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Billet de blog 20 mars 2020

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La liberté est ce que nous avons de plus cher au monde

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelle drôle d’époque ! Et « drôle » est une façon de parler. Un peu comme la « drôle » de guerre en 1939, on se cherche, on ne se trouve pas, mais en même temps, on nous dit qu’il y a guerre, comme si ce dernier mot expliquait tout ou justifiait tout.
Des malades (dont 80% guérissent), des morts, trop sans doute, mais proportionnellement en faible quantité dans une population globale. Et puis depuis le 16 mars, des mesures dictatoriales de la part d’un gouvernement français qui essaie de ne pas s’aligner complètement sur le modèle des pays voisins, Italie ou Espagne, pour avoir l’air de… De quoi ?
De ménager encore un peu d’herbe et de terre fraîche autour de chaque habitant, réduit à la portion congrue de la communication. Intention louable sans doute, mais qui risque de virer à pire. Et qui n’en est pas moins, dès à présent, un coup de poignard dans les valeurs fondamentales de la République.
Comment croire, à l’heure où la croissance du virus s’accélère, qu’il se propagera moins parce que nous sommes enfermés ? Parce que nous tournerons en boucle dans nos demeures, pour certaines, exigües et solitaires ? Est-ce que la santé mentale des citoyens ne compte plus dans la situation présente ? Est-ce que l’esprit est condamné à plus ou moins brève échéance ?
Que nous soyons précautionneux, bien sûr. Que nous fassions tout pour nous protéger et ceux qui nous entourent, nos parents, nos proches (mais pour ces derniers, le mal est fait, non ?), bien sûr. Et au-delà, que nous protégions ceux que nous ne connaissons pas mais qui nous sont chers sans que nous les connaissions, du moment qu’ils sont menacés, bien sûr. Les gens sont-ils à ce point irresponsables qu’ils vont se ruer sur des inconnus pour leur serrer la main ou les embrasser ? Ou qu’ils vont se coller les uns aux autres en temps de crise sanitaire quand ils ont le choix, et le devoir moral, de ne pas le faire ? Pour quelques personnes inconscientes qui continuent de parler trop fort dans les espaces publics en crachant sur nous leurs miasmes sans qu’on puisse les faire taire ou manifestent un irrespect grossier envers les recommandations en cours, faut-il pénaliser une population entière en lui ôtant « toute » sa liberté ?
La liberté est ce que nous avons de plus cher au monde. Peut-être ne faut-il pas craindre de le redire à un moment où il semble qu’on veuille l’oublier. Car c’est de cela dont il s’agit : la privation d’un besoin vital, celui de nous déplacer librement mais en toute conscience, comme les êtres responsables que nous sommes majoritairement.
Pourquoi un président de la République ose-t-il s’ériger en père de la nation ? De quel droit pense-t-il que nous sommes des enfants, ses enfants ? Nous l’avons élu à l’instar d’un homme comme les autres, situé ni plus haut ni plus bas que nous dans l’échelle des êtres. Nous l’avons élu pour une compétence particulière, qu’il semblait détenir. Nous l’avons élu en tant que concitoyen. D’où vient que, brusquement, il s’érige en père, comme s’il voulait nous placer sous son écœurante protection ? Comme s’il voulait ôter à chacun le commandement de sa vie, au nom d’une fausse sublimation qui ôte à chacun ses moyens de penser ? Car le meilleur de nous-mêmes ne vient pas de notre peur, ni de notre volonté de conjurer la peur, mais de notre liberté.
Quand on entend notre 1er ministre, celui du pays des « Droits de l’Homme », on frémit. Quand il ose qualifier l’indispensable et le dispensable, en mettant sans doute la liberté de penser dans cette deuxième catégorie, puisque les seuls lieux ouverts demeurent les magasins d’alimentation, les banques et les pharmacies, ne sommes-nous pas devant un désastre humain ? Toute la culture ôtée (mais il est vrai qu’elle est contagieuse), les hautes et fortes pensées stimulantes nées des échanges mutuels bannies au nom d’une conception faussée de la notion de sécurité, l’élévation intellectuelle assimilée à un individualisme égoïste, l’élévation spirituelle à la superstition, que nous restera-t-il de nos droits fondamentaux ? A quelle profondeur devrons-nous aller pour en extraire la racine ? Sommes-nous un troupeau d’élèves incontrôlables et puérils ? Cette déviation grandissante du pouvoir prouve, mieux que tout autre chose, la distance incommensurable qui le sépare d’un peuple qu’il méprise. Dont la vie matérielle seule compte à ses yeux. « L’homme ne vit pas que de pain », dit-on. Non, il vit de « pain partagé ». Pain du corps mais aussi pain de l’esprit. Non le deuxième après le premier, mais les deux ensemble, simultanés.
Mettre en balance ma vie physique, dont je ne maîtrise pas la durée, et ma liberté, n’a pas de sens dans l’épreuve en cours. Réduire ma liberté ne me fera pas vivre plus longtemps. Mais l’entamer réduit, par contre, mes capacités de résistance naturelle. Sécurité sans liberté est un slogan perdant. Il a toujours été inopérant, sauf dans la bouche des assassins des démocraties.

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