A l'annonce de la nomination de M. Tidjane Thiam à la tête d'une des plus grandes institutions financières mondiales, malgré mes tendances politiques « libertaires gauchistes » (sic), je jubilais.
Assis dans un café parisien, avec des amis de provenances ethniques diverses (Africaines, Européennes, Asiatiques..), je me mis à commenter la nouvelle...
Et là quelle ne fut pas ma contrariété, alors que presque tous étaient unanimes pour apprécier le symbole et se réjouir de l'ascension d'une personnalité Africaine de cette envergure, quand j'entendis venant de deux con-patriotes (il n'y a pas de faute d'orthographe), la question qui sert de titre à ce billet...
« Ton » Tidjane Thiam-là il est Ivoirien d'où ? »
Pour information M. Thiam a des ascendants d’origine sénégalaise mais natif de Côte d’Ivoire (son père fut un ministre d’un ou plusieurs (?) gouvernements d’Houphouët Boigny) et il a la nationalité ivoirienne. Fut à son tour ministre de la république ivoirienne.
Cette question avait pour un « initié » un sens bien précis : le déni de son appartenance au peuple ivoirien. Ce qui pour certains ivoiriens de la mouvance dite « ivoiritaire » équivaut à en faire un être « inférieur ».
J'ai compris tout de suite que le déjeuner risquait d'être animé...
« Ivoirien d'où? » repris-je.
« Oui. D'où ? ». La question venant d'un universitaire diplômé de 3e cycle, avait de quoi désarçonner...
Je répondis sans me démonter qu'il était un Ivoirien de … Cocody ou de la Riviera…Je ne savais pas. Faut dire qu’on n’est pas des potes Tidjane et moi, je ne sais pas beaucoup de choses de lui :-)
« Oui, Ivoirien de Cocody », j’avais répondu avec (presque) de la sincérité.
« Tu te fous de ma gueule ?" Me questionna-t-il, très remonté. L’ambiance se dégradait à vue de nez…
A ce moment notre ami Chinois fan Alpha Blondy dont il maîtrise le répertoire, pensant décrisper l'atmosphère, dit tout haut :
« Il est de Cocody Rock? C’est ça ? ».
Comme je savais que « l'affaire allait chauffer » et qu'il fallait éviter d'amener le groupe dans le piège ouvert, je lui répondis que ce n'était pas le moment de déconner et que si ce n'était pas parce qu'il était un compatriote de Bruce Lee, on l'aurait envoyé bouler... Mais comme tout enfant de Treichville j'ai un respect très particulier pour TOUS les Chinois... ben, à cause des films de Kung Fu, pardi ! Bref !
Comme il est sympa, il ne dit plus rien... tout en gardant un sourire amusé, assistant non sans étonnement à la foire d'empoigne qui suivit...
Sans m'étaler sur la suite, je dirai que nous finîmes cette discussion (ou plutôt ce monologue à trois) comme elle avait commencé : sur nos positions.
Cette question, à titre personnel je l'avais (trop) souvent entendue... J’y ai fait face la plupart du temps en ne répondant pas directement…
Un « Tchrrr » suffit souvent :o)
Mais venant de personnes qui ont un certain niveau d'études... à chaque fois cela a le don de m’exaspérer…
De plus ce « fraîchement naturalisé français », disait de plus en plus souvent « Nous » en parlant de la France. Sans ses postions absurdes sur la nationalité, cette situation ne m'aurait pas dérangé (cela signifie qu’il est « intégré » et qu’il n’a pas demandé sa naturalisation par opportunisme…) mais quand il dénie aux personnes nées et vivant en Côte d’ivoire depuis plusieurs années la possibilité d’être des ivoiriens, cela m’agace au plus haut niveau.
Quand il me parle du « droit du sang » en se couvrant du drap d’une loi (ivoirienne) « inique » (ça c’est moi qui le dis et j’assume) datant de 1972 pour refuser à des êtres humains le droit de sentir chez eux dans le pays qui les a vus naître et grandir, je me dis que si l’hypocrisie et la bêtise étaient signes d’intelligence, à côté de lui Tidjane Thiam apparaîtrait comme un attardé mental.
Je suis rentré chez moi très abattu.
Pourquoi je vous en parle maintenant ?
Ceux qui suivent l’actualité ivoirienne savent qu’il est question en ce moment de la réforme du code de la nationalité. Des débats que l’on espérait ne plus voir resurgissent…Avec en filigrane l’immonde concept d’ivoirité.
L'Ivoirien des années 60 a grandi sous le pouvoir Houphouëtiste avec l'arrogance d'un mauvais Suisse : persuadé qu'il était mieux voire supérieur aux autres nationalités de la sous-région...
D’ailleurs les journalistes français avec un insupportable paternalisme colonial écrivaient (ou écrivent encore) que c’était la Suisse de l’Afrique. Comme si les africains en progrès doivent avoir comme étalon obligatoire les européens…N'est- ce pas ?
Un « nazionalisme » s’est installé depuis… Gangrénant les cerveaux de certains journaleux, écrivaillons et pseudo-universitaires…
Le Burkina Faso : un pays de gardiens et de boys. Pour les Burkinabés ce peuple fier et travailleur, quelle injustice !
Le Sénégalais : la patrie du Gorki, du banabana...Cheick Anta Diop et les autres doivent se retourner dans leurs tombes.
Ce grand et noble pays qu’est le Ghana était vu seulement comme le pays des Two-Two (prostituées d’origine ghanéenne travaillant –oui, c’est un travail- en Côte d’ivoire).
« Tombé comme le Ghana » est une expression de « haute » volée humoristique… Depuis ces « ivoiritaires aryens » sont devant une évidence : le Ghana n’est pas ce qu’ils ont toujours voulu voir.
Et je vous passe les autres…
J’aurais voulu parler de la perception qu’ont certains du Cameroun, par malice…
Car depuis quelques années certains « people » camerounais je ne dirai pas « intellectuels » (ce qui leur ferait plaisir…) ont pris fait et cause pour les ivoiritaires au nom… du panafricanisme !
S’ils savaient comment ces derniers les perçoivent, je crois qu’ils réfléchiraient par deux fois avant de se lancer dans le marécage ethnique ivoirien…
Un oxymoron bien ivoirien: le panafricanisme patriotique
Il serait amusant si le problème n’était pas sérieux de plaisanter sur des ivoiritaires qui se proclament volontiers panafricanistes ! Ils conchient à longueur de journée des africains parce qu’ils viennent en Côte d’ivoire mais par contre ils crient sur les toits leur haine du colon et leur appartenance à l’Afrique ! Schizophrènes, me dîtes-vous ? Oui, certainement.
Un panafricaniste est avant tout une personne éclairée qui a compris qu’à l’heure de la mondialisation, que l’avenir de l’Afrique passe par le rapprochement des peuples de ce continent. Les petits pays sont appelés à être des champs d’exploitation des multinationales qui joueront des camps les uns contre les autres pour mieux les contrôler.
Les Africains doivent comprendre cela. Mais pour cela il faut une volonté politique. Les dirigeants actuels doivent promouvoir cette vision. Mais le pouvoir étant ce qu’il est nombre d’entre sont enfermés dans leurs tours d’ivoire, n’ayant qu’une vision à court terme. Ils ont peur de perdre un peu de leur autorité.
La CEDEAO est un embryon de ce vers quoi la sous-région sub-saharienne doit tendre. Il faut aller plus loin : à l’image de ce que l’Europe tente de faire…
Créons une « nationalité CEDEAO » dans les décennies à venir.
Cela aiderait à lutter contre les nationalismes de mauvais aloi.
Nombre de leaders africains sont afro-pessimistes :de culture libérale et néo-libérale pour la plupart, ils se méfient du panafricanisme le trouvant trop sulfureux voire trop révolutionnaire. Ils en ont peur.
Il est vrai que parmi les panafricanistes certains se trompent d’époque et de combat.
Mais c’est une erreur voire une faute morale. Car le problème ethnique est un mal pour le développement et il ne peut être transcendé que dans cette idée que nous faisons partie d’un même peuple disloqué par l’histoire…
Pour finir
Le village de Tidjane Thiam, s’il vous intéresse, vous n’avez rien compris. Moi je m'en fous.
Il est brillant, c’est une chance pour le monde et en particulier pour l’Afrique, s’il s’en occupe : c’est sur cela qu’il peut être « jugé ». Qu’il soit d’origine sénégalaise, bravo. Qu’il clame son « ivoirité », bravo. Qu’il soit enfin franco-ivoirien…encore bravo. J’arrête là : j’ai trop applaudi :o)
Le « nazionaliste » est un con dangereux : comme un hooligan. Tout pour lui passe par son équipe. Incapable de penser en dehors de la meute, il est prêt à tout pour justifier son idéologie : même à laisser crever dans l’apatridie des personnes qui n’ont pas le « sang pur ». Cela ne vous rappelle rien ?
Le droit du sol devrait être la règle dans tous les pays encore plus pour les africains.
(*) ce titre volontairement provocateur est un clin d'oeil (très tardif) à un article nauséeux écrit par un journaliste ivoirien qui depuis semble être revenu à la raison. Si lui a pu le faire, pourquoi pas vous (cher frère « ivoiritaire » ?)
On est ensemble :o)

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