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Billet de blog 6 décembre 2021

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POURQUOI BLUE GOSPEL EST LE MEILLEUR EP FRANÇAIS 2021 (PART 1)

Au croisement des chemins de sa vie, Tuerie nous livre sa propre thérapie par Bleu Gospel. Derrière ce nom brut et sa corpulence imposante se cache une intelligence émotionnelle et sociale : « Mon blaze c’est Tuerie alors que tu as souvent à faire à un gros nounours ».

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Pourquoi le meilleur Ep de l’année ? Les psychanalyses complètes en un projet ont souvent été des albums qui ont marqué l’histoire de la musique. Comme l’album Recovery d’Eminem, pour n’en citer qu’un, qui était le bilan de sa vie sur 17 tracks, après l’arrêt de toute prise de drogues suite à une overdose. Mais là, Tuerie met la barre haute en le faisant en 8 morceaux. Approfondissons plus via cet échange avec Paul aka Tuerie, labellisé par Foufoune Palace de Luidji. Dans un article suivi de cette interview, je vous livre mon analyse titre par titre justifiant mon affirmation du meilleur EP 2021 francophone.

Illustration 1
Cover du Ep "Bleu Gospel" © Steven Norel

Quel a été votre cheminement artistique ?

Aujourd’hui, j’ai 30 ans. Je fais du son depuis toujours. Impossible à dater. J’ai commencé à écrire sérieusement à mes 12-13ans. Le film 8 Mile m’a beaucoup inspiré. J’ai plus eu confiance en mes écrits. Je voyais un mec qui avait beaucoup de galères en portant ses habits dans des sacs poubelles et qui écrivait vraiment bien ce qu’il ressentait. J’ai toujours aimé écrire autant pour moi que pour les autres. Mon premier enregistrement en studio, j’avais 13 ans. J’habitais à Boulogne, j’avais un voisin qui était Dj. J’ai fait aussi beaucoup de battles à mes débuts. Tous mes coéquipiers ou ex-coéquipiers Dinos, Luidji et d’autres sont passés dans les Rap Contenders (1ère ligue de battle a capella créé en 2010). On formait déjà un groupe à l’époque. Pourquoi je n’ai pas fait les Contenders ? J’avais l’impression de faire 10 pas en arrière d’où mon refus d’y participer.

D’où vient votre blaze « Tuerie » ?

A un battle, il y avait une petite fille qui a crié en m’entendant « Et mais c’est une Tuerie celui-là ». Les gens ont tellement ri et se sont moqués que c’est resté.

Comment définiriez-vous votre Ep Bleu Gospel ?

Ma musique a pour vocation de toucher des personnes qui ont vécu des évènements similaires à ma vie. C’est totalement thérapeutique. La démarche est égoïste au départ. Là, je vous dépose mon œuvre. Maintenant, ça vous appartient. Vu qu’on est plusieurs à savoir, aidez-moi à porter cela parce que je le porte tout seul depuis tant d’années. Mes héros, Lauryn Hill ou Drake, ils ont fait de leur faiblesse leur force. C’est mieux que les punchlines ou le rap hyper technique. Je veux arriver avec la forme musicale la plus pure. C’est pour cela, l’appellation Gospel. Tu n’as pas le droit de mentir. Je me vois très mal mentir à l’église. Dans ma musique, c’est la même chose.

Bleu Gospel est très introspectif. Quel évènement a permis que vous n’ayez « plus peur du noir » ?

Ça a été la naissance de mon fils le déclencheur. Il a fallu que je fasse le ménage avant que mon petit bonhomme arrive. Tout comme je lui parle dans le morceau Sublime. Je lui raconte mon histoire, ce que j’ai subi. Je le rassure en lui disant qu’il ne va pas manger les stigmates que j’ai eu. Et même si je sors de sa vie, sa mère peut assurer autant pour 4 que pour 1000 hommes. Elle pourrait rendre un ogre docile.

"Sublime" © Tuerie

Au final, je pense que le comportement déviant d’un père, ça vient bien de quelque part. Le mien ne maitrisait pas tout. Maintenant, je connais ses faiblesses et ses forces, pourquoi certaines choses sont arrivées. Ça ne justifie absolument rien. Encore une fois, je flirte entre introspection et ne pas forcément raconter ma vie. Je ne veux pas que les gens me prennent en pitié. Ce qui m’a vraiment poussé à faire ces chansons, c’est que j’avais envie de faire un enfant fort mais pas dépourvu de sensibilité. La vraie force réside dans la sensibilité. Un enfant fort, c’est un enfant qui sait quand il faut pleurer. Je déteste quand des personnes se retiennent de pleurer. Je leur dis toujours « Bah, vas-y. Faut que ça sorte ! ». Aussi, pour mon fils, il fallait que je puisse le rassurer. Lui dire, oui, ce monde est carnassier mais ne t’inquiète pas. Tu peux y arriver en restant gentil. Tu n’es pas obligé d’utiliser les mêmes outils que les autres. Et aussi, je me rassure moi-même. Plus je fuyais mon histoire, plus j’avais des chances de faire les mêmes erreurs. J’ai réussi à réparer en trouvant la racine, d’où cette violence venait.

Dès mes 16 ans, je me rendais compte que je reproduisais un schéma répétitif inconsciemment. Il a fallu réparer beaucoup de choses en moi. Je n’avais pas les réponses. Il a fallu que ma mère m’éclaire. Après, j’ai demandé des explications à mon père sur les galères qu’il a eu, de remettre en contexte, pour que je puisse apaiser mon cœur par la compréhension. Je voulais faire table-rase pour mon enfant car il mérite d’avoir toute sa destinée en main.  

On voit, dans le clip de Tiroir Bleu, une maman avec des avis de recherche. Avez-vous fugué étant jeune pour fuir le contexte du foyer familial ?

Tuerie - "Tiroir Bleu" © Réalisé par : Steven Norel

J’aime toujours proposer une seconde lecture à travers mes clips. Je n’ai pas fugué mais j’ai été séparé de ma mère pour des raisons administratives. Je suis arrivé en France à l’âge de 2 ans pour repartir de mes 7 à 14 ans au Cameroun. C’est pour ça qu’elle est passée par d’autres pays pour pouvoir me rejoindre. Ce n’est jamais facile en tant qu’ado de se retrouver seul. On devient adulte très vite. Pour ce titre, j’ai croisé plusieurs histoires, pas que ma vie. Je sais que les gens se posent la question : « A-t-il vraiment tiré sur son père ? ». Je ne veux pas le révéler. Je ne veux pas révéler cela pour permettre d’avoir une seconde lecture. Démystifier, ça va casser un truc. Je préfère garder le mystère.

Pouvez-vous me parler de vos choix de collaboration pour le titre Bouquet de Peur ?

"Bouquet de Peur" © Tuerie feat Gregz et Léonie Barbot

Le duo avec Gregz de Trade Union (groupe phare du RnB français dont la collaboration avec Booba pour le morceau Au bout de mes rêves - voir les différents liens YouTube à la fin de l'article-), est comme un rêve de gosse qui se réalise. Je le connais depuis mes 14-15 ans. Il est un de mes héros de la musique. Les voix additionnelles féminines sont de Léonie Barbot qui m’accompagne aussi sur Silence.

Dans Low, vous mettez en parallèle le « Petit Tuerie » et le « Grand Tuerie ». Avez-vous su garder vos belles qualités malgré les déceptions de la vie ou du cœur ?

Tuerie - "Low" © Réalisé par : Steven Norel

Carrément. C’est lié à des valeurs très ancrées via ma mère. Par exemple, une fois que j’ai aimé quelqu’un, même si ça se termine, il y a toujours une forme d’amour quelque part. Je ne peux pas détester complètement. J’ai travaillé dans le social. Tu peux tomber sur un jeune qui a eu une mauvaise journée, qui est adorable d’habitude. Dans cette situation, il faut prendre sur soi. On ne peut pas répondre à la haine par la haine. J‘ai gardé ma bienveillance intacte. J’arrive avec mes meilleures intentions, après si c’est toi qui détruis notre relation, tu peux t’en vouloir qu’à toi-même.  

Et donc par la suite, quelles ont été vos armes de défenses pour vous protéger ?

Mon premier moyen de défense c’est l’autodérision et d’apporter le sourire. J’ai toujours été un « class clown » (le clown de la classe). Comme ça, même le mec qui reste dans son coin en classe, qui est introverti, s’amuse toute l’année.

Deuxième moyen de défense, les joutes verbales. Quand j’arrivais à l’école ou dans les battles, j’étais insensible aux piques qu’on me lançait. Au préalable, je me clashais moi-même devant un miroir en me balançant les pires trucs au monde.

L’autodérision, l’humour et le masque avec le sourire, même si j’ai fait du social, j’ai compris que je ne pouvais plus utiliser ça. C’est fatiguant de toujours sourire. Des fois, je n’ai pas envie de faire rire les autres. Et si j’ai envie d’être triste ? C’est là où c’est à double tranchant.

Illustration 6
© Steven Norel

« Il tient le monde entier dans ses mains » est une prise de conscience de votre potentiel. Pouvez-vous me décrire vos possibilités qui se sont offertes à vous ?

Je chante souvent cette phrase de Nina Simone « He’s got the whole world in his hands ». C’est toi qui es maître de ta destinée. On a qu’une vie, tu peux faire absolument tout. J’ai le don de savoir rebondir, de renaître de mes cendres. Aussi, il y a une analogie avec le film « Les Ailes de l’Enfer » joué par Nicolas Cage. Tu as une petite fille qui fait chanter à un psychopathe « Il tient le monde dans ses mains ». Ce personnage entame un processus de guérison après avoir entendu cette chanson. Ce clin d’œil, c’est pour montrer que tu peux faire face, tu peux être fort et guérir même si la situation n’est pas favorable.

Extrait du film "Les AIles de l'Enfer" (1997) © orelj 22

Les possibilités qui s’offrent, c’est de choisir mes chaînes. On n’est jamais totalement libre mais au moins on peut choisir ses chaînes. Je suis croyant mais pas religieux. Tu sais qu’il y a quelque chose au-dessus qui s’exprime à travers une grosse énergie, accompagnée d’une sorte de balance, le karma.  Quand le karma vient te gifler, tu sais que tu es en train de rembourser le truc merdique que tu as fait il y a 3-4 ans. C’est paradoxal car dans mon Ep, il y a le mot « Gospel » que je lie à la pureté et à l’ambiance qui règne sur mon projet. On dirait que quand je rappe, c’est comme-ci, j’avais une Bible dans la main et j’essaye de convaincre les gens. Dans l’Ep, il y a un piano qui ressemble à un piano d’église du début à la fin. Peut-être que cela fait office de chapelet. Tout au long de « Blue Gospel », il y a ce duel manichéen entre le bien et le mal. Puisque tu veux autant y arriver, tu es prêt à vendre ton âme ? Finalement, non. J’ai aussi ce sentiment du syndrome de l’imposteur. Aujourd’hui, je vous livre mon projet le plus abouti. Je décide enfin d’être fort, d’assumer et d’accepter mon talent.

Comment vous définissez votre identité artistique ?

Elle est libre. Je ne fais plus de compromis dans ma musique. Je ne m’interdis rien. En général, quand on ne peut pas mettre une étiquette musicale, on désigne par musique alternative. Si c’est comme ça qu’on me décrit, ça me va.

Quelles sont vos influences musicales ?

Il y a Drake, Kendrick Lamar, James Blake, Claude Nougaro, Serge Gainsbourg et Jacques Brel entre autres. Je transpire mes influences. Quand tu m’écoutes, tu peux savoir qui sont mes héros.

« Garde ton temps et tes prières. Ce qui est défait est défait », dans Le givre et le vent. Comment avez-vous accepté que les liens se relient ou se délient ?

Quelqu’un qui décide de couper les ponts du jour au lendemain et d’être déloyal d’un coup, c’est quelqu’un qui te rend service en vrai. Il faut accepter ce geste et chacun sa route. On n’a pas les mêmes valeurs. Pourquoi se mentir ? Cet Ep est axé sur la vérité, les choses très pures. Pourquoi mettre des masques et faire des faux-semblants pour rien ?

"Le Givre et Le Vent" © Tuerie

Qui est Mylène évoqué dans Puff ?

C’est une fille qui avait beaucoup d’atouts. Les garçons à l’école étaient obnubilés par elle. On traînait beaucoup ensemble et je ne tentais rien. Elle était très avancée au niveau sexuel et ça me faisait peur pour ma première fois. Avec le recul, ça me fait vraiment rire d’avoir été tétanisé face à ça et le fait que j’ai eu pleins de « Mylène » après. On a une belle amitié aujourd’hui.

"Low" © Tuerie

Qu’est-ce que vous voudriez qu’on retienne de Bleu Gospel ?

Tant que la cloche n’a pas sonné, il faut vraiment se battre jusqu’au bout. Je défie une espèce de norme dans la musique, ça va être libérateur. Que cet EP puisse aider les gens à se libérer et à guérir tout comme moi j’ai décidé de guérir par l’acceptation de soi. Accepter la vie dans son entièreté avec autant ses meilleures que ses pires expériences. Le tout constitue notre identité, notre personnalité, notre singularité à l’instant présent.


Allez écouter Blue Gospel. Si vous êtes amateur de bonnes musiques au niveau textes, flow, tournées autant sur un héritage du Negro Spiritual (Jazz, Blues, Gospel, Rythme & Blues), que du rap et de la chanson française (outro du Givre et le Vent), vous ne pouvez pas passer à côté de ce chef d’œuvre. Dans un désir de transmission, sa plume affinée, en tant que topliner, a pu être mise au profit de Chloé Noémie et de Grégory Boniface, deux belles voix très RnB avec chacune leurs particularités. Il a aussi eu une collaboration avec Thomas Mignot (ancien candidat dans la 1ère saison de The Voice) qui avait fait sensation par sa prestation avec Bruno Mars.

Un artiste à suivre de près. Voici son instagram pour plus d’exclus: Insta Tuerie

Je vous laisse avec le titre Prêche et le clip de Silence avec toujours Steven Norel à la réalisation et quelques titres de Gregz pour le découvrir ou le redécouvrir. Je vous invite aussi à lire mon analyse de Bleu Gospel représentant la 2ème partie de cet article.

"Prêche" © Tuerie
Tuerie - "Silence" © Réalisé par : Steven Norel
"Au bout de mes rêves" © Booba feat Trade Union
"D'1 mot" © Trade Union
Gregz "Sans Tarder" © Atmos Prod

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