me voilà
où le bleu de la mer
est sans limite
Ce haïku est de Taneda Santōka. Santōka, le nom que prit ce poète quand il décida d’écrire, pourrait se traduire par ”feu au sommet de la montagne”. Puis il devint moine et parcourut le Japon à pieds. Comme Basho, l’immense Basho, il tint un journal de voyage dans lequel il notait les haïkus que les paysages et sa sensibilité lui inspiraient.
Quel volcan me pousse donc à écrire un second billet sur un haïjin peu connu en France ? Peut-être parce que nos âges se répondent. Il est mort en 1940, avant les blessures d’Hiroshima et Nagasaki. Il n’avait pas soixante ans quand il mourut. Il s'est éteint à 58 ans dans son sommeil, ivre, dans la nuit du 10 octobre, dans un temple où il avait fait halte. Octobre, le mois sans dieu. Si le cœur vous en dit, de nombreux sites et blogs lui sont consacrés, au moins en partie.
Je n’ai connaissance que d’un seul livre en français, une compilation de quelques poèmes, éditée par les éditions Moundarren, SANTOKA, zen, saké, haiku. Le livre me parait beau, relié à la chinoise, c’est à dire cousu. De nombreux autres haïkus apparaissent dans les deux anthologies que je citais dans mon premier billet. Les anglo-saxons sont plus prolixes à son sujet.
à soixante ans
le cœur inapaisable
je traverse la mer
Non, à soixante ans, il naviguait déjà sur le Styx ! Soixante ans, c’est la fin du cinquième cycle. Chaque cycle compte donc douze années, soit un zodiaque complet. Le temps qu’on vit après est du temps qui déborde -pour paraphraser Éluard. Il fut un temps où les vieux, au Japon, étaient conduits loin des villages et on laissait mourir ces bouches devenues inutiles. Vieux, plus de soixante ans ! Ce n’est heureusement plus le cas. J’ai cependant entendu, lu certains commentaires sur différents blogs, voire articles, qui préconisaient cette option radicale pour renflouer les caisses de retraites. Caisses de retraite dont on n’aurait plus l’utilité grâce à la disparition des retraités ! Que dire alors des pensionnés de la fonction publique qui coûtent une fortune au budget ! On oublie facilement que la pension perçue est un salaire différé. Mais comment faire admettre l’évidence aux envieux ?
arbre nu
sous le ciel bleu —
silence de la mort
Secs et blancs comme des squelettes, au bord des routes, noirs comme des arbres desséchés, il semble bien que les vieux n’aient plus grand-chose à offrir à la société qu’un regard morne et désemparé. Parfois, pour que la soupe soit moins maigre, pour atteindre le mois d’après, ils marchent des heures en distribuant publicités et journaux ”gratuits”. Une fois sur deux, la boite aux lettres leur est interdite d’accès, ”pas de pub, S.V.P.“ Alors ils marchent plus longtemps encore, plus loin, courbés et las. ”C’est bon pour la santé !“ leur dit-on au dépôt quand ils reçoivent leur enveloppe anémique.
seulement ce chemin
où je marche seul
Santōka marchait par conviction, peut être même pour chercher la rédemption. Mais marcher était sa volonté. Il a donné aux autres, à ceux qui l’ont suivi, qui sont nés après, sa vision du monde et sa poésie. Ses haïkus nous tendent les mains. Tous les vieux ont un passé mémorable, souvent silencieux mais remarquable pour qui s’y attarde. La société leur doit plus d’attention sinon de la reconnaissance. Alors, laissez vos boites aux lettres ouvertes aux haïkus de ceux qui ne savent pas les écrire.
vague à l’âme —
je bois un peu d’eau
et je reprends ma route