Mon père, je veux venir au catéchisme ! « Pourquoi Mohamed ? »
Je ne veux pas rester seul à attendre mes copains tous les mercredi. Pourquoi je ne peux pas venir ? En plus, il paraît que vous racontez de belles histoires !
Tu sais, Mohamed, je ne crois pas que ton père sois d'accord pour que tu viennes au catéchisme, ta religion est différente de celle de tes copains.
Je m'en fiche, je veux venir ! Demandez à mon père, je suis sur qu'il sera d'accord !
Moi qui n'avait jamais quitté ma famille, un seul jour, mon père refusait même de m'envoyer en colonie de vacances (pourtant gratuites), de peur qu'on fasse du mal à son fils aîné), je me retrouve à 8 ou 9 ans dans un sanatorium en Ardèche tenu par des sœurs.
Un an auparavant, il avait neigé à Antibes, la joyeuse bataille de boules de neiges le matin dans la cour de l'école Guynemer s'est soldée le soir par une fièvre carabinée pour aboutir à une sérieuse pleurésie. Quinze jours d’hospitalisation qui m'ont persuadé que tortionnaire et infirmière étaient des synonymes. Tous les deux ou trois jours, des infirmières me maintenaient immobile pendant qu'on me plantait une longue aiguille entre les cotes pour ponctionner l'eau de mes poumons.
L'annonce de mon départ pour un sanatorium fut pour moi un soulagement. Fuir cet hôpital, ces horribles infirmières était mon rêve absolu.
Il n'aura fallu que que quelques jours pour dissiper mes inquiétudes sur cet endroit bizarre situé près d'Aubenas en Ardèche. Les sœurs n'avaient pas de seringues,il n'y avait que 2 ou 3 heures d'école, j'ai très vite sympathisé avec les autres enfants. Seul point noir, le catéchisme : tous les mercredis après midi je me retrouvais seul pendant que mes copains suivaient les cours de catéchisme. A leur retour, ils me racontaient ce qu'ils avaient appris, en finissant toujours par « dommage que tu ne puisses pas venir ». Si au moins, ils pouvaient la fermer.
Quelques jours après ma demande, le père Charray est venu me voir et m'a annoncé une nouvelle qui m'a rempli de joie. « J'ai écrit à ton père pour lui transmettre ton souhait, il m'a répondu qu'il était d'accord pour que tu viennes au catéchisme avec tes camarades »
A ma première participation, le prêtre a expliqué aux autres enfants que j'étais musulman et a expliqué les points communs et les différences entre les deux religions.
Le soir, mes copains m'ont posé des questions sur l'islam, auxquelles je répondais n'importe quoi quand je ne savais pas, trop fier d'attirer l'attention. J'ai terminé en leur montrant comment mon père faisait ses prières (uniquement la gestuelle, évidemment).
A mon retour à la maison, j'avais dans mes bagages, des expressions inconnues ou des « bonnes manières » qui provoquaient des éclats de rires chez mes frères et sœurs (par exemple, pendant des semaines je disais Vois là bas au lieu de dire regarde ou Vé là bas). Heureusement je suis très vite rentré dans le rang.
La reprise de l'école après deux années de quasi dispense fut très désagréable à cause de mes deux sœurs qui me précédaient année après année. Les institutrices m'accueillaient chaleureusement pensant que j'allais être aussi brillant que mes frangines mais déchantaient très vite. Pour couronner le tout, à chaque trimestre, mon père me secouait en me disant « si je pouvais enlever l'intelligence de tes sœurs et te la rentrer dans la tête ». Je n'ai jamais pensé que les femmes étaient inférieures, ce qui m'a pourri la vie c'est la supériorité intellectuelle de mes frangines.
Durant ces années, nous étions bercés par le son de la radio égyptienne, mon père écoutait tous les soirs une émission qui s'appelait « le martyr arabe » je crois. Je ne comprenais pas ce qui se passait : l'air grave de mon père, les visites discrètes et courtes d'hommes qui venaient voir mon père, les discussions à voix très basse ; des années plus tard, j'ai appris que mon père participait aux activités du FLN .
Avant de s'installer en France, il enseignait dans la petite mosquée de son douar dans la région de Sétif. La plupart des travailleurs immigrés d'Antibes avaient été ses élèves. Son influence était donc considérable. Un jour, un homme est arrivé pour annoncer qu'un de ses compagnons de chambrée avait été frappé violemment par des militants du FLN parce qu'il leur a dit qu'il ne pouvait pas participer à l'impôt révolutionnaire. Mon père à rompu toute collaboration avec le FLN, il a été convoqué, sommé de s'expliquer devant des responsables régionaux. Non seulement, il a confirmé son désengagement, mais il a dénoncé les agissement de ces petits responsables locaux qui rackettaient les ouvriers pour se payer des costumes et des voitures sans aucune crainte de dieu. Les menaces à son encontre n'ont pas été suivies d'effet.
Mon père, rétribué en poulets et en kilos de blé pour son activité d'enseignant à la mosquée, a décidé en 1936 d'aller en France. Arrivé à Antibes avec son cousin (son premier boulot figurant dans un film tourné au Fort Carré : « on était payés pour rire et applaudir de temps en temps, ils sont fous ces français) , en pleine crise, il sillonne la région à la recherche du moindre boulot. En 1939, dès la mobilisation générale, mon père décide de retourner en Algérie considérant que cette guerre est une affaire entre roumis (européens). Son cousin décide, lui, de rester, il mourra en déportation quelques années plus tard.
Mobilisé en Algérie quelques mois plus tard, sous les ordres d'un lieutenant Pied Noir, les consignes données sont simples « Il se passe quelque chose à droite, on fonce à gauche : il se passe quelque chose à gauche, on fonce à droite ». Mon père gardera un très bon souvenir de cet officier.
Dans les années 60, il est embauché comme balayeur à la ville d'Antibes. Fin de la guerre d'Algérie, conformément aux « accords d'Evian » il doit opter pour une des deux nationalités. Il choisit d'être Français (rester algérien aurait immédiatement entraîné son licenciement de la ville d'Antibes). En 67 ou 68, il va en Algérie où ma sœur aînée l'accueille. A la douane, un jeune (embauché?) le somme de s'expliquer sur son choix de nationalité française. Mon père lui a répondu « donne moi un travail payé comme le mien, des allocations familiales pour mes 6 enfants, un logement et je me fais ce que tu veux Chinois ou Israélien comme tu veux ». Ma sœur était liquéfiée et le suppliait de se taire. Heureusement, un vieux douanier a dit au jeune qu'il prenait le relais et a dit à mon père « ne fais pas attention, il ne connaît pas la vie.
La guerre d'Algérie est terminée, premier jour de rentrée scolaire, nous sommes en rang deux par deux, mon camarade de devant se mouche en bouchant l'une de ses narines et expulse sa morve par terre. La prof , une nouvelle, se précipite sur lui et lui jette « vous vous mouchez comme les arabes ? » Cassure ! (pour moi un enseignant ne pouvait pas dire ça)
Autre petit incident qui m'a marqué à jamais, j'ai 16 ou 17 ans, je dois aller en Algérie pour la première fois (j'étais dans le ventre de ma mère lorsu'elle est arrivée en France, en 1952). Il me faut un passeport, je réunis les pièces nécessaires, je dis à ma sœur, je vais au commissariat cet après midi. Ma sœur me répond qu'elle aussi doit y aller pour voir sa copine, la fille du Commissaire Ferrari qui à une maison de fonction à proximité. Ma sœur me propose de passer boire un café avant de passer dans les bureaux. Une fois là bas, Anne marie, la fille du commissaire propose de m'accompagner car elle n'est jamais allée dans les bureaux. A peine arrivés dans la salle d'attente, un flic nous invite à entrer dans son bureau. Je lui tends mon dossier, il regarde, me regarde, prend un air dégouté et se me à marmonner « putain, Mohamed, putain Mohamed » je lui précise que ne suis pas la pour méditer sur ses réflexions mais pour un passeport. Il me dit « ta gueule, ici tu fermes ta gueule (un truc de ce genre). Anne Marie et Barka sont derrière moi stupéfaites. Anne Marie dit au flic« vous savez qui je suis? » - Le flic « tu n'es qu'une salope qu'est ce que tu fous là ? (un truc de ce gnre) – Anne Marie « Je suis Anne Marie FERRARI, la fille de votre commissaire. ! ».
Un silence absolu s'installe, je suis hagard, le flic est hagard, ma sœur est hagarde, Anne Marie est hagarde. Le flic ne regardait pas du tout les filles, il avait les yeux fixés sur moi, le problème c'est que ses yeux étaient devenus vides, ce qui me désarçonnait encore plus. Au bout d'un long moment une petite lueur est apparue dans les yeux du flic, qui là m'a regardé en laissant couler des larmes (était ce de la conjonctivite ou du chagrin, dieu seul le sait). Il s'est agenouillé devant moi (merde, il ne va pas se convertir quand même). Il a soulevé sa chemise et ma montré 2 ou 3 marques plus ou moins rondes (blessures de balles ?, morsures d'un arabe?). Je n'ai pas eu le temps de faire une enquête, il s'est adressé à moi (surtout pas aux filles) en sanglotant « j'ai des enfants, mon travail, j'ai des enfants »(un truc de ce genre. Moi j'étais tellement mal que je n'arrêtais pas de balbutier « mais levez vous monsieur, ce n'est rien, levez vous monsieur, ne restez pas comme ça » (un truc de ce genre. Il m'a dit que mon passeport serait prêt dans quelques jours, qu'il s'en occupait personnellement (parole tenue). Une fois sortis, Anne Marie a dit qu'elle allait en parler à son père, sa mère et moi avons insisté pour qu'elle ne dise rien «sa famille risque de payer les pots cassés). Je n'étais pas encore militant à cette époque, aurais je eu la même attitude ? Si cet incident a servi de leçon à ce flic tant mieux sinon, je demande pardon à tous les noirs et les arabes qui auront été victime de ce type. Une dizaine d'année plus tard, j'ai croisé ce flic Place de Gaule nous nous sommes reconnus, nous nous sommes regardés, mais nous ne nous sommes pas plus aimés.
J'ai parle à mon père de ces incidents, il m'a expliqué que les français ne nous aime pas et ne nous aimeront pas surtout après ce qui s'est passé. La seule chose à faire est d'apprendre, de lire et de se comporter de façon digne, de ne pas répondre aux imbéciles.
Au titre d'employé municipal, mon père a droit à des bons de douche municipale ce qui change de la grande bassine percée accrochée au plafond que mon père remplissait d'eau réchauffée sur le poêle. L'obsession de ma mère était notre propreté. Il ne fallait pas leur faire honte devant les français. Décidément, ils commençaient à me gonfler ces français.
Plus tard, ma mère s'énervait quand l'un de ses enfants ne trouvait pas de travail « J'aurais dû vous appeler zezef (joseph) pour que vous ayez une chance d'être pris.Ma mère qui a fait treize enfants et qui a osé demandé discrètement au médecin de famille si il ne pouvait pas faire quelque chose pour limiter les naissances. Ce médecin l'a engueulée et lui a dit de se sortir ces mauvaises pensées de la tête. Chrétiens Musulmans même combat (tous unis contre les femmes)
Fréquemment, une scène se reproduisait : une femme arrivait à la maison en pleurs parce que son mari l'avait battue. Ma mère la prenait dans ses bras. Mon père qui quittait son bleu de travail pour se mettre en gandoura dès qu'il rentrait à la maison, s'habillait, me prenait la main et m'emmenait dans les rues d'Antibes à la recherche du mari. Une fois repéré (souvent sur un banc public) en train de blaguer avec ses copains, mon père lui faisait signe de venir. Une fois devant lui, le mari avait droit à un sermon en bonne et due forme, un verset du coran et systématiquement un crachat dans la gueule.
J''étais à la fois choqué et admiratif, mon père était grand et marchait très vite (j'avais du mal à le suivre), tout en marchant, il me répétait toujours et toujours la même chose « Il ne faut jamais faire confiance dans une femme mais il ne faut jamais frapper une femme, ceux qui frappent une femme ne sont pas des hommes. Il faut que ta femme ne manque de rien, si tu n'as pas grand chose tu dois tout donner à ta femme, il faut en prendre soin.
En grandissant, j'étais de plus en plus perplexe devant l'attitude de mon père. A peine rentré du travail, son premier geste était de prendre son coran, un vieux livre écrit à la main datant du XVIIIème siècle (un jour je lui ai demandé s’il me le donnerait, il m’a répondu que je n’en étais pas digne). Il organisait à la maison des lectures collectives du coran, des débats autour de sujets différents.
Je n'ai jamais fait le ramadan, je n'ai jamais voulu faire de prière et j'ai souvent essayé de le mettre en difficulté par des questions que je pensais embarrassantes.
Si tu n'as rien à manger et qu'on risque de mourir de faim devant un cochon que fais tu ?
« Je le tue, je le fais cuire et je le mange, Dieu interdit à un homme de renoncer à la vie. »
Et l'alcool, pourquoi est il interdit ? « L'alcool n'est pas interdit, ce qui l'est c'est perdre sa dignité en n'étant plus maître de son corps et de son esprit. Mais tu connais les arabes, tu leur donnes ça, il prennent ça ! Alors les savants se sont dit qu'ils valait mieux décréter l'interdiction
De bons musulmans d'Antibes m'ayant vu manger pendant le ramadan ou boire une bière à la terrasse d'un café se sont empressés d'aller demander à mon père ce qu'il comptait faire pour me remettre dans le droit chemin. La répons était simple, j'ai fait ce que j'avais à faire, je lui ai dit ce que j'avais à lui dire, je prie pour que Dieu le guide dans la bonne voie.
Lorsque mes sœurs ont passé leur bac, mon père n'a pas hésité à s'endetter pour leur acheter une voiture qui leur permettrait d'aller à la faculté de Nice car il était hors de question qu'elles dorment ailleurs qu'à la maison.
Ma sœur qui avait un an de plus que moi, avait commencé à militer au PSU, moi j'avais un copain qui était au jeunesses communistes. Je l'ai accompagné à une réunion, avant de commencer « apéro, présentations, discussions informelles, rigolade, ça m'allait très bien. Tout le monde se tutoyait, même les profs (ce qui me semblait inconcevable), les patrons (qu’est ce qu’ils foutaient là) Carlos Gone était excusé).
Puis la réunion commence, le sujet principal de le l'ordre du jour est le soutien à la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance. Là ça me parlait vraiment, j''étais heureux, dans un état second, était ce le sujet de la réunion, le pastis ou les deux à la fois. Résultat, j'ai adhéré le soir même. Il fallait trouver des fonds pour que les résistants vietnamiens puissent avoir des armes. Il leur fallait aussi des foulards ? J'ai demandé pourquoi, mon voisin ma répondu que c'était probablement pour étrangler des américains, la réponse m'avait tout à fait satisfait.
En mai 1968, les lycéens de WILSON sont venus au collège FERSEN nous demander de les rejoindre, le Surveillant Général (Surgé pour les intimes, la terreur ambulante pour les inadaptés comme moi (50 ans après j'ai l'impression d'avoir encore la marque de ses godasses sur mes fesses, il aurait fait un très bon footballeur) vient au portail pour nous intimer l'ordre de rentrer. Je vois alors un gars du lycée ( Daniel ALATI qui deviendra un ami plus tard) monter sur une borne et appeler à la désobéissance. C'en était trop pour Surgé qui s'est prcipité sur Daniel pour le faire tomber de son perchoir. Daniel, sans doute meilleur footballeur a fait une reprise de volée sur la tête à Surgé. Nous sommes tous partis manifester, pourquoi ? Je ne saurais le dire mais j'étais heureux.