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Ayant tout juste 35ans, ce septième album complet de 21 titres, deuxième album réalisé entièrement dans son label « NuDeal Records », sonne comme l'album de la maturité. Sur son disque, on retrouve en featurings Caroliina, Bamby, Busy Signal, Sofia Mestari, Lyna Mayhem et des artistes de son label comme Sheyrine, Bramo L'Épicier et Mizi.
Lartiste se revendique Banlieusard non hostile, tendant vers autrui avec empathie, en jouant avec les codes intelligemment, pour y retranscrire sa vision du monde.
Découvrons ensemble la perception de Youssef Akdim aka Lartiste à travers cette interview.
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Dès votre premier morceau « La chanson », on sent une grande différence entre vos précédents albums et votre nouveau projet. Comment s'est opéré ce changement de champ de vision du « bas de votre bâtiment » à votre « tour de la Terre » ?
Par la recherche de sonorités, de savoirs, par la solitude positive, la sagesse et la maturité. J'ai pu exorciser la violence dans le flow tout en la gardant dans les mots.
Je me sens mieux, plus en phase avec moi-même et avec les autres, plus libre et plus détaché. C'est le passage d'une étape qui tend à la sincérité artistique.
Mon clip de « La Chanson » démontre ce point. Par un effet de vide, sans accessoire, je voulais qu'on se concentre sur ce que je raconte pour une fois. Je suis agréablement surpris car je lis dans les commentaires que les gens l'ont perçu.
Ses différentes vérités propres à chacun sont comme des cellules qui doivent fonctionner ensemble
et créer des anticorps pour rendre le monde meilleur.
Quel est votre point de vue sur la situation actuelle et la période que le monde vient de traverser ?
Je suis une éponge, j'absorbe tout ce qui se passe. Il y a une situation d'urgence qui nous met dans une dépression généralisée. On est en pandémie intellectuelle, sentimentale, émotionnelle, égalitaire et fraternelle. Il n'y a pas que le Covid et faut se battre avec ça. Pour moi, on est tous unis et on a tous raison, qu'importe nos origines, notre confession ou notre orientation sexuelle. Ses différentes vérités propres à chacun sont comme des cellules qui doivent fonctionner ensemble et créer des anticorps pour rendre le monde meilleur.
Malheureusement, il y a des programmes dans la tête d'une masse de la population qui nous empêche de discuter et de communiquer. Il y a des applications qu'on devrait désinstaller et faire une mise à jour de tout le système.
Vous avez ce côté festif et le créneau du kiff pourtant « Tout est black » ?
Comme le nom de mon label « NuDeal Records », en référence à la politique menée par le président Roosevelt pendant la crise des années 30, on fait de la musique de crise. Le monde va mal et le public a besoin de sentir qu'il n'est pas seul. Les gens ont besoin d'avoir ce reflet, c'est comme ça qu'on se crée une histoire avec eux. Le reflet artistique est narcissique mais nécessaire, on cherche dans le public le reflet de nous- même et lui aussi trouve cela en nous.
Je pense aujourd'hui devoir cette intention là, à ceux qui m'écoutent, avec un message clair sincère et honnête.
Vous avez une personnalité assez contrastée entre la dureté de la street et une empathie palpable. D'où vient cette sensibilité ? Par la transmission de votre famille via l'éducation ? Ou par vos expériences de vie ?
Les trois en même temps. J'ai été élevé par des femmes principalement, grands-mères, mère, tantes, sœurs et cousines. Je participais passivement à l'élaboration des plats familiaux côté femme. Du coup, j'entendais tous les petits secrets. Pour les problèmes dans le village au Maroc, les hommes parlaient entre eux et les femmes en parlaient aussi à leurs manières. J'avais la chance d'avoir accès aux deux versions.
On était loin des grands ensembles, loin des grandes villes, loin des quartiers bobos, pourtant ma mère était complètement féministe. Elle n'est pas allé à l'école. Le féminisme ne devrait pas être revendiqué car il est inné pour moi.
Est-ce que vous pratiquez une/des danses ou aimez-vous vous ambiancer pour réussir à faire des tracks à sonorité Kizomba/Afrobeat comme Zaga ?
C'est intéressant comme question. Je danse très mal, je laisse ça aux autres. Par contre, je bouge quand je me retrouve tout seul en studio. Je me mets en phase avec le morceau physiquement car en tant que compositeur quand on fait de la musique dansante, il faut faire bouger son corps dès le premier battement. Si ça ne vous fait pas vibrer, c'est que ça ne fera agiter personne.
Le fait de se battre contre soi-même nous pousse à ne plus se battre contre les autres.
Vous parlez beaucoup de matérialisme « Je suis venu bien sûr pour la maille », « Il me faut le sac de Nabilla » (Maroc Express). Comment avez-vous « gardé l'équilibre » face au succès tout en préservant vos valeurs ?
Ça a été très compliqué de passer à ne pas avoir à avoir de l'argent. Il y a quelque chose de post-traumatique qui se passe. Du coup, on fait des dépenses inutiles et quelque part on s'éloigne de nous-même. Comme disait Alain Souchon, « on nous fait croire que le bonheur, c'est d'avoir ». Cette illusion pousse à des comportements ostentatoires, à montrer qu'on possède et qu'on a réussi. On est loin du « vivons heureux, vivons cachés » et c'est une tragédie.
Cet album sonne comme l'album de la maturité, est-ce vraiment le cas ? Si oui, pouvez- vous me la définir ?
C'est le cas. On devient adulte en acceptant le monde tel qu'il est avec sa diversité humaine sans aucune discrimination dans sa totalité. On devient sage en renonçant à la violence primitive, à la haine, à la guerre, à l'hypocrisie, à la concurrence et au matériel. Et se concentrer sur soi-même est la clé. Le fait de se battre contre soi-même nous pousse à ne plus se battre contre les autres. J'essaie de me l'appliquer en étant compréhensif envers moi. Cela me permet d'être en empathie avec autrui de manière fraternelle. Et ceci est constructeur et non destructeur.
Vous adoptez différents styles musicaux,entre « Bolingo » (tendances africaines), « Ne pars pas », « À bon écouteur » (R'n'B/2step UK), « La Guerre Des Étoiles » (Zouk) et « Photo »/« Bomboclaat » (Dancehall), quel est votre approche dans le processus de création ? Comment se font les choix de vos featurings ?
Je suis un très bon spectateur et bon public. J'aime, j'achète. J'essaye de tendre l'oreille, de regarder les réactions, mes sensations et celles des autres. Ça me fait aller toute de suite vers une autre culture, différente de la mienne.
Pour les featurings, c'est un besoin d'échanges entre vrais humains, pas besoin d'entité pour qu'on se comprenne.
Cette occasion qui m'est donnée de raconter est mon trésor
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ce que ça m'apporte est inestimable.
Cet album nous fait voyager autant dans l'espace que dans le temps, on peut dire que vous êtes un « Artiste Complet » par la diversité de vos instrumentales et de passer du chant au kick, on voit que vous n'avez pas de barrières. Qu'est-ce qui vous inspire pour sortir de votre confort musical ?
C'est mon identité de base, d'homme libre. Comme « L'alchimiste » de Paolo Coelho, j'écris ma pierre philosophale. C'est ma quête, c'est la ma-quette de ma vie. Toutes ses œuvres artistiques ou humaines contribuent au petit livre qu'on doit écrire.
Cette occasion qui m'est donnée de raconter est mon trésor, qu'importe le prix que ça coûte, ce que ça m'apporte est inestimable.
« Cette fois, c'est moi à la prod », qu'est-ce que ça fait d'être en même temps à la production et face au microphone ?
C'est incroyable, j'ai appris cela via une interview de Dr Dre. Par projection, dès le premier kick qu'il travaillait, il arrivait à avoir une vision globale, même à imager le clip. C'est la manière la plus riche et la plus sincère de faire de la musique en don de soi.
Les femmes et vos relations avec elles sont souvent présentent dans vos morceaux, qu'est-ce qu'elles symbolisent pour vous ?
La mère est 50% de nous. Tout ce qu'on n'est pas, on en a forcément besoin. En terme de collaboration, le premier collaborateur de la femme, c'est l'homme et vice-versa. On est complémentaire.
Mes connaissances sont nées d'une adolescence rebelle, cherchant à comprendre, à défier les règles de l'art.
« Les crayons de couleur » est une belle et triste histoire d'une fille face aux jugements et aux codes imposés sur la gente féminine. Que pensez-vous de la pression patriarcale encore forte aujourd'hui ?
La pression patriarcale, si elle est bienveillante, empreinte de culture, d'éducation, d'explication et de transmission, ça fonctionne. Si le père ne s'est pas libéré de certaines ignorances, il ne fera que perpétuer quelque chose de négatif. Oui à la pression du père, s'il a fait tous les efforts de s'instruire lui, autrement ça ne marche pas.
Par la phrase « Tu mérites l'or du roi du Mali », vous faites référence à Mansa Moussa. Avec cette phrase, vous nous montrez une facette de votre culture. Pouvez-vous nous parler plus en détail de vos connaissances culturelles ?
Mes connaissances sont nées d'une adolescence rebelle, cherchant à comprendre, à défier les règles de l'art. On commence par une petite pierre. Pour ma part, c'était les Blacks Panthers, le côté « Gang » qui me plaisait. Après, on approfondi. Je me retrouve avec Aimé Césaire et une autre façon de penser. De livre en livre, une autre connaissance s'imbrique en cherchant à se cultiver soi-même contre sa propre ignorance.
Dans « À bon écouteur », vous dites « ça fait du bien qu'on m'imite ». Comment définissez-vous l'influence que vous avez pu donner ?
J'ai proposé, par une réflexion, un banlieusard non violent. C'était nouveau. Que des petits frères derrière suivent la vague, le mouvement, c'est un honneur pour moi. Mais, je veux qu'ils comprennent qu'on peut faire cette musique de manière intelligente, hors des caricatures. Aussi, qu'ils comprennent l'essence du combat au départ, affirmer son identité tout en inspirant à l'Universel comme l'a fait Césaire.
Que vous voulez-vous que l'on retienne de votre album ?
« Kiffé du bien », que du Kiffe. Et si, par l'évocation du roi du Mali, par exemple, quelques auditeurs iront chercher qui est Mansa Moussa, ce sera une petite transmission humble et humaine.
L'album sort aujourd'hui le 17 juillet 2020. Vous pouvez directement voir les trois clips « Comme Avant » (sorti en même temps que l'album), « La chanson », « BLG » sur les liens dessous et vous pouvez toujours retrouver « Bomboclaat » et « A bon écouteur » .
Kiffez au max sur l'écoute de ce beau projet.