Paris, le 17 février 2021.
J’ai rencontré de nombreux sociologues dans ma vie personnelle ou professionnelle et j’ai eu la chance de lire un certain nombre d’études en sciences-sociales. J’ai un profond respect pour cette science et ce qu’elle apporte, notamment parce qu’elle a des méthodes exigeantes.
Quelle fut donc ma surprise en découvrant les quelques pages « d’analyse » qui me concernent dans votre livre intitulé Race et sciences sociales : Essai sur les usages publics d'une catégorie !
Votre livre qui bénéficie d’une large médiatisation est décevant et ne grandit pas les sciences sociales que vous affirmez vouloir défendre.
Ce que j’ai lu est en partie faux, diffamatoire et a réactivé des souffrances qu’avec mes proches nous aimerions dépasser.
Avant toute chose, je souhaite dire ici que ma première réaction en lisant les pages qui me concernent dans votre livre a été de contacter Stéphane Beaud. Je n’avais pas son numéro de téléphone mais il ne m’a pas fallu longtemps pour le trouver. Cela a été rapide car nous avons plusieurs personnes en commun. Cela m’a permis d’avoir une discussion directe, franche et d’obtenir des explications de vive voix. Ce que j’ai fait, vous auriez pu le faire également pour mener votre recherche avec sérieux.
C’est d’ailleurs mon premier reproche. « Analyser » mon parcours, mes motivations et mes actions sans chercher à me rencontrer, en vous limitant à la consultation de ma page Wikipédia, à des bouts d’interviews accordées à la presse ou à des écrits de journalistes sur « l’affaire des quotas », est une démarche critiquable, en particulier pour des chercheurs. Est-ce que c’est ce que vous apprenez à vos étudiants ? Je m’attends à autre chose des sociologues et historiens.
Venons-en à vos écrits :
Page 318-319 vous vous demandez « pourquoi Mohamed Belkacemi, (…) décide d’enregistrer de manière clandestine, ce 8 novembre 2011, la réunion de travail de la DTN? ».Vous mentionnez le « premier article de Mediapart » pour affirmer que « Belkacemi aurait été meurtri et choqué par l’atmosphère délétère («islamophobe») qu’il avait ressentie lors du stage de travail de la DTN en juillet 2011 à Ouistreham et qui aurait perduré durant les quatre mois qui ont suivi ». Vous ajoutez que « Belkacemi ne supportait plus, dans son environnement professionnel, ce qu’il ressentait comme une défiance à l’égard des «musulmans», devenue bien plus forte depuis le sociodrame de Knysna ».
Alors d’une part, sachez que j’enregistrais régulièrement les réunions pour la rédaction de mes compte-rendu et de mes rapports. Rien de « clandestin » à cela, juste un outil de travail.
Mais le plus grave est ailleurs : qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que c’est en tant que « musulman » réagissant à une atmosphère « islamophobe » que j’ai agi ? À aucun moment je n’ai réduit mon indignation au fait que je sois musulman. Je n’ai jamais affirmé sur la place publique que j’étais musulman, cela relève de ma vie privée. D’ailleurs qu’en savez-vous ? Je n’ai pas non plus utilisé le mot « islamophobie » et il n’apparait pas dans le premier article de Mediapart sur l’affaire des quotas.
J’ai toujours agi comme un citoyen et membre de la DTN, attaché à l’égalité, engagé pour accompagner les enfants et les jeunes de ce pays. Je me suis toujours opposé à toutes les discriminations, qu’elles visent ceux qui me ressemblent ou non. Au nom de quoi mon action dans cette affaire se limite à ma supposée identité musulmane, à quelque chose de communautaire ? A partir de quel article de presse peut-on déduire que c’est ce qui motive mon indignation ? Je trouve particulièrement insupportable cette manière de résumer mon engagement pour l’égalité et contre le racisme à une motivation religieuse ou culturelle.
Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, la question des quotas et du racisme dans le football n’était pas centrée sur la question religieuse. Page 321, vous écrivez qu’il « semble avéré que l’émergence de ces nouvelles normes religieuses (le halal, le respect du ramadan, etc.) dont sont porteurs les joueurs de football de confession musulmane (ou convertis à l’islam) a été déroutante pour maints coachs et éducateurs et qu’elle a constitué une véritable source d’incompréhensions ou de tensions ». Or, Philippe Tournon dans le Paris Match du 7 janvier 2021 a rappelé, au sujet des rumeurs de dérives religieuses relayés par la presse à sensation que vous utilisez parfois comme source, que ces « nouvelles normes religieuses » n’étaient en rien problématiques ou déroutantes.
Je n’ai pas non plus apprécié, page 322, que vous me qualifiez de seul « beur » de la « DTN », de « gars de cité » en plus d’être réduit à un statut de musulman. Si j’avais eu à m’exprimer sur ma propre personne, la complexité de mon identité, ce ne sont pas ces mots que j’utiliserais. Je déteste le terme « beur » qui était interdit d’usage dans notre famille en raison de son utilisation paternaliste et méprisante. Je ne suis pas votre « beur ».
Je ne renie pas mes origines et mes croyances. Je suis fier de mon parcours et des missions qui ont été les miennes, notamment les projets que j’ai mis en place et qui ont bénéficié aux enfants de condition modeste. Mais votre obsession à me faire entrer de force dans le récit que vous présentez comme des analyses scientifiques est indigne. Les faits sont têtus. Un vrai travail de terrain vous aurait ainsi évité d’écrire que j’étais passé par une formation de CAP. Ce n’est pas indigne de faire un CAP, mais pour ma part, j’ai été dans un lycée général, j’ai obtenu un BAC B (économique et social) avant de m’inscrite en BTS action commerciale dans un établissement privé, grâce au sacrifice financier de mes parents et en piochant dans mes premiers salaires de footballeur.
Enfin, je pourrais vous attaquer en justice pour diffamation. Page 267, vous affirmez que lors de notre rencontre organisée par le sociologue Marwan Mohammed, vous affirmez que je vous aurais parlé de l’enregistrement et que vous m’auriez prévenu que j’allais affronter une « épreuve médiatique ». Je ne vous ai pas parlé de cela car l’enregistrement était dans les mains de la direction de la Fédération Française de Football et que je n’ai pas eu cette « naïveté » d’en parler à un inconnu. En écrivant cela, vous sous-entendez que toutes ces révélations étaient préméditées et que je préparais mon coup.
La réalité, est que j’étais attaché à ce que les choses changent de l’intérieur au sein du football français. Ma vie s’est transformée après ces révélations, ma famille a souffert de cette affaire qui n’a jamais servi mes intérêts. Tous les auteurs de propos racistes sont restés en place à la FFF alors que j’ai été mis à l’écart.