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Billet de blog 23 décembre 2023

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Air Bel, une victoire qui en appelle d’autres

Victoire pour les locataires d’Air Bel, dans l’action civile qui les oppose à leurs bailleurs sociaux. Le combat entre Air Bel et la Légionellose est ancien, il remonte au moins à 2011. C’est une victoire symbolique, celle de la reconnaissance des habitants d’Air Bel et plus largement celle des habitants des quartiers populaires.

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Illustration 1

Le combat entre Air Bel et la Légionellose est ancien, il remonte au moins à 2011. En 2017 au cœur de l’automne, Sid Ahmed (paix à son âme), nous (SQPM) mettait en contact avec Jamila Haouache et son association (Il fait bon vivre dans ma cité). Dans ce petit local au cœur du quartier nous nous étions retrouvés avec Karima, Jamila, Ida autour d’un couscous mémorable préparé par Jamila. Dans ce même local, quelques jours plus tard se tenait la première AG et la création du collectif de défense des habitants d’Air Bel. Rania Aougaci et l’amicale des locataires nous rejoignait dans ce combat.

Je me rappelle cette AG sous haute tension, la mort du frère de Jamila, avait plongé le quartier dans la consternation et l’inquiétude. Plus de 150 personnes s’étaient entassés à l’intérieur et à l’extérieur du local. Une enceinte poussive avait été installée sur le rebord de la fenêtre pour que tout le monde puisse entendre les débats. L’enceinte crachait des larsens malveillants à chaque prise de parole, à chaque témoignage d’habitant…Une catharsis terrible, sublime et utile à la fois. Les habitants d’Air Bel avaient peur pour leurs enfants, pour leurs anciens, pour leur santé. Mais ce soir là ils comprirent qu’ils n’étaient pas seuls et qu’ensemble et unis ils pouvaient peut-être se faire entendre.

Très vite le collectif de défense des habitants d’Air Bel s’est organisé autour des associations de locataires et autour de Jamila et de Rania. Deux personnalités extraordinaires, contrastées et tellement complémentaires au final.

Le collectif a décidé dès le début de jouer sur tous les tableaux, d’appuyer sur tous les boutons et d’actionner tous les leviers. Il a été notamment décidé de reprendre le dialogue avec les bailleurs et le syndic. Mais un dialogue sans complexe, débarrassé des postures d’aplomb institutionnelles et de ce tropisme obséquieux trop fréquent dans l’histoire des collectifs. Il fallait un dialogue d’égal à égal pour obtenir une concertation digne de ce nom. Il a aussi été décidé de médiatiser et de politiser le combat. Beaucoup de combat dans les quartiers populaires sont étouffés dans l’œuf par le biais conjugué de la peur irrationnelle de la « récupération politique », du clientélisme et de l’institutionnalisation des mobilisations et de la résignation. Ce collectif a traversé tous ces écueils grâce à la confiance partagée au sein du collectif, chacun y apportant son expérience et son expertise particulière. Ce collectif est resté ouvert, demandant systématiquement de l’aide et en apportant toujours à celles et ceux qui en demandaient. Ce collectif ne s’est pas rabougri autour de vaines questions d’égos ou de prévalences…Je ne raconterais pas l’histoire d’un long fleuve tranquille parce que je mentirais. Mais l’objectif partagé est toujours resté au centre, comme une transcendance absolue. Ce collectif avait pour but l’intérêt des habitants d’Air Bel et il n’y a jamais dérogé !

Le collectif a aussi décidé très rapidement de se mettre au travail et de répondre aux codes et conventions de ceux qui longtemps nous ont méprisés. Nous avons participé a des dizaines de commissions techniques, à de nombreuses réunions en préfecture, à des rencontres avec les bailleurs. Nous avons épluché les quittances de loyer, décortiqué les charges. Nous nous sommes mis à étudier des revues de bactériologie, pour comprendre ce que nous racontais les bailleurs et l’ARS, et même si nous n’avons pas la prétention d’être devenus des biologistes, nous connaissons bien désormais (hélas) ce satané bacille Gram négatif…Nous avons fait la part de la menace bactériologique et de son traitement, la chloration sur laquelle nous avons alerté des 2018 !

Mais nous avons aussi compris que les mobilisations, l’engagement militant et toutes les stratégies de diffusion de l’information ne suffiraient pas à atteindre celles et ceux à qui nous demandions un minimum d’écoute et de respect. Cette lutte devait marcher sur deux jambes : le volet militant et le volet judiciaire !

Et en 2018 nous avons décidé de porter l’affaire en justice. Et là aussi il faut de la chance pour tomber sur une avocate comme Maître Slimani. Tout de suite, elle a compris les enjeux et le besoin de justice que réclamaient les habitants d’Air Bel. Encore une fois il a fallu commencer par convaincre en AG les habitants. Maître Slimani nous a conseillé et guider dans la constitution des dossiers et avec l’aide des associations de locataires, un travail monumental a été réalisé pour tous les plaignants. L’aide juridique, les dossiers médicaux, les dossiers pilotes, les plaidoiries, les dires, les courriers de relances, les expertises judiciaires…Il faut dans ce genre de lutte des avocats dont les convictions et l’altruisme dépassent de loin le besoin de briller et la fascination des micros et des caméras…je ne peux ici que rendre hommage à notre avocate dont je salue la compétence, l’efficacité, l’humilité et la ténacité !

Au-delà de Jamila, Rania, Ida, Karima, il faut aussi saluer les 360 familles qui ont relevé ce défi et qui ont cru en cette idée folle que la justice existe encore en France. Sans oublier toutes celles et ceux qui nous ont accompagnés à un moment ou à un autre de la lutte : Kader, Nordine, Erica…  Le collectif Air Bel relève aussi d’autres défis puisqu’il subit, dans le cadre de l’ANRU, un programme de démolition/restructuration décidé sans aucune réelle concertation. Et dans cette autre bataille, la Charte de relogement d’Air Bel est aussi une avancée très importante. Il faut ici rendre hommage aux chevilles ouvrières de cette lutte que sont notamment Camille et Charlie. Leur enthousiasme, leur bienveillance et leur vitalité sont une source de motivation pour toutes celles et ceux qui les connaissent. Bien sûr dans nos cœurs et dans nos mémoires restent le souvenir de Jamel Haouache et de notre camarade Sid Ahmed Abadli, qu’ils reposent en paix.

Au-delà de cette victoire judiciaire, ce qui importe c’est le sens que nous lui donnons. Pour nous c’est une victoire symbolique, celle de la reconnaissance des habitants d’Air Bel et plus largement celle des habitants des quartiers populaires. La reconnaissance des souffrances endurées, du désarroi et du mépris subit. C’est aussi définitivement un précèdent POLITIQUE, au sens vrai du terme. Politique parce que cette décision rebat la configuration des relations entre les bailleurs et les locataires, entre les institutions et les citoyens. Politique parce qu’elle ouvre un autre champ des possibles, en démentant de façon cinglante les discours de résignation et les stratégies d’abandon. Politique parce que cette mobilisation s’inscrit désormais dans l’Histoire avec un grand H des quartiers populaires et des luttes sociales. En termes d’éducation populaire elle est un exemple à méditer et reproduire sans modération, chaque fois et partout où les droits ne sont pas respectés, partout où il y’a rupture d’égalité de traitement, partout où il y’a mépris et indifférence !

Mohamed Bensaada

Pour le SQPM                                                                                                                   23 décembre 2023

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