Dans les années soixante, soixante dix, la plupart des familles étaient à peu près sur la même longueur d'onde sur les questions de sexe et de nudité. On ne parlait surtout pas de ces choses.
Dans ma famille, on poussait le bouchon un peu peu plus loin : on n'avait même pas le droit d'y penser. Lorsque nous avons eu la télé, nous regardions fascinés, assis autour de notre mère la chaîne unique. Quand nous regardions un film, notre angoisse était que notre père rentre dans la pièce au moment où une actrice embrassait son partenaire. Là, la sanction était immédiate : mon père éteignait la télé et nous disait « allez vous couchez ! ». Sinon tout se passait bien, mes frères et sœurs rigolions bêtement, ma mère prenait un air scandalisé en mettant ses mains devant les yeux, prenant bien soin d'écarter les doigts pour ne rien manquer de la scène.
Dehors, les choses étaient plus simples pour moi. Mes copains avaient les mêmes problèmes que moi. Nous avions des échanges très sérieux sur le corps des femmes. Un copain avait même réussi à nous faire croire que la foufoune des chinoises était horizontale. A 13 ou 14 ans, l'un de nous a réussi à piquer une des revues de son père. Pour nous mettre l'eau à la bouche, il nous faisait entrevoir la photo en noir et blanc d'une femme nue aux gros seins et au sexe très poilu. Image terrifiante mais tellement attirante. Nous avons tous dus nous délester de nos avoirs (billes, canifs, argent etc..) pour avoir accès aux autres pages. Tout ça nous changeait des pages « sous vêtements femmes » du catalogue de la redoute.
Certains commençaient à avoir des relations salivaires avec des filles. Ils nous racontaient et nous expliquaient comment il fallait faire.
Pour ma part, je m'en tenais aux photos et à l'audition de mes copains « spécialistes ». On m'avait bien rentré dans la tête que les français ne nous aimaient pas (pour moi à plus forte raison les françaises).
Mon père, ne cessait de me répéter : « je te marierai à une arabe, pour le moment elles obéissent, les françaises elles n'obéissent plus à leur mari »
Les discours racistes qui se répandaient après la guerre d'Algérie ont fini de me persuader que j'étais moche et que je ne pouvais plaire à aucune fille.
Un jour pourtant, je devais avoir 16 ans, un copain nous propose d'aller voir une grotte dans le quartier Saint Jean à Antibes. Après avoir garé nos mobylettes, nous visitons cette petite grotte. Puis nous décidons de repartir. J'étais l'avant dernier, une main me retient, les autres partent. Je ne connais pas très bien la fille qui me dis de m'asseoir. Nous discutons un peu, je suis terrorisé. Elle m'embrasse, me caresse, je ne sais pas quoi faire. Nous sommes nus, nous nous caressons. Pénétration impossible. J'étais à la fois honteux de ne pas avoir assuré et heureux qu'une fille se soit intéressée à moi.
L'arrivée de mai 68 a fini de faire voler en éclat mes peurs théoriques. Dans les faits, je n'ai jamais réussi à dire à une fille qu'elle me plaisait. Heureusement cette période, marquée par le refus des conventions m'a toujours placé en situation d'être « invité » au lit.
Je pensais avoir enfin surmonté mes appréhensions envers les femmes. Mais lors d'une soirée, deux filles, visiblement amusées par ma timidité, m'ont entraîné dans une chambre.Mon air décomposé semblait les ravir. J'ai pu mesurer le décalage entre mon éducation et l'amusement de ces filles qui exploraient mon corps dans ses moindres recoins. Le lendemain j'allais rentrer chez moi et sûrement voir mon père éteindre la télé parce que Michelle MORGAN embrassait un type sur la bouche.
Cette période a également vu l'affirmation de mouvements homosexuels. Michel, un copain, militant du PSU avait provoqué l'effroi au PTT en disant à ses collègues de travail, qu'il était homosexuel, ils refusaient de l'admettre.
Un jour, je suis à la plage (à Golfe Juan, entre Cannes et Antibes, cette plage avait une réputation sulfureuse) avec Michel et sa sœur, qui me plaisait beaucoup. Je fais semblant de dormir et la regarde se baigner. Je suis sur le ventre pour dissimuler mon érection. Christian, me croyant endormi, me caresse le dos longuement, ne sachant comment réagir, je continue à faire semblant de dormir, encore une situation qui n'était pas dans le manuel.
Un soir, je raccompagne deux copains qui vivent en couple. Ils m'invitent à boire un verre, puis 2, puis 3 etc.. Ils me proposent des caresses. Je leur explique que je ne suis pas du tout attiré par les hommes. Ils insistent pour me faire une fellation en me proposant de fermer les yeux et d'imaginer ce que je veux. J'accepte, mais au bout d'une demi heure, je les sens désespérés et essoufflés, rien ne se passe. Raté !