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Billet de blog 18 mars 2021

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Macron: mes connaissances, au risque de la méconnaissance

Le talent du privé, l'argent public. À propos de la «bonne gestion» de la crise sanitaire, et de son traitement médiatique. Comment des organes de presse en viennent à décerner l'agrégation d'immunologie à Emmanuel Macron, et ce que cela dit de son pouvoir.

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Interrogé à l'Assemblée nationale le 09/02 lors des questions au Gouvernement sur les missions confiées au cabinet de conseil McKinsey, Olivier Véran répliquait : "Oui, monsieur le député, on a du talent dans le privé ! On a du talent dans le secteur privé, comme dans le secteur public'', et d'assurer derechef : "Je vous proposerais bien volontiers de passer à mon ministère. [...] Vous observerez le rôle du cabinet de conseil sur lequel vous m’interrogez. Ce rôle ne concerne pas du tout la conduite de la stratégie vaccinale''. Trois jours plus tard, il lançait "ce serait sale parce que c'est privé ?'' en commission.

Le 10/02, France Inter rapportait les confidences d'un ministre anonyme : "[Emmanuel Macron] va finir épidémiologiste, les chiffres lui donnent raison'' et d'un conseiller de l'Élysée tout aussi anonyme : "[Il] s'est tellement intéressé au Covid qu'il peut challenger les scientifiques, poser les questions qui les déstabilisent''. Le 23/02, c'est Le Parisien qui nous livrait quelques confidences. Emmanuel Macron lirait "bien évidemment la très sérieuse revue médicale britannique The Lancet, les publications du British medical journal, les études des chercheurs de Stanford, ou les analyses du Journal of the American Medical Association'' au point qu'il a "entièrement épluché'' une étude anglaise que son conseil scientifique connaissait mais n'avait pas encore car "elle n'est pas traduite''. "Ce qu'il a envie d'étudier, c'est autre chose que ce qu'il n'a pas encore vu et entendu'', rapporte un proche anonyme du Président tandis que Richard Ferrand, le troisième personnage de l'État, déclare qu'"un jour, il pourra briguer l'agrégation d'immunologie''. Encore trois jours, et le journal Les Échos rapportait que l'Élysée avait "laiss[é] fuiter'' la découverte par le chef de l'État d'un traitement à base d'anticorps monoclonaux "dans une étude scientifique que ses experts médicaux n'avaient pas pris la peine de relever''. Le Figaro nous annonçait déjà le 24/02 qu'Emmanuel Macron s'intéressait depuis janvier à ces traitements "[j]uste après être tombé sur une étude par hasard, au gré de l’une des lectures scientifiques dont il est devenu coutumier''.

Par où commencer ? L'agrégation est un concours s'accompagnant d'une validation pratique dans le but de devenir enseignant du secondaire ou du supérieur. À ce titre, l'obtention de l'agrégation sanctionne une compétence générale d'enseignement d'une discipline à un haut niveau. Il n'y a donc pas d'agrégation d'immunologie, pas plus qu'il n'y a d'agrégation d'histoire de l'Antiquité ou de topologie. Tout au plus l'immunologie est-elle un des huit chapitres au programme de l'écrit de l'agrégation biochimie génie biologique. J'encadre ce semestre, comme tous les ans depuis que je suis enseignant-chercheur, un projet d'initiation à la recherche en L3. L'article sur lequel planche mes étudiants n'est pas traduit. Cela ne leur pose aucun problème (du reste, ce commentaire particulièrement grotesque sur la non-traduction de l'étude a été supprimé de l'article dans une modification datée du 24/02, sans que les lecteurs de l'article après cette date ne soient informés de la nature de la modification).

Faire un travail de bibliographie scientifique, ce n'est pas "lire tout'', et surtout pas faire un ridicule name dropping de revues scientifiques prestigieuses. On a du mal, pour les mêmes raisons, à comprendre précisément le sens des phrases "ce qu'il a envie d'étudier, c'est autre chose que ce qu'il n'a pas encore vu et entendu'' et "il peut challenger les scientifiques''. Mais si elles ont pour intention de suggérer qu'Emmanuel Macron cherche des idées non-conventionnelles, il faut noter à quel point cette attitude est antithétique d'une revue scientifique de la littérature : a priori, qu'une étude vienne contredire la majorité des autres n'est pas spécialement le signe qu'elle contient une nouvelle idée géniale. Il est marginalement possible, bien sûr, qu'une étude intéressante sur un traitement prometteur ait échappé aux conseillers scientifiques du Président, qui l'aurait lui remarquée. Cela ne fait que souligner l'inanité de la méthode consistant à s'appuyer sur un conseil restreint et non sur une communauté scientifique dans son ensemble. En l'espèce, une efficacité statistiquement significative quelconque du Bamlanivimab, le traitement "décel[é]'' par Emmanuel Macron, reste à établir et les résultats préliminaires ne sont guère encourageants, c'est le moins que l'on puisse dire. Beaucoup mieux établis sont en l'occurrence les liens entre la directrice des nouveaux produits de l'entreprise qui commercialise ce traitement en France et Emmanuel Macron : cette directrice, Béatrice Cazeneuve, est l'épouse d'un député LREM, Jean-René Cazeneuve, et la mère d'une part de l'adjoint au chef de cabinet de l'Élysée, Pierre Cazeneuve, d'autre part d'une conseillère santé de l'Élysée et du Premier Ministre, Marguerite Cazeneuve.

Le 25/02, les Français purent juger en direct du niveau réel atteint par l'exécutif en termes de compréhension scientifique de l'épidémie et de maîtrise technique. Lors de son allocution devant les Français, Jean Castex présentait à un public éberlué une courbe du nombre de cas issue du site privé CovidTracker mais décalée dans le temps de 7 jours et suggérant une réduction de 30% par rapport aux chiffres réels (des internautes observateurs remarqueront que l'on obtient la courbe affichée si l'on réduit la taille de la courbe de CovidTracker par un glissement de souris sans penser à réduire les axes du même facteur - une erreur montrant la non-acquisition de compétences inscrites au programme de la classe de 4ème). Le Premier Ministre présenta également un graphique dont l'ordre des mois de l'année était incorrect, et une infographie trompeuse sur l'avancement de la campagne de vaccination chez certains de nos voisins européens dans laquelle la France était représentée par un drapeau Rouge, Blanc, Bleu. On ne sait pas si McKinsey a participé mais "on a du talent dans le secteur privé, comme dans le secteur public''.

Est-ce que McKinsey est sale parce qu'il est privé ? Selon le New York Times du 24/02, c'est en tout cas ce que pensent... les associés de ce cabinet de conseil. Pour la première fois depuis 1976, ils n'ont pas renouvelé le mandat de leur Global Managing Director suite au versement par la firme d'une amende de 600 millions de dollars pour son travail de conseil auprès des firmes pharmaceutiques responsables de la crise des opiacés, une crise sanitaire majeure dont on estime qu'elle a causé la mort prématurée de 500000 Américains ces 20 dernières années.

Reste l'assertion d'Olivier Véran selon laquelle le rôle de McKinsey "ne concerne pas du tout la conduite de la stratégie vaccinale''. La liste des contrats passés par l'État avec des cabinets de conseil privés mise à disposition de la commission des finances de l'Assemblée nationale comporte pourtant une ligne McKinsey datée du 08/12/20 et portant l'intitulé "Accompagnement de l'équipe interministérielle dans la définition d'une stratégie cible visant à doter l'ensemble du territoire français de doses de vaccins'', ce qui ne paraît pas tout à fait complètement dissemblable de la conduite de la stratégie vaccinale. 

Ce qui me frappe le plus dans chacun de ces événements est le fossé béant entre la réalité connue par quiconque a une familiarité même passagère avec le sujet et la représentation que le pouvoir ou les médias souhaitent donner à voir. Pourquoi mentionner l'agrégation, pour se ridiculiser en démontrant que l'on ne sait pas ce qu'est ce concours ?  Pourquoi vanter les talents scientifiques d'une personne dont la mission est de gouverner, pas de trouver de nouveaux traitements, pour finir avec des graphiques grossièrement falsifiés ? Pourquoi évoquer délibérément un sujet pour en étaler l'étendue de sa méconnaissance ? Comment en arrive-t-on par exemple à produire l'article du Parisien ? D'où vient la décision ? Du propriétaire du journal lui-même ? De son directeur de publication ? De son chef de rédaction ? De l'auteur de l'article ?

Examiner qui sont ces personnes pourra donner des éléments de réponse. Le Parisien, comme Les Échos, est une filiale du groupe Les Échos-Le Parisien et donc depuis 2015 la propriété du groupe LVMH, dont nul n'ignore que l'actionnaire majoritaire et directeur est Bernard Arnault. Bernard Arnault a publiquement soutenu Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle de 2017 et la presse fait régulièrement état de l'amitié personnelle qui le lie à Emmanuel Macron et son épouse. L'amitié est une chose, les services mutuels une autre : Brigitte Macron s'est investie en tant que "première dame'' dans L'institut des vocations pour l'emploi (Live), une initiative privée financée par LVMH. Surtout, le très proche conseiller d'Emmanuel Macron, Ismaël Émelien, a été recruté en octobre 2019 par LVMH pour prodiguer des conseils en "accompagnement stratégique, essentiellement sur les sujets liés à l’environnement'' selon Mediapart. Ce recrutement tombait à pic pour Emelien, car sa mise en cause dans la diffusion illégale d'images de caméras de vidéosurveillance dans le cadre de l'affaire Benalla rendait plus que précaire sa position de conseiller de l'Élysée. Notons qu'Ismaël Emelien, diplômé de l'Institut d'Études Politiques, publiciste chez Havas et membre des campagnes présidentielles de Dominique Strauss-Kahn et Emmanuel Macron, n'a aucun diplôme ni aucune expérience professionnelle ayant le moindre lien décelable avec les "sujets liés à l'environnement''. En revanche, il est parfaitement intégré aux réseaux les plus étroits d'En Marche puis LREM : Stanislas Guérini fut son témoin de mariage ; il travailla avec ce dernier, Cédric O, Benjamin Griveaux et Sibeth Ndiaye dans la campagne de Dominique Strauss-Kahn et envisagea en 2014 de créer une start-up avec Emmanuel Macron et Julien de Denormandie, avant qu'Emmanuel Macron ne soit nommé ministre par François Hollande. Si ce protégé d'Emmanuel Macron peut se féliciter d'avoir reçu une faveur de la part de LVMH, Bernard Arnault de son côté n'a pas à se plaindre des premières années du quinquennat Macron : sa fortune personnelle a été multipliée par quatre depuis 2016. 

Le groupe Les Échos-Le Parisien, comme bon nombre d'entreprises de presse, n'est pas viable financièrement. Loin de là. Selon Le Figaro, ses pertes nettes en 2018 s'élèvent à 90 millions d'euros, dont Wikipedia attribue environ 20 millions au seul journal Le Parisien. D'après le site data.gouv.fr, Le Parisien a reçu en 2018 environ 1 million d'euros d'aide publique à la presse, le reste des pertes étant a priori couvert par le groupe LVMH.

Le directeur de publication du Parisien et Président du groupe Les Échos-Le Parisien est Pierre Louette. Diplômé de l'Institut d'Études Politiques (comme Emmanuel Macron) et ancien élève de l'ENA (dito), il entre en 1989 à la Cour des Comptes. Ensuite, il aura une carrière exemplaire de zig-zag de chaque côté de la ligne entre public et privé dans le domaine des médias : le cabinet du Premier Ministre Édouard Balladur, France Telecom, Havas (comme Ismaël Emelien), LVMH (déjà), retour à la Cour des Comptes, Orange, le Conseil du numérique créé par Nicolas Sarkozy, et finalement le groupe Les Échos-Le Parisien. Le 22 novembre 2015, il est promu au grade d'officier de l'ordre national du mérite, sur proposition du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Un certain Emmanuel Macron.

Le 04/02, Pierre Louette a publié un livre chez Robert Laffont intitulé Des géants et des hommes et sous-titré Pour en finir avec l'emprise des Gafa sur nos vies. Le 05/03, le journal Les Échos en fera une recension très positive : c'est un ouvrage "percutant'', qui "fourmille de propositions très concrètes'' et qui "foisonne d'anecdotes'' ; grâce à "la richesse de son parcours professionnel'', l'auteur est un "observateur privilégié'' des questions "complexes'' qu'il aborde et "démonte avec acuité la mythologie'' des Gafa. La recension se termine avec une invitation à l'auteur d'écrire un nouveau livre. L'auteur de la recension note au passage que plusieurs des thèmes et propositions avancés par Pierre Louette "font, du reste, fortement écho aux initiatives récentes de l'Union européenne'' et tout particulièrement à l'"étape historique'' qui s'est jouée en décembre 2020 pour "la réaffirmation du primat de l'intérêt général et du rôle de la puissance publique'', "à la genèse [de laquelle] la France a grandement contribué'' et qui sera un "des objectifs majeurs dans la perspective de la présidence française de l'UE''.

Peut-être cet ouvrage est-il effectivement l'"analyse sans concession'' des grands groupes de l'informatique et d'Internet vantée par l'auteur de la recension, mais le moins que l'on puisse dire est que cette recension, elle, n'est pas totalement libre de l'influence des grands groupes économiques. Robert Laffont est une filiale, via Editis, du groupe Bolloré. Lorsque le groupe Bolloré a racheté Havas, Pierre Louette y travaillait. C'est donc un ancien employeur qui publie le livre. Puisque l'on parle d'employeur, cette recension paraît dans Les Échos, qui appartient au groupe Les Échos-Le Parisien. Groupe dont le président est Pierre Louette. Lorsque Les Échos publient cette recension, c'est donc l'ouvrage de leur patron qu'ils évaluent. Est-ce mentionné explicitement ? Voici une citation exhaustive de la partie pertinente : "[d]u cabinet d'Edouard Balladur à la direction du Groupe Les Échos-Le Parisien en passant par l'AFP, Orange ou encore Havas, Pierre Louette est...''. Le lecteur appréciera. Dans la mesure où Pierre Louette était au cabinet d'Édouard Balladur il y a plus de trente ans et qu'il a quitté l'AFP il y a plus de dix ans, je pense quant à moi que le lecteur non-informé serait excusé de penser que la direction du groupe Les Échos-Le Parisien fut une étape de la carrière de Pierre Louette et non sa fonction actuelle.

Mais d'ailleurs, qui est l'auteur de cette recension, qui encense ce livre et en profite pour souligner la portée "historique'' de la politique numérique de la France au niveau européen ? Il s'agit de Cédric O, l'actuel Secrétaire d'État chargé de la Transition Numérique et des Communications électroniques, et un des premiers membres historiques d'En Marche puis de LREM : camarade de promotion et ami de Stanislas Guérini de la promotion 2006 d'HEC, il a été comme nous l'avons déjà mentionné membre de la campagne de Dominique Strauss-Kahn avec Ismaël Emelien, Stanislas Guérini et Benjamin Griveaux. C'est le premier trésorier du mouvement En Marche. Pour le grand public, il est sans doute plus connu pour avoir piloté avec le succès que l'on connaît le développement et le lancement de l'application StopCovid, devenue depuis TousAntiCovid. Dans cette recension, l'organe de presse comme l'auteur réussissent donc l'exploit de vanter l'action de leurs deux patrons respectifs.

Depuis 2020, le directeur de rédaction du Parisien est Jean-Michel Salvator. Ancien du Journal du Dimanche, rédacteur en chef de la matinale d'Europe 1, ancien directeur délégué des rédactions du Figaro, et ancien directeur général adjoint puis directeur de la rédaction de la chaîne BFM Business et du site bfmtv.com, il a une carrière impeccable dans les grands médias d'information classés à droite ou proches du monde des affaires. Lorsqu'il est nommé en septembre 2020 au Parisien, son ancien employeur, Le Figaro, note sobrement que "l'une des premières missions de Jean-Michel Salvator consistera à accompagner les départs non contraints de 30 à 40 journalistes prévus par le plan de transformation''. Trois mois plus tard, Libération est plus direct : Salvator aurait "marqué ses anciennes rédactions par son management dur''. Le 05/03, les organisations syndicales représentant les journalistes du Parisien publièrent un communiqué pour se plaindre d'un éditorial signé Jean-Michel Salvator qu'elles jugent trop partial dans son traitement de la récente condamnation de Nicolas Sarkozy. Trop partial en faveur de Nicolas Sarkozy, faut-il le préciser.

Enfin, l'auteur de l'article du Parisien est Olivier Beaumont. Après des études à l'Université Picardie Jules Verne, à Amiens et à l'Université Paris I, Olivier Beaumont a travaillé comme journaliste, tout d'abord pour Paris-Normandie, puis au Parisien à partir de 2003. Il n'a jamais quitté ce journal depuis. Ceci implique la conclusion suivante, qu'il me paraît essentiel de mentionner explicitement : il est impossible qu'Olivier Beaumont ait pu parler d'"agrégation d'immunologie'' ou d'un Président qui "lit tout'' par méconnaissance personnelle du sujet. Il est impossible, en d'autres termes, qu'il se soit trompé de bonne foi ou qu'il ait été berné. À supposer même qu'à titre individuel il n'ait pas eu les compétences pour juger immédiatement de la plausibilité des propos qu'il a rapportés, son collègue au Parisien Nicolas Berrod fait un travail remarquable de veille et d'information sur l'épidémie de Covid-19. À supposer qu'Olivier Beaumont ait pu avoir le moindre doute, il lui aurait suffi d'un échange de deux minutes avec un collègue pour obtenir toutes les informations pertinentes. Mais revenons à la carrière d'Olivier Beaumont. À partir de 2007, il se spécialise dans la couverture des mouvements politiques et des campagnes électorales, en suivant tout d'abord Nicolas Sarkozy et François Fillon pendant la présidence Sarkozy, puis "la campagne de Marine Le Pen en 2012, [l]es primaires de l’UMP avec la bataille Copé-Fillon, le retour de Sarkozy, la défaite de Fillon, l’Affaire Pénélope, la couverture de l’Elysée, le suivi d’Emmanuel Macron et la Macronie'' selon une interview donnée à L'Observateur de Beauvais. Il est également l'auteur de deux ouvrages, tous les deux abordant le sujet politique sous l'angle intime et personnel : l'un consacré à la famille Le Pen, l'autre aux péchés capitaux en politique. Aussi bien pour sa carrière de journaliste que dans la rédaction de ses livres, Olivier Beaumont a dû et doit donc encore compter sur sa capacité à recevoir les confidences, parfois intimes ou mêmes embarrassantes, des personnalités politiques et de leurs proches.

Voici, dans un bref résumé, une liste des proximités financières, politiques, professionnelles ou même simplement amicales entre les cercles du pouvoir d'Emmanuel Macron et la chaîne de production de cet article du Parisien depuis le sommet - c'est-à-dire la propriété du gigantesque groupe dont dépend Le Parisien pour sa survie économique directe - jusqu'au dernier étage : la plume de l'auteur. Ces connivences, ces dépendances mutuelles, participent à ce que Noam Chomsky et Edward Herman ont appelé le troisième filtre du modèle de propagande, développé dans leur livre La manufacture du consentement : le poids des sources. Pour un conglomérat comme LVMH, un groupe comme Les Échos-Le Parisien, un journal comme Le Parisien et même un journaliste comme Olivier Beaumont, l'accès aux sources gouvernementales est une nécessité vitale : à cause de la commande publique et la politique économique, sociale et commerciale générale de la France pour le premier ; du poids des aides publiques et des sources gouvernementales pour le second et le troisième ; pour son travail quotidien pour le dernier. "Les médias sont entraînés dans une relation de symbiose avec de puissantes sources d'information par les nécessités économiques et leurs intérêts réciproques'' selon les termes de Chomsky et Herman. Dans une interview du 23/02 pour le journal Society, la journaliste Florence Aubenas rapportait sa propre expérience : "dans nos pays occidentaux, le gros problème n'est pas ce que l'on vous empêche d'écrire, mais ce qu'on vous demande d'écrire [...] Dix personnes qui vous disent ça, quatre qui vous appellent pour vous vendre un sujet génial, cette espèce de jeu de miroir permanent, de gentillesses''. Cécile Cornudet a au moins la franchise de l'écrire explicitement dans l'article des Échos annonçant la découverte par Emmanuel Macron du traitement Bamlanivimab. Cette information, c'est l'Élysée qui l'a "laissée fuiter, dans l'espoir que nous en tirions tous cette conclusion : Emmanuel Macron est créatif, il cherche''.

La genèse de cet article est donc sans doute en dernière analyse tristement banale. L'Élysée a choisi de diffuser une suite d'éléments de communication, et aussi bien Bernard Arnault que Pierre Louette, Jean-Michel Salvator ou Olivier Beaumont avaient un intérêt personnel et professionnel direct à accepter de la diffuser : intérêts économiques, relations personnelles et professionnelles tissées tout au long d'une carrière et manifestes même si l'on s'en tient à un intervalle de quelques semaines autour de la rédaction de l'article en question, désir de préserver ses sources... Le seul mystère, finalement, est peut-être le tracé exact des contacts : la densité des liens est telle que l'on est confronté à une surabondance d'hypothèses. Peut-être Cédric O a-t-il profité de ses contacts avec la rédaction des Échos au sujet de la recension de l'ouvrage de Pierre Louette pour glisser quelques confidences. Quelle importance ? "Dix personnes qui vous disent ça, quatre qui vous appellent pour vous vendre un sujet génial'' comme l'écrit Florence Aubenas. Tant pis si le message à transmettre est manifestement grotesque, à ce moment précis il est dans l'intérêt de toutes les parties prenantes de le diffuser.

Sauf bien sûr si l'on considère que le public est une de ces parties prenantes et que l'on tient en estime la mission d'informer d'organes de presse qui reçoivent annuellement des millions d'euros d'argent public, en principe pour soutenir cette fonction. Là se trouve peut-être la réponse à notre question initiale : comment en vient-on à écrire un tel article ? comment en vient-on à afficher la profonde méconnaissance de ceux-là même que l'on est censé exalter ? En choisissant de privilégier systématiquement les opinions, les prises de positions de son propre réseau (et les intérêts qu'elles reflètent) sur les opinions, les prises de positions et les intérêts du public. En arbitrant entre demander à une enseignante s'il existe une agrégation d'immunologie, à une universitaire si elle attend qu'un article scientifique soit traduit pour le lire, à un médecin si l'efficacité d'un traitement est établie d'une part, et relayer la parole d'une source, d'un collègue de son patron, ou d'un ami de son propriétaire d'autre part ; et en choisissant la seconde alternative. En s'appuyant sur un conseil scientifique que l'on a nommé soi-même plutôt que sur une communauté scientifique.

En choisissant la directrice de Radio France, l'ambassadeur des Pays-Bas, le directeur de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, la rectrice de l'académie de Versailles, le candidat de son mouvement à Strasbourg ou Perpignan parmi ses camarades de promotion. En faisant superviser la réforme du code du travail par son témoin de mariage et en nommant l'épouse de celui-ci au cabinet du Ministère de la Santé puis à la Caisse des Dépôts et Consignations. En s'entourant et s'appuyant toujours sur une même équipe - Alexis Kohler, Ismaël Emelien, Benjamin Griveaux, Sibeth Ndiaye, Stéphane Séjourné, Gabriel Attal, Cédric O, Julien Denormandie, Richard Ferrand... -  sans que l'on ne puisse trouver d'autre raison à ce choix que celle, tautologique, de leur proximité. En construisant sa propre carrière grâce à l'appui d'influents protecteurs - Henry Hermand, Jean-Pierre Jouyet, Jacques Attali, Serge Weinberg, Xavier Fontanet, Alain Minc... - plutôt que sur une ou plusieurs réalisations spécifiques que l'on pourrait vraiment mettre incontestablement en avant. En privilégiant mes connaissances, au risque de la méconnaissance.

Depuis 2016, on ne compte plus les éditorialistes qui se sont interrogés sur la nature du macronisme. Parmi les productions médiatiques intitulées "Qu'est-ce que le macronisme ?'', on trouve ainsi (inter multi allia) un dossier de France Info et un de Libération de mai 2017, un numéro de la Revue des deux mondes d'octobre 2017, un numéro de l'Opinion de janvier 2018, un numéro du Un d'octobre 2018, au moins deux émissions de France Inter de juillet 2019 et décembre 2020 et une de France Culture, datée de décembre 2020, dans laquelle la réponse apportée par Brice Couturier est : "il s'agit d'un libéralisme de gauche [...], d'une social-démocratie, c'est-à-dire de fournir aux individus les moyens des fins qu'ils veulent poursuivre. Il y a également un principe d'équité''. Cette dernière définition est certes difficilement surpassable, mais je vais toutefois tenter d'apporter ma propre contribution en proposant non pas un trait caractéristique singulier du macronisme, mais en soulignant ce qui le structure.

Ce qui structure le macronisme, son principe logique, aussi bien dans le choix de ses priorités politiques que dans leur mise en oeuvre et dans sa communication, est le choix permanent de juger de la validité d'une proposition selon la proximité réelle ou supposée qu'elle entretient avec Emmanuel Macron. À la limite, le macronisme est une tautologie, mais une tautologie opérante : il est le système qui fait d'Emmanuel Macron la mesure de toute chose. Les grands événements politiques de son quinquennat fourniront abondance d'exemple, mais pour qui douterait, notons que les soutiens du Président sont à ce sujet parfaitement explicites. Le 18/05/20, Emmanuel Macron affirmait sur BFMTV que la France n'avait jamais été en rupture de masques. Le lendemain, le compte Twitter Team Progressistes demandait "par quels accès magiques'' ceux qui mettaient en doute cette assertion avaient des informations "qui leur permet[tent] de mettre en doute cette parole'', reproduisant ainsi au premier degré la question de Groucho Marx dans Duck Soup : "who ya gonna believe me or your own eyes?''. Le 15/09/20, France Info demandait à la ministre Amélie de Montchalin si les Français avaient leur place dans un débat sur l'utilité de la 5G. "Bien sûr'', répondait-elle, avant d'énumérer les modes de consultation que les Français pourraient utiliser pour faire entendre leur opinion. À la question suivante de qui tranchera ce futur débat, elle répond avec un aplomb stupéfiant : "Mais, le Président a tranché''.  Le 18/12/2020, la députée et porte-parole LREM Marie-Christine Verdier-Jouclas demandait comment "on [pouvait] se permettre de juger les actes du président de la République''.  Le 13/03, l'Express publiait un article intitulé "Pourquoi le gouvernement hésite-t-il tant à confiner l'Île-de-France ?''. La réponse était apportée dans l'avant-dernier paragraphe, et attribuée à "un élu macroniste'' : "ce serait un échec de la stratégie souhaitée par Emmanuel Macron''. Le même jour, la porte-parole LREM Maud Bregeon déclarait : "depuis le début de cette crise, le président de la République, sa première fonction, c'est de protéger les Français [...]. Ce n'est pas trop tard. Tout l'enjeu pour le président de la République, c'est de prendre les décisions au bon moment. Si on avait fait un confinement il y a un mois, on voit bien que finalement que l'on aurait mis des contraintes trop importantes puisqu'on a réussi à tenir un certain nombre de temps [...] mais encore une fois, la première fonction du président de la République est de protéger les Français donc s'il doit y avoir des décisions supplémentaires, elles seront évidemment prises''.

"[O]n voit'' si une mesure a marché en jugeant si elle a été choisie ou non. Avant, c'est trop tôt, après c'est trop tard, par définition. Difficile de dire plus clairement que le critère permettant de juger si une décision est nécessaire, si elle est appropriée et si elle protège les Français est le suivant : cette décision a-t-elle été prise par Emmanuel Macron ? Emmanuel Macron lui-même livrait le 22/12/20 son analyse à L'Express : "Le problème clef pour moi, c'est l'écrasement des hiérarchies [...] : le sentiment que tout se vaut, que toutes les paroles sont égales''.

Mes connaissances, au risque de la méconnaissance.

Qu'Emmanuel Macron se rassure. Toutes les paroles ne sont pas égales dans l'espace politique et médiatique, loin s'en faut. Le 10/02, France Inter titrait "Emmanuel Macron l'épidémiologiste'' à qui "les chiffres donnent raison''. Le 15/02, selon Le Figaro, "Emmanuel Macron est en passe de remporter le pari lancé il y a près de trois semaines, seul contre tous, et notamment les scientifiques''.

Un mois plus tard, France Inter titrait le 12/03 sur le transfert en urgence de patients en réanimation des zones les plus touchées vers les autres régions et la Belgique. Et le nombre de décès attribués au Covid-19 en France dépassait 90000.

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