Le Visage des Palestiniens…

Prétextant de la destruction des capacités militaire du Hamas, et de façon indiscriminée, l’armée israélienne a plongé l’ensemble du territoire Gazaoui dans un black-out total qui présage le pire pour les populations civiles.  Les chiffres ne veulent plus rien dire et déshumanisent encore plus, si besoin était, les victimes palestiniennes de ce conflit. D’ailleurs les Palestiniens existent-ils vraiment en tant que peuple ? Existent-ils vraiment en tant qu’humains ? Peuvent-ils être innocents ? Ont-ils une âme ? Faudra t’il une autre controverse 500 ans après Valladolid pour y répondre ? Ces questions peuvent paraître provocatrices ou inappropriées, mais elles se posent, concrètement ! Elles se posent parce qu’il semble que le droit international ne s’applique pas pour eux. Elles se posent parce que la condamnation des exactions du gouvernement et de l’armée israélienne reste timide. Celle-ci se faisant du bout des lèvres et toujours en contre point argumentaire du droit à la défense de l’état d’Israël…

La condamnation du 7 octobre a été unanime, partagée et réitérée. En tant que militant pacifiste je ne peux que dénoncer les crimes de guerres perpétrées à l’encontre de civils innocents. Je constate cependant que cette condamnation ne vaut pas pour les Palestiniens. Ceux-ci meurent dans l’indifférence et le silence des autorités internationales. En plus des 7000 morts et des 3000 enfants qui ont perdu la vie, et qui sont un drame pour la société palestinienne mais plus largement pour l’humanité tout entière, on entend dans les médias, les réseaux sociaux et dans les paroles du gouvernement israélien une musique sordide qui justifie et exonère l’armée israélienne des crimes de guerre qu’elle commet.

C’est la première fois, par exemple, que l’on voit des vidéos parodiques sur les RS qui mettent en scène la souffrance des Palestiniens. C’est aussi la première fois (je crois) que l’on entend un premier ministre israélien citer (de manière erronée) la prophétie d’Isaïe, parler de peuple de la lumière et de peuple de l’ombre et baser son discours politique sur une interprétation eschatologique du conflit. Cette vision apocalyptique s’appuyant évidement sur le fameux « choc des civilisations » !

C’est aussi la première fois que ces thèses belliqueuses sont à ce point relayées, notamment en France, par les « faucons » de droite et d’extrême droite mais aussi par une presse incapable de la moindre nuance ou analyse politique. Le débat tournant en boucle autour de la qualification de terrorisme et de l’accusation d’antisémitisme qui agit comme un anathème absolu et est utilisé ici comme un rayon paralysant interdisant toute discussion, bannissant toute réflexion !

On voit bien l’effet de mithridatisation sur le débat que génèrent ces axes argumentaires dans la relativisation, voire la négation des souffrances du peuple palestinien et de l’humanité même de ces derniers. Ainsi Yoav Galant (ministre israélien de la défense) déclarait le 11 Octobre dernier que, je cite : «  Israël fait face à des animaux, et  ceux-ci seront traités en conséquence »…Loin de s’excuser de ces propos ou de jeter dessus le voile pudique de l’émotion ou de la douleur (qui ne sied pas à un responsable politique), il semble au contraire que c’est ainsi que les relais de l’extrême droite israélienne veulent mener l’offensive médiatique.

Dans l’émission de Jean marc Morandini, l’avocate Nili Naouri expliquait sans trembler qu’à Gaza il n’y’avait pas de population civile innocente !!! Même Jean Marc Morandini qui ne brille ni par son courage ni par sa neutralité a été choqué par les propos de cette dame. Qui continuait d’expliquer que nous avions tort, en tant qu’occidentaux (Israël compris bien sûr), nous avions tort d’appréhender la situation à l’aune de nos principes démocratiques et des valeurs universalistes. Elle expliquait que les enfants palestiniens étaient structurés dans leur éducation par la « haine du juif » et la volonté transcendantale de supprimer ledit peuple juif. En conséquence aucun civil à Gaza ne pouvait être innocent…qu’il soit âgé de quelques mois ou de 102 ans. Bizarrement, Gerald Darmanin n’est pas intervenu pour commenter ces propos. Evidemment il est encore très occupé à réunir les preuves de « frérisme » de Karim Benzema et donc pas disponible en ce moment. Dans une autre vidéo, filmée aux abords de Gaza avec en fond sonore les bombardements en cours, la même dame expliquait qu’il fallait raser de fond en comble Gaza, la vider de sa population et la transformer en « implantation ». Parce que oui « implantation » est l’euphémisme usité pour parler de colonie…Ce terme est d’ailleurs aujourd’hui très largement utilisé par les relais de Netanyahu, y compris en France. Meyer Habib expliquait donc que la colonisation de la Palestine ne pouvait pas exister puisque cette terre appartenait, de droit divin, aux juifs. Pour étayer ces propos le parlementaire ne s’appuyait ni sur le droit international ni sur l’histoire plus ou moins récente, mais sur un document irréfutable. Ce document étant la Bible et la judéité de Jésus de Nazareth qui avait à l’époque sillonné le royaume du Eretz Israël. Le même Meyer Habib qui ne se prive jamais de donner des leçons de laïcité à ses concitoyens musulmans. Si ce n’était la situation actuelle, ces propos indignes pourraient presque faire sourire, mais on comprend bien en fait qu’il y’a une volonté sans équivoque de l’extrême droite israélienne et de ces relais de se départir de toutes les contingences du droit international et de l’autodétermination des peuples. Le représentant d’Israël à l’ONU déchirant la résolution votée il y’a 2 jours plaide elle aussi pour cette stratégie du droit à la vengeance indiscriminée et de la punition collective. D’ailleurs qui fixera le tarif de cette vengeance ? 7000 morts, 3000 enfants, des hôpitaux détruits, des écoles détruites, plus aucune route ou infrastructure tenant debout, 56 représentants de l’ONU tués, des dizaines de journalistes morts pendant l’offensive…Qui arrêtera Benjamin Netanyahu dans cette escalade ?

A l’évidence ce ne sera ni les Etats unis, ni l’Union Européenne, ni l’ONU ou les pays arabes. Ce ne sera en tout cas pas le gouvernement français qui finit d’enterrer dans la honte la diplomatie française et sa longue tradition de compromis politique pacifique. Yael Braun Pivet (présidente de l’assemblée) est allée fournir un blanc-seing à  l’armée israélienne au cours de sa visite. Mr Macron a enfoncé le clou en faisant sa proposition cacochyme et impréparée d’élargissement de la coalition internationale contre DAESH. Et que dire de certaines chaînes d’opinions qui se prétendent chaînes d’informations qui relaient sans sourciller un seul et unique canal d’informations. Celui du ministère de la défense israélienne. Sans jamais les recouper ou effectuer le minimum de travail journalistique de fact-checking…Tout est outrancier, grotesque, absurde.

Nous vivons une sale époque. Une époque qui accepte la désincarnation d’êtres humains, la relativisation de la douleur et la mise à distance d’une humanité qui vit ou survit malgré tout ! J’en veux pour preuve l’incroyable analyse de l’essayiste Joseph Macé Scaron sur Cnews. Il expliquait que la société civile palestinienne laïque n’existait plus, que les chrétiens palestiniens avaient été chassés ‘sans dire par qui), qu’il n’y avait plus de poètes, de musiciens, d’artistes en Palestine…

Une époque où celles et ceux qui appellent à la paix sont suspectés de collusion avec le terrorisme, le djihadisme, l’antisémitisme ou l’islamisme. Et soudain on constate que l’extrême droite française arrive à faire croire qu’elle n’est pas antisémite tant elle est islamophobe et/ou arabophobe. Pardon d’avance pour l’approche psychologisante de ce phénomène, mais la seule explication que je trouve à cette passion subite de l’extrême droite française pour Israël réside d’une part dans la détestation viscérale des arabes et dans une forme d’antisémitisme inversé. Dans la tradition antisémite de l’extrême droite française il y’a cette idée de pouvoir occulte (protocole des sages de Sion…), de main mise culturelle, économique et idéologique d’une élite juive ou tout au moins de l’existence d’un lobby juif. Et ce sont ces ressorts qui expliquent le soutien inconditionnel de l’extrême droite française au gouvernement israélien…

Dans ce retournement des valeurs que seul la mauvaise foi et le cynisme malsain peuvent expliquer. Les femmes et les hommes de Gauche (mais pas que, heureusement) continuent à se mobiliser pour la paix, la justice et le respect du droit international ! Parce que dans ce débat en cours, mais dans tous les autres débats passés et à venir nous ne jugeons ni la couleur, ni l’origine, ni la religion, le sexe ou les orientations sexuelles des uns ou des autres. Nous appuyons nos convictions sur les principes et les valeurs universelles de paix, de justice. Nos raisonnements et nos argumentaires ne s’appuient que sur l’analyse critique rationnelle et le factuel…Et sur rien d’autre !

Je terminerais ce billet par une pensée émue pour toutes les victimes de ce drame interminable. Aux victimes israéliennes dont nous connaissons les histoires, les noms et les visages, mais aussi à toutes les victimes gazaouies de cette horrible guerre. J’accompagne mon texte de ces photos d’enfants de Gaza tués ces dernières semaines. Pour me rappeler, pour nous rappeler que l’annonce du nombre de tués comme on annonce un résultat sportif ne fera jamais oublier que ces petits palestiniens avaient un visage, un sourire, des rêves, des caprices d’enfants, un monde de fantasmagories. Pour rappeler qu’ils avaient des noms et des prénoms, qu’ils aimaient et qu’ils étaient aimés ! Chacune de ces disparitions est une défaite pour l’humanité tout entière. Chacune de ces morts est une trahison de nos soi-disant principes sacrés. Chacun de ces visages est le reflet de nos échecs, de nos lâchetés, de nos indifférences. Que la honte et l’indignité submergent celles et ceux qui en doute !

Et puisque certains prétendent qu’il n’y a plus rien de beau ou de bon chez les Palestiniens, je terminerais en citant les vers de Mahmoud Darwich qui résonnent de cette humanité, de notre humanité : « J'ai la nostalgie du pain de ma mère, Du café de ma mère, Des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, Jour après jour, Et je chéris ma vie, car Si je mourais, J'aurais honte des larmes de ma mère ! ».

Voilà ce que nous disent, d’outre-tombe, le visage des Palestiniens.

Mohamed Bensaada

29/10/2023