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Billet de blog 26 mars 2020

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Je vous écris de ma colère

Amies, amis, je vous écris de ma colère, comme d’autres nous écrivent d’Italie d’émouvantes missives. Ma colère ne désenfle pas et n’est pas parvenue à son pic. J’espère qu’elle ne s’éteindra pas, qu’elle s’étendra au contraire de cœur en cœur, écho à ces feux fous qui dévorent la terre de toutes parts.

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Colère contre ceux que l’on appelait autrefois les grands de ce monde, les puissants, qui pillent à tout va, sèment la terreur, brûlent et s’en vont. Les gros de tout bord et de tout horizon qui défiscalisent, ceux qui parlent à l’oreille des politiques devenus sourds, les sens amputés.

Colère contre l’incurie, les solutions absurdes, la bêtise qui fait pleurer de rage.

Ma colère de voir qu’on y est arrivé, plus tôt qu’on ne l’aurait cru.

Résultat de la globalisation, du grignotage systématique du vivant, de l’anéantissement de la biodiversité, de la destruction d’un nombre incalculable d’espèces, de l’environnement de celles qui restent — chauve-souris ou non —, qui permet à d’invisibles, à de minuscules bêtes que nous humains ne connaissions pas d’éclore au grand jour, de franchir les barrières « naturelles » entre espèces et de parvenir jusqu’à nous, de s’y plaire et de circuler très facilement, grâce à cette globalisation sacrée, ou vice versa. 

Résultat de la mondialisation qui n’a profité qu’à une poignée d’humains, délocalisant des pans entiers et pourtant stratégiques de nos productions (médicaments, terres rares présentes dans toutes les technologies de pointe dites « vertes », et j’en passe, jusqu’aux masques de protection, fabriqués à 70 % en Chine et dont on a jugé bon, de toute façon, il y a quelques années, qu’il n’était pas vital de s’en doter, économie oblige !).

La France 6e, 7e puissance mondiale ? Ha bon ?

Résultats de changements profonds, dévastant des bassins industriels entiers ici, créant chômage massif et désolation sociale, bâtissant là-bas, à l’autre bout de la planète, de tentaculaires enfers irrespirables et stériles, où les humains ne sont pas plus heureux et où la forêt aura depuis longtemps disparu.

Résultat de politiques où seul compte un dérisoire comptage de billets.

Et pourtant, les mots étaient là, criés haut et fort, depuis des années. Depuis trente ans, cinquante ans ?

Ceux de scientifiques, d’écologistes, d’économistes, de philosophes, de penseuses et de penseurs, de syndicalistes, de chercheuses et de chercheurs, et les cris de citoyennes et de citoyens, de tous âges, de tous poils, de toutes couleurs, de toutes origines, de toutes nations. 

Les alertes étaient claires. Il n’y avait aucun doute sur leur interprétation.

C’était non.

Non à ce monde en train de se suicider, sans justice, sans solidarité, où les services publics sont détruits avec méthode et froideur, les plus pauvres expulsés, la vie des humains broyée et tout ce qui n’est pas humain ravagé, des arbres décapités par millions laissant place à des kilomètres carrés de plants stériles prompts à engraisser des animaux esclaves, des montagnes magiques étêtées, sucées de leur moelle puis abandonnées, à jamais infécondes, desséchée, un monde qui court à sa mort.

Mais ils n’ont pas été entendus. On les a délogé des places qu’ils occupaient, on leur a envoyé des gaz, des drones pour les photographier, les ficher, on leur a envoyé quelquefois bien pire en pleine face, on les a excommuniés des tables rondes télévisées ou radiophoniques, on a balayé d’un revers de manche leurs rapports, leurs implacables expertises, on a méprisé toutes les voix qui hurlaient à la mort.

Ma colère est grande de penser, comme peut-être vous mes amis, qu’aujourd’hui je suis séparée de mon fils, que j’ai dû faire le choix de ne pas partir, que c’était sans aucune doute possible le bon choix pour tout le monde, et que je ne sais pas quand je le reverrai.

Ma colère est immense.

Et je ne peux pas dire : je me lève et je me barre.

Vous non plus.

On est tous dans ce même navire, invasif, avide, aveugle à sa décomposition.

Alors, je vous le demande, on fera quoi demain, après la tristesse, après la colère, quand tout cela sera calmé, pour un temps, mais pour un temps seulement ?

Je ne sais pas encore, je pressens qu’il faut faire vite.

Michèle Mira Pons

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