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Sur des réseaux sociaux, comme sur Mediapart, une phrase prononcée par le juge Marc Trévidic, lors d’une interview publiée dans le journal « Le télégramme » (lire ici) fait le buzz. Elle est désormais récupérée et instrumentalisée par des sphères islamistes faussaires, très intéressées par ailleurs, pour tenter de laver l’islamisme - qui prend en otage toute une religion - des tares jihadistes non avouées, en sotant sur la première occasion qui se présente.
La phrase originale, coupée de son contexte et transformée ensuite, est, mot par mot : « La religion n'est pas le moteur de ce mouvement ». Le terme « mouvement », faisant allusion aux départs de nombreuses personnes, surtout jeunes, pour « faire le jihad », s’est vu remplacer, sans aucune précaution, par le mot « jihad » - y compris par la rédaction du journal en question - au risque de produire un non-sens manifeste.
Ainsi, le juge Marc Trévidic n’a pas prononcé, dans cette interview, cette phrase : « La religion n'est pas le moteur du jihad ». Et pourtant, ce propos lui est désormais attribué. Le pire, c’est que cette phrase, formulée de la sorte, n’a plus aucun sens, si ce n’est le sens de l’absurde. Car qu’est-ce que le Jihad sans religion, en l’occurrence musulmane ? Le « jihad » peut-il avoir un sens sans liens avec la « religion » ? Un match de football peut-il avoir un sens sans terrain, sans ballon et sans joueurs (à moins que ce ne soit un FIFA 15 sur PS 3) ?
Ce que le juge Marc Trévidic a dit, c’est d’abord cette phrase : « Le nombre de personnes atteintes de délire jihadiste est exponentiel ! » Ici, le juge parle bien d’un nombre exceptionnel de personnes atteintes de « délire jihadiste ». Le juge n’a pas dit de délire sexuel, ou de délire psychotique ou d’autres délires chroniques. Il pouvait toutefois dire délire sexuel car l’Etat Islamique attire des « prostitués labellisées halal » pour assouvir les besoins des moujahidouns. L’on parle même du « jihad sexuel » - jihad al-Nikah en arabe. En Tunisie, le retour de ces prostitués halals, enceintes du terrain du combat, pose un sérieux problème national à l’Etat (Lire en arabe ici). Le juge Marc Trévidic précise bien le type de délire concerné : le « délire jihadiste ». Dans cette expression, le terme « jihadiste » a une signification, et surtout une signification religieuse. Car le terme « jihad », à la base, est un vocable religieux chargé de sens, d'actualités et d’histoire. Mais qu’est ce qu’un « délire jihadiste » après tout ? Quels sont ses symptômes ? Quelles sont ses causes ? Qu’est-ce qui le provoque ? Qui est-ce qui l’alimente et l’entretient en permanence ?
Le juge précise ensuite la source d’une réelle inquiétude relative à la nature de la population de ces personnes atteintes du « délire jihadiste ». Il dit : « La population concernée est plus jeune, plus diverse et aussi plus imprévisible, avec des personnes qui sont à la limite de la psychopathie ... mais qui auraient été dangereuses dans tous les cas, avec ou sans djihad (...). » Cette phrase utilisant l’indicatif affirmatif au début et le conditionnel de précaution à la fin, semble ne pas avoir inquiété les islamistes faussaires et leurs relais médiatiques. Mais dans le cas qui inquiète le commun des mortels - y compris le juge Marc Trévidic - c’est que cette population jeune, diverse et imprévisible, à la limite de la psychopathie est atteinte d’un « délire jihadiste » tout à fait inquiétant, et pour de bonnes raisons. D’ailleurs, à la question de savoir s’il faudrait s’inquiéter des retours des jihadistes en France, le juge Marc Trévidic répond sans détour : « Clairement. »
Le juge sollicita ensuite des données chiffrées pour expliquer les profils, les proportions et les motifs des candidats au jihad armé. Il dit : « Ceux qui partent faire le jihad agissent ainsi à 90 % pour des motifs personnels : pour en découdre, pour l'aventure, pour se venger, parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans la société... Et à 10 % seulement pour des convictions religieuses : l'islam radical. » Mais cela ne renseigne pas sur les motivations et les constructions idéologiques qui se trament, à l’arrière plan, et qui convainquent des candidats jeunes à quitter leurs familles, leurs amis, leurs quartiers et leurs scolarités, et partir faire le jihad armé.
Dans cette déclaration, lorsque le juge dit : «pour en découdre », l’on ne sait pas « contre qui ? » ni « pourquoi ? ». Lorsqu’il dit : « pour l’aventure », cela n’avance aucune explication au sujets des motivations ni pourquoi le terrain choisi de l’aventure est exclusivement un terrain du jihad islamiste sous la banière de l'Etat Islamique. Lorsqu’il dit : « pour se venger », l’on ne sait pas "de qui ?" ni "pourquoi ?". Sinon, concernant les 90%, agissant pour motifs personnels et les 10% agissant pour convictions radicales religieuses, cela n’est guère surprenant. J’ose dire que les choses se présentaient toujours, avec ces proportions relatives, depuis la nuit du temps. A l’époque même du Prophète, nombreux sont les compagnons qui participaient aux expéditions pour des raisons autres que religieuses. Il y avait ceux qui visaient le butin. Il y avait ceux qui visaient les femmes. Il y avait ceux qui visaient la vengeance de leurs anciens persécuteurs. Le Coran en témoigne de la présence de ces catégories à côté d’une presque minorité qui était plutôt désintéressée et était plutôt animée par des motivations purement religieuses.
D’ailleurs, dans un hadith, très connu des islamistes faussaires et considéré comme étant authentique, le prophète - et non pas le juge Marc Trévidic - aurait dit : « Les actes ne valent que par les intentions. Et à chacun selon son dessein. Celui qui émigre pour Dieu et Son Messager, son émigration lui sera comptée comme étant pour Dieu et Son Messager. Et celui qui émigre pour acquérir des biens de ce bas monde ou pour épouser une femme, son émigration ne lui sera comptée que pour ce vers quoi il a émigré ». Cela signifie que pour l’émigration vers Médine, considérée comme un acte fort du jihad, il y avait ceux qui ont émigré pour Dieu et pour son Messager - motivations religieuses - et il y avait ceux qui avaient émigré pour l’argent et les femmes - autres motivations. D’où l’intérêt de ce rappel de Mohammed à l’adresse de ses compagnons.
Les expéditions et conquêtes après sa mort avaient aussi diverses motivations. Ce qui a été annoncé, c’est le devoir religieux d’apporter le message coranique vers d’autres peuples. Mais ce qui n’a pas été annoncé clairement, et qui n’est toujours pas assumé malgré les preuves et les indices, ce sont toutes ces motivations politiques, économiques et militaires des califes, des omeyyades et des abbassides après eux, qui n’avaient rien avoir avec le fond du message coranique. Comment des tyrans et des coupeurs de têtes connus, comme furent bons nombres de califes et de leurs princes de guerre, puissent prétendre avoir apporté la bonne nouvelle pacificatrice aux peuples ?
Il y avait toujours une minorité, peut-être d’un peu moins de 10%, qui avait de sincères motivations religieuses. Ce que l’on pourrait appeler la minorité d’entrainement, ou la minorité active. Et il y avait une majorité de mercenaires de guerre et de courtisans, qui n’avaient que faire de la religion. Leurs motivations étaient ailleurs. Si les statistiques du juge Trévidic sont justes, cela veut dire simplement que l’islamisme, le salafisme et le jihadisme sont simplement fidèles à leurs ancêtres qui avaient conquis des territoires grâce aux sabres, cherchant le pouvoir pour le pouvoir, et utilisant le Coran comme simple étendard !
Ensuite, le juge d’instruction rajouta cette phrase, explicitant cette dynamique - très ancré dans l’histoire dite musulmane - caractérisant ce mouvement des départs jihadistes : « La religion n'est pas le moteur de ce mouvement et c'est ce qui en fait sa force. » En effet, si les anciens leaders avaient compté sur le seul discours religieux pour motiver les troupes, il n’y aurait pas autant de candidats. Les motivations sexuelles, par exemple, miroitées par des hadiths concernant les houris du paradis ne suffisaient pas. Selon d’autres hadiths, le prophète aurait invité d’autres motivations pour booster ses troupes.
Chakib Benmakhlouf, ex-président de l’Union des Organisations Islamiques en Europe (FOIE) - qui n’est, par ailleurs, pas un jihadiste au sens de l’Etat Islamique - avait évoqué, en parlant du projet islamiste des « Frères Musulmans » pour l’Europe, lors d’une interview donné au quotidien arabe al- Ascharq Al-Awsat du 20 mai 2008, l’extrait significatif d’un récit biographique, attribué au prophète, motivant ses troupes, en leur annonçant des victoires, des richesses et la conquête des palais d’Orient et d’Occident.
L’histoire complète à laquelle faisait allusion ce leader « frère musulman » européen, raconte que les compagnons du Prophète se sont mis à creuser une tranchée protectrice, à proximité immédiate de Médine, lors de la « bataille du fossé », quand tout à coup, certains parmi eux se sont vus défier par un solide rocher. Ils expliquèrent cela au Prophète. Celui-ci décida alors de prendre les choses en main. Le Prophète emprunta la pioche de Salmãn - celui qui l’avait conseillé pour creuser. Il frappa un premier coup, puis un deuxième et puis un troisième. A chaque coup, le rocher se fissura davantage ; une lumière jaillit. A chaque lumière, le Prophète cria : « Dieu est Grand ! » et les musulmans répétèrent après lui. Ensuite le Prophète se tourna vers ses compagnons et leur expliqua ce qu’il voyait dans la lumière éblouissante qu’ils avaient vu, après chaque coup de pioche. Il dit : Après le premier coup, cette lumière m’éclaira les palais d’Al-Hira et ceux d’Al-Madâ’in - le nom donné à l’époque à la capitale de la Perse, je les voyais comme s’ils étaient les canines des chiens. L’ange Gabriel m’a dit que ma nation en sera victorieuse, nous les dominerons, alors soyez heureux de cette bonne nouvelle ! Après le deuxième coup, la lumière m’éclaira les palais rouges des terres de Rome, je les voyais comme s’ils étaient les canines des chiens. L’ange Gabriel m’a dit que ma nation en sera victorieuse, nous les dominerons, alors soyez heureux de cette bonne nouvelle ! Après le troisième coup, la lumière m’éclaira les palais de Sana’a au Yémen, je les voyais comme s’ils étaient les canines des chiens. L’ange Gabriel m’a dit que ma nation en sera victorieuse, nous les dominerons, alors soyez heureux de cette bonne nouvelle ! Fin du récit.
Les islamistes croient en ce récit et l’utilisent pour motiver, matériellement, leurs troupes, qu’ils mènent un jihad armé, ou qu’ils mènent un jihad doux et sournois dans une grande marmite à grenouilles (lire ici), chauffé à petit feu ... d'enfer !
Par ailleurs, le juge a raison de rappeler que la déradicalisation, à elle seule, ne suffirait pas comme seule et unique réponse au jihadisme. La République et toutes ses forces vives doivent prendre ses menaces réels au sérieux, sans pour autant verser dans un délire psychotique collectif, pour éradiquer les raisons, diverses et variées, sur lesquelles se basent l’islamisme et le jihadisme pour s’étendre, ici et ailleurs.
Les réponses sécuritaires sont nécessaires, dans le cadre de la loi et sans tentations liberticides. Mais elles ne sont pas suffisantes. D’autres réponses (éducatives, économiques, sociales, judiciaires, médiatiques, intellectuelles, …) doivent êtres formulées et mises en place, avec les moyens suffisants, pour mener ce combat contre la radicalisation religieuse et contre les terreaux qui lui sont favorables. En cela, le juge Trévidic rappelle que : « placer la déradicalisation sous ce seul filtre - [religieux] - ne pourra pas fonctionner. » Il n’a pas tort de le dire ainsi.
Enfin, le juge attire l’attention sur les dérives sécuritaires qui peuvent accompagner cette lutte vitale contre le terrorisme. Il considère que, pour l’instant, le gouvernement privilégie le renseignement plutôt que le judiciaire. Ainsi, le gouvernement aurait plus de facilité à contrôler l’un mais pas l’autre. Le juge utilisa un autre pourcentage pour dire que dans 95% des cas de personnes, travaillant dans le cadre du renseignement, « tout va bien ». Ce qui suppose la présence d’une minorité de 5% d’agents et de policiers qui seraient plutôt contrôlables par l’exécutif. Chose qui doit soulever naturellement des questions légitimes dans un cadre démocratique.
Cependant, si l’on doit s’inquiéter et se poser des questions - démocratiques - sur les probables 5% d’agents, issus des services de la sureté nationale, qui marcheraient probablement sous les ordres de l’exécutif en place, pourquoi devrait-on ne pas s’inquiéter, de la même manière, et ne pas se poser des questions - démocratiques aussi - des 10% de jihadistes qui sont motivés par des desseins de domination religieuse, par la violence des armes, ainsi que des autres 90% qui les suivent, en partie, pour ces belles houris d’ici-bas et pour celles, soixante dix me semble-t-il, promises pour chaque combattant martyr dans l’au-delà ?