Mohamed LAGGOUNE

Abonné·e de Mediapart

50 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 octobre 2019

Mohamed LAGGOUNE

Abonné·e de Mediapart

Souvenirs d'un jeune prolo

Je mesure aujourd'hui la différence de traitement qui existe entre ce que j'ai vécu et ce que vit un jeune aujourd'hui. Moi qui croyait en avoir bavé, mais c'était le paradis. Les temps changent, "les parents votent et les enfants trinquent" à la votre.

Mohamed LAGGOUNE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Année 69 ou 70, scolarité ratée, foirée, enterrée ? Non ! J'ai surtout pas envie de bosser, il faut que je trouve un moyen, le conseiller d'orientation, vite ! J'ai envie de traîner mon cul au maximum sur les bancs d'école (j'ai bossé pendant les mois d'été dans une supérette de Juan Les Pins, côtoyer des salariés qui ferment leur gueule et baissent la tête en se faisant insulter à longueur de journée par un connard de gérant, très peu pour moi).

 La Conseillère d'Orientation (ouf, un peu de douceur dans ce monde de brutes) me propose de préparer un CAP de Sténodactylo Correspondancier : le nom me plaît, et plus le nom est long plus ça en jette, ok vendu.

Je me retrouve dans un très vieux bâtiment place nationale à Antibes en plein centre ville : Sur la façade est gravé « Collège d'Enseignement Technique de Jeunes Filles ». Tant pis, elle m'avait pas dit qu'il fallait changer de sexe, mais non, l'inscription n'était plus valable mais était restée (manque de budget surement.)

 Ma classe était composée d'environ 30 filles et d'exactement 2 garçons, le deuxième n'a tenu le coup qu'un mois ou deux. Donc 30 filles et un garçon. Le premier jour j'avais très peur j'ai failli prendre mon camarade masculin par la main et le serrer très fort pour me rassurer. De leur côté les filles n'avaient pas l'air d'avoir peur (elles étaient plus nombreuses). Même les profs étaient des femmes, pas l'ombre d'un moustachu chez mes enseignants. Mais très vite, les craintes ont totalement disparues. Ces 2 ans se sont merveilleusement bien passés, Deux problèmes toutefois, le premier se posait à la prof d'éducation sportive : je gagnais largement toutes les courses à pied ce qui ne me gênait pas du tout, elle me faisait reculer mais je gagnais quand même, c'était si ingérable qu'elle a négocié au stade FOCH avec les profs d'autres lycées mon intégration dans leurs courses à pied. Lorsqu'il y avait des 800 m, toute ma classe s'arrêtait pour regarder la course, j'étais bon dans cette distance, mais pour moi c'était gagner ou mourir de honte. Les mecs des autres lycées me regardaient d'un drôle d'air, à la fois envieux et haineux (t'avais qu'à faire dactylo connard). Le deuxième problème me concernait un peu, durant les deux années, je ne suis jamais parvenu à atteindre les 60 mots minutes en sténo, ni les 80 mots minutes en dactylo (ou le contraire), performances exigées au CAP. En fait je n'ai réussi qu'une fois : le jour de l'examen. Cerise sur le gâteau ; pour l'épreuve d'histoire j'ai tiré au sort le sujet suivant : l'URSS. Moi qui venait d'adhérer aux Jeunesses Communistes et qui venait de suivre une formation sur le fonctionnement, les structures, l'histoire de l'URSS la patrie des travailleurs, c'était pain béni. J'ai du réussir mon CAP de Sténodactylo Correspondancier haut la main. Le lendemain : réunion de bilan avec nos profs. Deux des meilleures élèves de notre classe avaient échoué et étaient en larmes. L'une d'elle a explosé et a lâché « Mohamed n'a rien fichu de l'année et a réussi, ça n'est pas normal ». J'étais gêné, j'ai essayé de la consoler en disant des conneries du genre « oui, le monde est injuste ! Non ce ne sont pas toujours les meilleurs qui gagnent etc) La suite de ma vie m'a montré que ce que je lui ai dit n'était pas si stupide que ça.

 Année 70 /71, plus d'échappatoire, dès que je traverse une rue, on me répond : embauché, tu commence demain ! (j'en connais un (Macron pour les intimes) qui a un peu de retard à l'allumage, il aurait dû se faire élire dans les années 70). Bref, j'alterne les petits boulots, greffeur de rose, manutentionnaire, ramasseur de tomates, manœuvre pour des maçons payés à la tâche (cadences de merde).

 Un jour, un copain me propose d'aller travailler avec lui (non déclaré évidemment) chez un patron super cool, il construit une grande villa, nous sommes 4 jeunes, le 30 nous attendons ce brave homme pour la paie, il ne vient pas. Le lendemain, villa vide, rien, quelque chose cloche, il faut agir vite, nous explosons la porte du garage, nous appelons un copain qui a une camionnette, nous chargeons la bétonnières, tous les outils outils (marteaux piqueurs, perceuses etc.....). La promotion est fulgurante, de manœuvre nous nous retrouvons vendeurs itinérants de matériel de chantiers. Ce mois ci, ma paie a été très correcte.

1971, j'ai quitté les jeunesses communistes (entre ma sœur qui me parlait d'Autogestion et du PSU et les responsables des JC que j'interrogeais sur l'invasion de la Tchécoslovaquie (j'avais également un peu de retard à l'allumage), qui me répondaient que c'était pour sauver le socialisme, je n'ai pas trop hésité. Je voulais pas sauver le socialisme, moi je voulais qu'on sauve les gens.

 J'adhère au PSU. Je décide de devancer l'appel pour le service militaire (« la bourgeoisie te donne un fusil, prends le », c'était le slogan du PSU qui avait créé IDS (Information pour les droits du soldat), c'est bon j'étais dans la ligne.

 Je demande la marine et outre mer (s'il faut partir autant connaître autre chose). Je reçois la convocation : je suis affecté dans l'infanterie et à 30 km de chez moi (Fréjus). Les 3 mois de classe (apprentissage minimum permettaient de survivre 5 mn de plus que les civils on nous apprend à courir vite). Après ces 3 mois, la plupart des appelés sont affectés ailleurs pour le temps qu'il leur reste à faire. Mais, le lieutenant nous annonce qu'une vingtaine d'entre nous doivent se porter volontaires pour faire le peloton d'élèves gradés, soit 6 semaines de plus d'entraînement plus poussé. Quelques volontaires se manifestent (c'est loin du compte), puis le lieutenant prend la parole « Les soldats que je vais appeler sortent du rang, ils sont volontaires d'office (enfin un peu de démocratie). Évidemment, il n'y avait aucune raison pour que je sois appelé, j'ai bien veillé à suivre les conseils de mon père (ne sois jamais devant, ne sois jamais derrière, moins tu te feras remarquer, plus tu seras tranquille), donc rien à craindre. Soldat LAGGOUNE ! Je n'ai pas eu le courage de lui demander s'il était sur. Bref me voilà embarqué dans des marches commandos (courir dans les descentes, marcher très vite dans les montées avec un sac à dos rempli de pierres, les derniers prenant des coups de bâtons pendant 8 km. Apprendre à monter et démonter des armes dont les pièces ont été mélangées, manier des explosifs, tirer au lance grenades (je suivais la ligne du PSU à la lettre malgré moi). Ensuite, je suis affecté à l'état major à Saint Raphael en plein centre ville. Nous avions des horaires de bureau. Un jour un officier supérieur réserve la grande salle pour fêter le mariage de sa fille. Les chauffeurs sont mobilisés pour apporter les victuailles, les boissons la sono etc.. Pour on ne sait quelle raison, les invités « de marque » après avoir commencé à manger décident d'aller se finir ailleurs. Vers une heure du matin, les copains serveurs viennent nous annoncer qu'ils reste à boire et à manger pour un régiment. Nous n'étions qu'une trentaine de bidasses, nous nous sommes précipités. Vers 2 heures du matin, nous étions saouls et avions vandalisé la salle (exemple : le lendemain, l'officier appelé pour faire l'état des lieux a trouvé une bouteille de champagne pleine encastrée dans le faux plafond qui est à plus de 2m50 de hauteur, il se demande encore ce qui a pu arriver. J'ai la réponse : concours de boules avec les bouteilles de champagne, celui qui doit tirer est tellement soul qu'au lieu de tirer à l'horizontale, il a tiré en l'air. Après ça nous sommes allés au bord de mer, l'un de nous a lancé un pari : une course tous nus sur la promenade du bord de mer. La course a eu un succès mitigé, nous entendions les cris d'encouragement des femmes attablées dans les bars mais aussi des insultes lancées par les hommes. La course terminée, nous étions sur le chemin du retour, j'étais un peu à la traîne, je vois une voiture s'arrêter près de moi, je regarde et très poliment je dis bonjour, deux types sortent de la voiture et me font monter et là je réalise qu'il s'agit de la police. J'avais l'impression d'être dans un rêve, surtout lorsque j'ai senti qu'on me berçait, en fait de bercement, ce sont mes copains qui, voyant que j'avais été embarqué essayaient de retourner la voiture des flics. J'entendais l'un d'eux n'arrêtant pas de répéter « déconne pas laisse le sortir, ils sont bourrés ». A peine sorti nous sommes rentrés en chantant.

Pour les dégâts dans la salle, l'officier chargés des bâtiments n'a probablement pas osé demander d'explication sur les dégâts pensant qu'ils avaient été provoqués par ses supérieurs. Il a fait réparer très vite.

Quand à notre virée nocturne, la police a signalé notre comportement inadmissible sur la voie publique et notre attitude agressive. L'armée a promis des sanctions, on nous a grondé.

La succession de petits boulots pénibles m'a poussé à me poser la question suivante : si tu apprenais un métier ?

Je me pointe à l'ANPE (ex pole emploi). On me reçoit très gentiment, la dame m'offre même un café (nous étions moins nombreux qu'aujourd'hui dans la file d'attente). N'ayant aucune idée de ce que je voulais faire, elle me propose un stage de 3 ou 4 mois dans un centre FPA où on pourrait me proposer un métier après évaluation.

1973, j'ai quitté les jeunesses communistes (entre ma sœur qui me parlait d'Autogestion et du PSU et les responsables des JC que j'interrogeais sur l'invasion de la Tchécoslovaquie (j'avais également un peu de retard à l'allumage), qui me répondaient que c'était pour sauver le socialisme, je n'ai pas trop hésité. Je voulais pas sauver le socialisme, moi je voulais qu'on sauve les gens.

Me voilà interne au Centre FPA de LA TREILLE (près de Marseille). La je me retrouve avec des jeunes paumés comme moi, des salariés en reconversion, des salariés licenciés, etc... Dans ma section nous avions des cours de français, math, code du travail pour l'évaluation, parallèlement nous visitions longuement les ateliers de formation pour nous permettre de faire nos choix (tous les métiers de l'industrie et du bâtiment étaient enseignés). A la fin du stage on m'annonce que je peux choisir le métier que je veux. Lors des visites (toujours le matin de 9 h à 12h00, je n'avais pas été enthousiasmé : les mécaniciens pleins de cambouis, les bâtiments toujours en train de porter des charges (sans parler du froid), les chaudronniers dans le bruit. Nous finissions souvent nos visites par les électriciens, chaque fois que nous arrivions il n'y avait personne dans cet immense atelier jalonné par une trentaine de cabines où des armoires électriques étaient fixées aux murs, même l'intérieur de ces armoires avaient un air joyeux avec ces fils de toutes les couleurs. Et chaque fois, arrivés au bout de l'atelier, sur la gauche, une grande table autour de laquelle étaient assis les futurs électriciens en train de discuter en buvant l'apéro. J'ai donc écrit sur mon souhait d'orientation que je voulais faire électricien parce que je sentais que j'étais fait pour ça. On m'inscrit pour la session qui commencera en 1975.

 Je fais la connaissance de plusieurs militants de la CFDT, à l'intérieur du Centre FPA toute expression syndicale politique ou religieuse est interdite. J'adhère à la CFDT. A cette époque nous sommes en plein conflit à l'usine LIP. Les salariés ont mis en application une expérience pleine d'espoir pour les exploités et terrifiante pour les exploiteurs « on fabrique, on vend, on se paie ». J'ai participé à quelques ventes « sauvages » de montres qui, même fabriquées et vendues par les ouvriers restaient trop chères pour moi. Les flics nous poursuivaient dans les rues, ceux qui étaient pris étaient inculpés de recel.

La police vient d'évacuer l'usine Lip , un appel à une manifestation nationale à Besançon est lancé. Jean Pierre BONAFOUS, militant CFDT me propose une place dans sa 4L. Arrivés tard la veille de la manif, nous nous endormons dans nos sacs de couchages et nous réveillons le matin sous une pluie battante. C'était la première fois de ma vie que je voyais et participais à une manif aussi importante en nombre. Sur le bord, des militants du PC tendaient une immense banderole sur laquelle il était écrit « une seule solution le programme commun ». Tous les manifestants qui passaient devant cette banderole criaient « une seule solution la révolution ». Jean Pierre BONAFOUS était une des plus puissante voix, quelques mois plus tard j'apprenais qu'il était prêtre ouvrier. Je n'ai pu m'empêcher de penser à mon père à qui je disais « Tu votes communiste alors qu'ils refusent l'idée de Dieu, pourquoi ? », ce à quoi mon père répondait « les communistes sont des chiens parce qu'ils ne croient pas en dieu mais ils défendent les ouvriers et les pauvres. Bon, tout n'est pas si simple.

En attendant ce fameux stage, je trouve un emploi de livreur de journaux, le matin à 3 ou 4 heures livraison en camionnette de Nice Matin, puis préparation et tournée pour les journaux nationaux qui arrivent vers 9HOO.

lEn 1975, mon stage commence enfin, Je me rends très vite compte que l'électricité ne m'intéresse pas plus qu'autre chose. Je m'appuie à fond sur mes camarades pour m'aider à comprendre les fonctionnements dont je me fous complètement. Les véritables sensations de bonheur et d’épanouissement sont les échanges avec les stagiaires. C'est le plus grand centre FPA de France. Chaque chambre compte 6 stagiaires. Presque tous les soirs je passe dans une chambre différente et me présente comme militant CFDT, venant discuter des problèmes. Tous les sujets sont abordés, les discussions sont parfois virulentes. J'essayais de temps en temps de ne pas m'arrêter devant la chambre des martiniquais car je savais que je ne pourrais plus en sortir avant le lendemain. Le punch (envoyé par leurs familles) qu'ils me servaient généreusement transformait le militant sérieux et attentif en zombie hébété et balbutiant. Un jour, je débarque dans une chambre jamais visitée, la discussion s'engage, un des gars propose qu'on parle de la justice. Il développe une théorie sur le laxisme, les voyous qu'on devrait pendre, les voleurs qui nous pourrissent la vie etc. Je le traite d'abruti en essayant de lui faire admettre que les voleurs dont il parle sont des voleurs de poules qui sont emmerdants mais que les gros voleurs sont ceux qui bousillent nos vies et font le plus de mal. Ceux là sont plutôt protégé par la justice.

Le lendemain, je suis abordé par un jeune qui était présent lors du débat houleux. Il me dit « je m'appelle Gilbert, j'ai bien aimé ce que tu as dis hier. Je suis en liberté conditionnelle, j'avais le choix entre suivre cette formation ou faire ma peine. Je veux bien adhérer à ton syndicat ». Nous sommes devenus proche. Un jour, il me propose de passer le week end avec ses amis à Marseille. J'accepte volontiers. Il m'avertit quand même, y en a qui sont pas dans la légalité absolue. Après être passé chez lui, il m'emmène dans un bar, il embrasse le patron, me présente. Le patron nous envoie dans une grande surface où nous achetons (en suivant sa liste de courses) plusieurs bouteilles de pastis, de whisky etc... Nous rentrons, le patron laisse l'employée servir et nous descendons à la cave. Là on m'explique comment transvaser le liquide acheté dans la grande surface dans les bouteilles vides du bar. On m'a expliqué que ça n'était pas les mêmes bouteilles, en cas de contrôle plus de soucis.

Puis après cette opération et quelques pastis, Gilbert m’emmène dans un quartier assez chic. Il sonne à la porte d'un grand immeuble bourgeois, il s'annonce au parlophone. Nous montons, il sonne à la porte d'un appartement, la porte s'ouvre un homme en costume très élégant prend Gilbert dans ses bras et lui dis « Ca y est tu es sorti! » Gilbert me présente, nous rentrons, ce que je croyais être un appartement était en fait un immense « bar ou café ou ? » . Mon état ne permettait pas de faire la moindre analyse, un homme est venu me voir et m'a dit « tu veux discuter avec une fille?). J'ai dû balbutier un vague « non merci ».

Je me souviens que tout le monde est descendu, Gilbert me dit on va en boite, je lui dis que je n'ai pas d'argent, il me rassure en me montrant l’homme qui nous a ouvert la porte : « c’est lui le patron de la boite et il nous invite.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.