrémiste pro-israélien, rejoint le pôle raciste et réactionnaire. Échelle pour l'extrême centre, qui a éliminé son principal concurrent à droite : la droite gaulliste est dissoute, divisée et en proie à des luttes intestines qui ne lui permettront pas de survivre. Mais serpent pour la gauche, qui reprend ses vieux déchets (merci Hollande), qui se divise (merci Mélenchon), qui se rétracte (25% pour toute la gauche selon les premiers sondages).