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Moataz El Fegiery et Rasmus Alenius Boserup

Vice-président d'EuroMed Droits et Directeur exécutif d’EuroMed Droits

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Tribune 21 octobre 2025

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Moataz El Fegiery et Rasmus Alenius Boserup

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Lors du sommet UE-Égypte, l'Europe doit prendre position en faveur des droits humains et de l'État de droit

Le 22 octobre, Bruxelles accueillera le tout premier sommet UE-Égypte, avec le président Abdel Fattah Al-Sisi. La visite d'Al-Sisi coïncide avec le 30e anniversaire de la Déclaration de Barcelone de 1995, qui a défini une vision pour une région méditerranéenne fondée sur la paix, les valeurs partagées, la démocratie, l'État de droit. Pourtant, aujourd'hui, cette vision semble de plus en plus obsolète. Par Moataz El Fegiery et Rasmus Alenius Boserup, d’EuroMed Droits. 

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Vice-président d'EuroMed Droits et Directeur exécutif d’EuroMed Droits

Le 22 octobre, Bruxelles accueillera le tout premier sommet UE-Égypte, avec le président Abdel Fattah Al-Sisi qui se joindra au président du Conseil européen, Antonio Costa, et à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Cet événement important pourrait marquer le début d'une nouvelle ère dans les relations entre l'UE et l'Égypte et signaler l'évolution de la stratégie politique de l'UE à l'égard du sud de la Méditerranée, un changement qui s'est progressivement opéré depuis 2022.

Le président Al-Sisi, qui n'a jamais assisté à un sommet bilatéral d’un aussi haut niveau à Bruxelles, espère obtenir un soutien financier et d'investissement important pour faire face à l'aggravation de la crise économique et sociale en Égypte. Pendant ce temps, l'UE poursuit son virage vers une politique étrangère plus pragmatique et axée sur les intérêts, en se concentrant sur les accords bilatéraux – une tendance soulignée par les récents discours d'Ursula von der Leyen, y compris le discours sur l'État de l'Union 2025.

Cependant, ces développements ont suscité des critiques de la part des défenseurs des droits humains égyptiens et européens, qui craignent que des questions cruciales des droits humains ne soient mises de côté au profit d'intérêts économiques et géopolitiques. Les critiques affirment que le soutien de l'UE risque de favoriser le régime autoritaire de l'Égypte, qui a montré peu d'engagement en faveur des réformes politiques.

C'est particulièrement alarmant alors que l'Égypte se dirige vers des élections législatives en novembre prochain et, dans les années à venir, une élection présidentielle, alors que des rapports médiatiques font état d'amendements constitutionnels potentiels visant à étendre le règne d'Al-Sisi.

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© Site d'EuroMed Droits

Le moment choisi pour le sommet pourrait également expliquer la décision du gouvernement égyptien de libérer Alaa Abdel Fattah, militant des droits humains et prisonnier politique le plus en vue du pays, après une décennie de détention, et de renvoyer la très controversée loi de procédure pénale au Parlement pour révision. Bien que ces actions puissent apparaître comme des gestes de bonne volonté, elles sont largement considérées comme des manœuvres tactiques destinées à atténuer la pression internationale plutôt que comme des signes de véritable réforme.

Le sommet représente donc plus qu'une nouvelle phase dans les relations bilatérales, il marque le dévoilement officiel de la nouvelle approche de l'UE à l'égard du sud de la Méditerranée, qui a évolué en réponse à l'évolution des réalités géopolitiques. La visite d'Al-Sisi coïncide avec le 30e anniversaire de la Déclaration de Barcelone de 1995, qui a défini une vision pour une région méditerranéenne fondée sur la paix, les valeurs partagées, la démocratie et l'État de droit. Pourtant, aujourd'hui, cette vision semble de plus en plus obsolète.

Les ponts autrefois envisagés entre le Nord et le Sud ont été remplacés par des barrières, alors que l'Europe se concentre sur la protection contre des défis tels que les migrations, les menaces à la sécurité et l'instabilité émanant du sud de la Méditerranée. L'échec persistant des modèles de gouvernance dans de nombreux pays du sud de la Méditerranée a rendu l'Europe plus encline à protéger ses propres intérêts, en particulier en ce qui concerne la sécurité énergétique, plutôt qu'à promouvoir des réformes politiques plus larges dans la région.

Le changement politique au sein de l'UE a été particulièrement prononcé depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, qui a forcé l'Europe à repenser ses priorités stratégiques, notamment sa nécessité de garantir des alternatives énergétiques face aux politiques énergétiques agressives de la Russie. Dans ce contexte, l'Égypte est devenue un partenaire clé, notamment après la signature en 2022 d'un protocole d'accord entre l'Égypte, Israël et l'UE pour sécuriser les exportations de gaz vers l'Europe. En tant que plaque tournante majeure du transit de l'énergie, l'Égypte est au cœur des efforts de l'UE pour se diversifier en dehors du gaz russe.

Parallèlement aux préoccupations énergétiques, l'UE a cherché à stabiliser politiquement l'Égypte, en particulier à la suite de la guerre de Gaza, en approfondissant ses liens avec l'Égypte, la Tunisie et le Maroc dans le cadre du partenariat stratégique global. Cette initiative met l'accent sur la coopération dans les domaines de l'énergie, de la migration, de la sécurité des frontières, du commerce et de la sécurité, dans le but de favoriser la stabilité dans la région. Début 2024, lorsque la crise financière en Égypte s'est aggravée, l'UE a approuvé un ensemble d'aides exceptionnelles et de prêts concessionnels pour aider à stabiliser l'économie égyptienne et faciliter les négociations avec le FMI.

Ces efforts bilatéraux interviennent alors que l'UE lance le « Pacte pour la Méditerranée », une nouvelle initiative multilatérale axée sur une approche centrée sur le gouvernement, mettant à l'écart la société civile indépendante et donnant la priorité au commerce, à l'énergie et à la migration plutôt qu'à la démocratie et aux droits humains. Cette approche marque un changement radical par rapport aux principes énoncés dans la déclaration de Barcelone de 1995, représentant un changement significatif dans la politique de l'UE à l'égard des pays du sud de la Méditerranée. Le pacte reflète une tendance croissante au sein de l'UE à privilégier les intérêts étroits et transactionnels plutôt que les valeurs plus larges de la démocratie et des droits humains qui définissaient autrefois son approche de la région.

Ces évolutions indiquent un changement plus large de la politique européenne, une position plus pragmatique et plus réaliste motivée par les défis régionaux et internationaux actuels. Alors que le sommet UE-Égypte pourrait ouvrir la porte à un soutien économique et financier indispensable pour l'Égypte, l'UE risque de répéter les erreurs du passé en supposant que la stabilité peut être atteinte sans s'attaquer aux problèmes politiques plus profonds en jeu. Pour assurer une stabilité durable en Égypte et dans le sud de la Méditerranée, il est essentiel que l'UE encourage de véritables réformes politiques, en garantissant les libertés publiques, la transparence et l'État de droit.

Par Moataz El Fegiery, Vice-président d'EuroMed Droits

Rasmus Alenius Boserup, Directeur exécutif d’EuroMed Droits