Ce qui m’effare actuellement, c’est l’absence d’autres voix politiques, leur silence. Où sont en ce moment les Mélenchon et autres orateurs d’une opposition intelligente ? Pourquoi sont-ils si timides ? Devant les médias, par exemple devant les chaînes d’informations télévisées, on n’entend qu’une voix, une seule. Celle du gouvernement mêlée à celle des scientifiques qui lui sert de garant. En effet, si l’on conteste la légitimité du gouvernement, contestera-t-on celle des médecins ? Non évidemment. C’est sur cette légitimité-là, imparable, que le gouvernement s’appuie, trop heureux d’avoir trouvé un allié sûr. « Les médecins savent, eux » semble-t-il dire. On pourrait répondre à cela qu’ils savent, oui, mais dans leur domaine. Qu’on ne peut leur demander davantage. Qu’ils ne sont pas en mesure de donner un avis social, politique, ni même psychologique, que ce n’est ni leur rôle ni leur mission. Qu’ils ne sont même pas en mesure de donner un avis universel, car ils ne sont pas les dieux de la Vie. Leur pouvoir apprend, conquiert, en même temps qu’il s’exerce. Les scientifiques ne peuvent pas tout car ils ne voient pas tout, focalisés qu’ils sont sur ce qui s’agite et se démène sous leurs yeux. Comment pourraient-ils ratisser les choses d’un regard plus vaste ? Comment pourraient-ils embrasser l’horizon ?
Ce qu’ils font est magnifique. Ce ne sont pas eux les coupables. Ce qui est coupable, c’est de leur demander leur avis sur tout, alors qu’ils sont les acteurs d’un seul domaine, la santé du corps. Et cela crée une impression nocive dans les consciences. Cela crée une unanimité qui n’existe évidemment pas. Exactement comme dans les pays dictatoriaux. Le mot d’ordre lancé doit s’appliquer à tous, et on cesse de tenir compte des opinions. On les croit balayées par le grand vent de la panique. « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ses querelles » disait Aragon dans un célèbre poème. C’est ce que veut nous faire croire le président de la République : tous unis comme un même ennemi. Mais dans le cas d’Aragon, il s’agissait d’un hymne de résistance contre le nazisme. Tandis que là, est-ce pareil ?
Le mal causé par le nouveau virus est incontestable, c’est un fait. Mais est-il l’ennemi n°1 ? C’est un véritable ennemi contre lequel il faut se battre avec les moyens du bord, mais non le seul, et peut-être pas le plus dangereux à longue haleine. Il en est un autre qui contamine notre être essentiel : ce que les pouvoirs tentent de nous faire avaler sans nausées, avec notre consentement. Et qu’ils n’avaient pas jusque là réussi à nous faire avaler de force : la fin de notre liberté.
Sans doute les partis politiques, quels qu’ils soient, sont-ils perplexes. Leur peur de se mettre à dos la population dans son ensemble les rend circonspects. Et ils n’osent pas s’aventurer sur ce terrain glissant qu’ils pressentent miné, ou bien avec d’énormes réticences. Ils n’osent pas imaginer qu’à l’intérieur même de cette population dont ils redoutent le verdict, les avis restent partagés. Que si les uns ont peur, les autres sont surtout en colère. Ils n’osent pas tabler sur une autre forme de résistance, résistance à l’autorité, qui me semble actuellement plus précieuse.
Il ne s’agit pas de provocation, il ne s’agit pas de convaincre à s’insurger contre toutes les mesures décidées pour enrayer l’épidémie. Ni de cesser d’adopter de nouveaux comportements face à une contagion possible ou foudroyante. On peut, on doit accepter les restrictions, les distanciations nécessaires. On peut accepter l’arrêt du travail, le chômage partiel. On peut accepter l’annulation des grands rassemblements. Mais on ne peut pas accepter le contrôle policier des déplacements, ni la menace d’amende, ni le confinement chez soi avec autorisation de sortie contrôlée. Cela, c’est un abus de pouvoir. Et aucun moment exceptionnel ne justifie ce vol fait à l’intégrité de chacun. L’absence de liberté de mouvement, c’est l’absence de liberté tout court. Il n’y a pas ici deux libertés distinctes, qu’on pourrait séparer. Cela touche là une limite humaine, qui renverse la notion de démocratie et la suicide.