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Billet de blog 14 juin 2025

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Quand les hommes pleurent

J'ai été ébranlé par la vue de ma famille déplacée vers un lieu d'abri où rien n'est sûr, et je n'ai pas pu compter le nombre de fois où elle a été déplacée, peut-être plus de treize, peut-être plus, pendant un an et demi d'oppression, de bombardements. Notre histoire - et celle de milliers de personnes comme nous - reste le témoignage d'un silence retentissant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai été ébranlé par la vue de ma famille déplacée vers un lieu d'abri où rien n'est sûr, et je n'ai pas pu compter le nombre de fois où elle a été déplacée, peut-être plus de treize, peut-être plus, pendant un an et demi d'oppression, de bombardements, de faim et de soif, je n'ai pas pu compter le nombre de fois où elle a été déplacée.

Chaque fois que ma famille était déracinée, c'était comme si elle était déracinée, comme si elle portait ses tombes sur ses épaules et partait vers un destin inconnu dont elle ne connaissait pas la fin, si ce n'est qu'il était loin de la vie.

Cette scène n'était pas comme toutes les autres, mais c'était la plus brutale. J'ai vu de mes propres yeux une douleur qui ne peut être ni décrite ni même imaginée.

Plus de six heures de marche, perdu, fatigué et affamé ; après plus de quatre-vingts jours sans nourriture suffisante, sans médicaments, sans sécurité, dans un silence mondial suspect, comme si l'humanité avait décidé de fermer les yeux, d'assourdir ses oreilles et de bâillonner ses bouches, pour que la tragédie continue à saigner en silence.

Mon frère Majid, qui poussait mon neveu malade sur un chariot, s'est soudain effondré et a pleuré. Oui, il a pleuré comme si la terre s'était effondrée sous ses pieds. Le cri d'un homme ne ressemble à aucun autre ; il est plus douloureux qu'un cri, et plus brisé qu'une réparation.

Mais le cri le plus puissant a été celui de ma mère, qui possède la nationalité jordanienne, hurlant au monde comme si elle s'adressait à une conscience absente : « Où sont les pays ? ». « Nous ne voulons pas manger, nous voulons que la guerre s'arrête ».

Ces mots n'étaient pas seulement l'appel d'une mère, mais le cri de toute mère épuisée par les déplacements, et de tout homme dont la virilité est ensevelie sous les décombres de l'impuissance et de l'oppression. Elle ne demandait pas de la nourriture, elle demandait un simple droit : Que la guerre s'arrête, que la vie redevienne ce qu'elle était.

À une époque où les pays font deux poids deux mesures et où les vies sont mesurées en fonction de la géographie et de la politique, notre histoire - et celle de milliers de personnes comme nous - reste le témoignage d'un silence retentissant, d'un échec mondial et d'une constance dont nous ne savons pas comment elle a duré, mais qui, malgré tout, bat toujours

Nous n'avons pas besoin de pitié. Nous avons besoin de justice. Nous avons besoin d'humanité

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.