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Billet de blog 16 décembre 2024

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L'Algérie a-t-elle été "colonisée" par les Turcs ? Déconstruction d'un mythe colonial

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Introduction

L’un des plus grands mensonges entourant l’histoire de l’Algérie pré-coloniale est celle faisant de cette dernière une ancienne colonie turque. Ceci est une contrevérité absolue sur laquelle les prosélytes de la colonisation française coloniale du début du 19e siècle s’appuient pour légitimer leur entreprise impérialiste. En effet, affirmer que la France serait intervenue dans un pays colonisé est une manière implicite de légitimer cette intervention. Ce fut durant la préparation de cette expédition que la France débutera sa propagande fallacieuse de dénigrement de la République algérienne en l'accusant de piraterie, qui, comme nous l'avons démontré quelques pages en arrière, n'existait pratiquement plus au moins un siècle avant la conquête d'Alger, hormis une parenthèse durant les guerres Napoléoniennes.

Contexte historique

C'est à la tête d'une armada militaire considérable que De Bourmont quitta Toulon le 25 mai 1830. En effet, le corps expéditionnaire français était composé de pas moins de 36 bataillons et trois escadrons formant un effectif de plus de 37 000 hommes et 4 000 chevaux. Des ingénieurs, des interprètes, des auxiliaires, et autres topographes s'ajoutaient aux hommes de guerre, pour atteindre un total de plus de 70 000 hommes. La flotte navale, sous le commandement du vice-amiral Duperré, était aussi impressionnante, puisqu'elle se composait de plus de 150 bâtiments de guerre, 450 navires de commerce, 215 bateaux pour le transport de matériels et de provisions. Le 13 juin, les troupes françaises firent leur entrée en Algérie, précisément à Sidi-Fredj, dans la banlieue ouest de la capitale, conformément au rapport de Vincent-Yves Boutin, qui servit, près de 30 ans après sa rédaction, à titre posthume, de plan de campagne pour cette expédition coloniale. Durant 132 ans, la France occupera illégalement l’Algérie, avant d’être contraint de quitter les lieux au début des années 1960 suite à une débâcle militaire et diplomatique durant la fameuse guerre d’Algérie, face aux indépendantistes algériens . 

Dans ce contexte impérialiste, il était impératif, pour l’historiographie française, de réinterpréter l’histoire de l’Algérie précoloniale dans un paradigme favorisant cette entreprise coloniale ; la réinterprétation de l’histoire commence dans la redéfinition des termes conceptuels ; parler de « régence » plutôt que de « royaume » ou de « république », indique implicitement une dépendance supra-nominale de l’Algérie précoloniale vis-à-vis de la Sublime Porte d’Istanbul. En effet, il était de bon ton d’exploiter ce terme de « régence » dans le dessein de donner un certain relief à une Algérie précoloniale qui serait une possession turque, et non un État autonome, indépendant, de fait, dont la soumission à l’Empire ottoman ne tenait que par un lien nominal et spirituel. La redéfinition terminologique de la nature de l’État algérien précoloniale s’inscrit dans une démarche prosélytique consistant à  légitimer la colonisation française de l’Algérie. Grosso Modo, l’idée était d’affirmer que la France impérialiste aurait posé le pied dans un pays sous domination exogène, donc, une terre « colonisée » ; ceci est une manière implicite de légitimer l’entreprise coloniale. Pourtant, cette fable de l’Algérie « colonisée par les Turcs » ne peut résister indéfiniment face à la réalité des faits historiques, comme nous allons le voir.

Déconstrucion d'un mythe

Tout d’abord, pour entamer une déconstruction objective et avec le plus d’honnêteté intellectuelle possible, de ce mythe de « colonisation turque » du territoire algérien, il est, en premier lieu, nécessaire de définir ce qu’est une colonisation. Ce terme étant en langue française, il est donc tout à fait logique de nous baser sur la définition donnée de ce terme par le dictionnaire français de référence : le Larousse. Dans le Larousse , il existe trois définitions du terme « coloniser », dans l’acception qui nous intéresse pour notre sujet :  

-Transformer un pays en une colonie, en un territoire dépendant d’une métropole.

-Mettre un pays sous sa dépendance économique.

-Peupler un pays, une région de colons : exemple : Les Anglais ont colonisé l’Australie.

A partir de ces trois définitions, nous allons analyser, ensemble, si, oui ou non, l’Algérie pré-coloniale fût bien une colonie turque. Commençons par la première définition. La première définition nous apprend qu’une colonisation est le fait de « transformer un pays en une colonie », et « un territoire dépendant d’une métropole ». 

Afin d’avoir la possibilité de déterminer si le Maghreb central fût bien transformé en « colonie » et que son territoire fût « dépendant d’une métropole », il convient d’abord de comprendre ce que signifie le terme « colonie ». Toujours dans le dictionnaire français de référence, nous pouvons lire qu’une colonie est un : 

« Territoire occupé et administré par une nation en dehors de ses frontières, et demeurant attaché à la métropole par des liens politiques et économiques étroits ».

Donc, si nous avons bien compris, « transformer un territoire en une colonie », signifie qu’un pays ou une région est administré par un État étranger auquel il devient lié politiquement et au niveau économique. Comme nous l’avons vu dans la première partie de notre ouvrage, au chapitre consacré à la régence d’Alger, ce ne fût nullement l’Empire ottoman qui entama une entreprise de conquête du Maghreb central, mais bien les Algériens qui, en 1519, firent la demande à l’Empire musulman, par l’intermédiaire des notables et des gens importants de la ville d’Alger. Ces derniers, souhaitaient que Khair-Eddine Barberousse qui, lui aussi, se rendit à Alger quelques années plus tôt, en compagnie de ses frères, répondant à l’appel de la population locale dans le but de les délivrer du joug des Espagnols, devienne leur nouveau gouverneur. C’est ainsi qu’une lettre fût rédigée et envoyée au sultan ottoman, dans le but de lui faire la demande de rattacher l’Algérie pré-coloniale à l’Empire islamique.  

Les frères Barberousse s’étant rendus maîtres du Maghreb central à la demande des Arabes et des Berbères locaux, sans que, d’aucune manière, l’Empire ottoman ne fût concerné par cette démarche, nous comprenons que la régence d’Alger, dans le contexte de sa naissance, ne fût ni une création, ni une colonie turque. Par contre, ce qui va changer, c’est que, comme nous l’avons vu également, quelques années après la fondation du nouvel État algérien, plus précisément en 1519, Khair-Eddine, gouverneur d’Alger, demanda à l’Empire ottoman de rattacher la Régence aux territoires du sultan, afin d’obtenir une protection face à ses nombreux ennemis. A partir de cette date, la Régence d’Alger n’avait plus de politique propre à elle et dépendait de l’Empire ottoman. Ses dirigeants, sa milice, étaient désignés par Constantinople. En toute objectivité, ce constat nous amène à conclure qu’à partir de l’année 1519 et l’annexion d’Alger à l’Empire du sultan musulman, Alger fût bien une colonie turque, puisqu’elle était un « Territoire occupé et administré par une nation en dehors de ses frontières, et demeurant attaché à la métropole par des liens politiques et économiques étroits ».

Cependant, cette situation ne sera pas figée, bien au contraire, puisque dès l’année 1671, une nouvelle page s’écrit avec le début de la gouvernance des deys. En effet, à partir de cette période, la régence d’Alger va se dégager, peu à peu, de la dépendance de l’Empire ottoman, pour devenir un État autonome dont le seul lien qui rattache Alger à Constantinople ne sera plus que théorique. C’est d’ailleurs ici que nous allons transiter vers la deuxième définition que nous a donné le Larousse ; la dépendance économique de l’État colonisé, ce qui nous permettra, dans le même temps, de répondre à la question initiale.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré à la régence d’Alger, la période de l’Algérie « ottomane » peut se diviser en plusieurs périodes bien distinctes  :


1.    Le sultanat (1516-1533)

Le Sultanat, qui s'étend de 1516 à 1533, marque le début de la présence ottomane en Algérie. Lorsque Selim Ier, sultan de l'Empire ottoman, conquiert Alger, il établit un système de gouvernance qui favorise la centralisation du pouvoir. Sous ce régime, Alger devient le siège d'une administration ottomane dirigée par un pacha, représentant direct du sultan.
Durant cette période, les Ottomans cherchent à consolider leur autorité et à renforcer leur emprise sur l'Algérie. Ils entreprennent des réformes administratives visant à organiser la région et à optimiser la collecte des impôts. Des infrastructures sont développées, notamment des mosquées, des palais et des bâtiments publics, reflétant ainsi l'influence culturelle et architecturale ottomane. Parallèlement, les Ottomans encouragent le développement économique de l'Algérie en favorisant le commerce et l'agriculture. Alger devient un important centre commercial de la Méditerranée, avec des échanges intensifiés avec les autres régions de l'Empire ottoman et les puissances européennes. Les activités maritimes, telles que la pêche, le commerce maritime et la piraterie, jouent un rôle essentiel dans l'économie de la région. Sur le plan militaire, les Ottomans consolident leur présence en Algérie en établissant des garnisons et en renforçant les défenses d'Alger. La ville devient une place-forte majeure, permettant aux Ottomans de projeter leur puissance militaire en Méditerranée occidentale et de protéger leurs intérêts commerciaux.

Le sultanat ottoman en Algérie est également marqué par des tensions avec les tribus locales et les potentats locaux. Certains chefs tribaux résistent à l'autorité ottomane et tentent de préserver leur autonomie. Les Ottomans doivent faire face à des révoltes et des conflits sporadiques avec les tribus berbères, notamment dans les régions montagneuses de Kabylie et de l'Atlas.

Il est important de noter que le sultanat ottoman en Algérie s'inscrit dans le contexte plus large de la politique impériale ottomane. L'Algérie est considérée comme une province vassale de l'Empire ottoman, ce qui implique que la politique intérieure et extérieure de l'Algérie est étroitement liée aux intérêts ottomans dans la région méditerranéenne.
En conclusion, la période du sultanat ottoman en Algérie, qui s'étend de 1516 à 1533, marque le début de la présence ottomane dans la région. Cette période est marquée par une centralisation du pouvoir à Alger, le développement économique et la consolidation militaire. L'influence ottomane se fait sentir dans les domaines de l'administration, de l'architecture, du commerce et de la culture. Cependant, les tensions avec les tribus locales et les rivalités internes témoignent des défis auxquels les Ottomans ont été confrontés dans leur tentative de contrôler et de gouverner l'Algérie.

2.    Les Beylerbeys (1533-1587)

Les Beylerbeys, période s'étendant de 1533 à 1587, représente une étape importante dans l'histoire de l'Algérie précoloniale. Après la période du sultanat, les beylerbeys prennent le relais en tant que gouverneurs militaires nommés par le sultan ottoman pour administrer l'Algérie.
Sous le système des beylerbeys, l'Algérie connaît une organisation politique et militaire plus structurée. Ces gouverneurs militaires exercent un pouvoir considérable, supervisant des domaines clés tels que la collecte des impôts, l'administration de la justice et la défense militaire. Leur autorité s'étend sur l'ensemble du territoire algérien, et ils jouent un rôle essentiel dans le maintien de l'ordre et de la stabilité.
Les beylerbeys ont également pour mission de maintenir des relations avec les tribus locales et de gérer les interactions avec les puissances étrangères présentes en Méditerranée. Dans ce contexte, ils servent d'intermédiaires entre l'Empire ottoman et les populations locales, favorisant ainsi une certaine stabilité politique et sociale.

L'administration des beylerbeys met l'accent sur la collecte des impôts, qui constitue une source essentielle de revenus pour l'Empire ottoman. Les beylerbeys mettent en place des systèmes de taxation efficaces pour soutenir les activités gouvernementales et militaires. Ils veillent également à l'administration de la justice en mettant en place des tribunaux et des instances juridiques pour régler les litiges.
Sur le plan militaire, les beylerbeys consolident les défenses de l'Algérie, en particulier à Alger, qui reste un centre névralgique de l'empire ottoman en Méditerranée occidentale. Des fortifications sont renforcées et des garnisons militaires sont établies pour faire face aux menaces extérieures, notamment les incursions européennes et les attaques des puissances maritimes. En outre, les beylerbeys entretiennent des relations complexes avec les tribus locales. Ils cherchent à maintenir un certain équilibre entre la centralisation du pouvoir ottoman et les structures tribales préexistantes. Cela implique souvent des négociations, des alliances et parfois des conflits avec les chefs tribaux, car les beylerbeys cherchent à établir leur autorité tout en respectant les coutumes et les traditions tribales.

La période des beylerbeys témoigne également des interactions entre l'Algérie et les puissances étrangères, en particulier les puissances européennes. L'Algérie est une plaque tournante du commerce méditerranéen et attire l'attention des nations voisines. Les beylerbeys doivent gérer les relations diplomatiques avec ces puissances étrangères, ce qui peut entraîner des accords commerciaux, des tensions ou des conflits.

En conclusion, la période des beylerbeys en Algérie, s'étendant de 1533 à 1587, est caractérisée par une administration centralisée et militairement organisée. Les beylerbeys jouent un rôle essentiel dans la gouvernance de l'Algérie, avec des responsabilités allant de la collecte des impôts à la défense militaire. Ils établissent des liens avec les tribus locales et gèrent les relations avec les puissances étrangères. Cette période marque une phase de consolidation du pouvoir ottoman en Algérie et prépare le terrain pour les développements futurs dans l'histoire de la région.

3.    Les Pachas (1587-1659)

Les Pachas, période qui s'étend de 1587 à 1659, représente une phase importante de l'histoire de l'Algérie précoloniale. Durant cette période, Alger devient l'un des principaux centres de piraterie en Méditerranée, et les pachas jouent un rôle central dans l'organisation des expéditions maritimes et la gestion des affaires de l'Algérie.

Les pachas, en tant que gouverneurs militaires, exercent un pouvoir étendu sur l'Algérie. Leur rôle principal est de superviser les activités corsaires et de défendre les intérêts de la région contre les puissances étrangères. Ils ont la responsabilité de recruter et d'organiser des équipages pour les navires corsaires, qui mènent des attaques contre les navires commerciaux des nations européennes rivales.

La piraterie devient une source majeure de revenus pour l'Algérie, contribuant à l'économie locale et alimentant les coffres des pachas. Cependant, cette activité corsaire n'est pas sans conséquences. Les puissances européennes, en particulier l'Espagne, la France et l'Angleterre, lancent des expéditions militaires pour contrer les pirates et protéger leurs intérêts maritimes. Cela entraîne une escalade des tensions et des conflits dans la région.

Malheureusement, la période des pachas est également marquée par la corruption et l'oppression de la population locale. Certains pachas abusent de leur pouvoir et se livrent à des pratiques de corruption, exploitant la population pour leur enrichissement personnel. Les impôts et les tributs prélevés sur les habitants de l'Algérie deviennent de plus en plus lourds, créant un fardeau économique pour la population déjà confrontée aux ravages de la piraterie et aux incursions étrangères.

Face à cette oppression, des soulèvements éclatent parmi les tribus locales. Les chefs tribaux et les populations se rebellent contre les abus de pouvoir des pachas, cherchant à préserver leur autonomie et à défendre leurs droits. Ces soulèvements contribuent à l'instabilité de la période des pachas et à l'affaiblissement du pouvoir centralisé.

En parallèle, l'Algérie continue d'être un enjeu géopolitique majeur. Les puissances européennes tentent d'étendre leur influence dans la région, et des alliances changeantes se forment avec certaines tribus locales pour résister à l'oppression des pachas et à l'expansionnisme étranger.

En conclusion, la période des pachas en Algérie, allant de 1587 à 1659, est marquée par l'intensification des activités corsaires, la centralité d'Alger en tant que centre de piraterie et le rôle crucial des pachas dans l'organisation des expéditions maritimes. Cependant, cette période est également caractérisée par la corruption, l'oppression de la population locale et les soulèvements tribaux. Les conflits géopolitiques et les luttes pour l'autonomie contribuent à l'instabilité de cette période de gouvernance en Algérie.

4.    Les Aghas (1659-1671)

La période des aghas, s'étendant de 1659 à 1671, représente une phase relativement courte mais significative dans l'histoire de l'Algérie précoloniale. Durant cette période, les aghas, qui étaient des chefs militaires issus de l'élite janissaire de l'Empire ottoman, ont joué un rôle crucial dans les affaires de l'Algérie, allant jusqu'à éliminer les pachas et prendre le contrôle du territoire.

Les aghas, en tant que chefs militaires, ont exercé une influence croissante au sein de l'Algérie. Grâce à leur position privilégiée au sein des janissaires, ils ont pu consolider leur pouvoir et leur autorité. Ils ont également su exploiter les rivalités internes et les dissensions au sein de l'élite dirigeante ottomane en Algérie pour affirmer leur contrôle sur la région. L'élimination des pachas par les aghas a marqué un tournant dans l'histoire politique de l'Algérie. Les pachas, qui exerçaient un pouvoir étendu, ont été écartés au profit des aghas, qui ont pris le commandement des affaires civiles et militaires de la région. Cela a entraîné un changement dans la structure du pouvoir en Algérie, avec les aghas à la tête de l'administration.

Cependant, malgré leur ascension au pouvoir, le règne des aghas a été marqué par des conflits internes et des rivalités. Les luttes de pouvoir et les querelles entre les différents aghas ont affaibli la stabilité politique de la région. Ces conflits ont eu des conséquences néfastes sur la gouvernance de l'Algérie, contribuant à une période d'instabilité et de tensions internes. De plus, l'influence croissante des aghas a également suscité des inquiétudes parmi les puissances européennes présentes en Méditerranée. Les nations voisines, telles que l'Espagne, la France et l'Angleterre, ont observé avec attention les changements politiques en Algérie et cherché à exploiter les divisions internes pour leurs propres intérêts.

Malgré les défis internes et externes auxquels ils ont été confrontés, les aghas ont réussi à maintenir une certaine forme de pouvoir pendant cette période. Leur règne a laissé une empreinte significative dans l'histoire de l'Algérie précoloniale, préparant le terrain pour les développements ultérieurs et les transformations politiques à venir.

En conclusion, la période des aghas en Algérie, allant de 1659 à 1671, a été marquée par l'ascension des chefs militaires issus des janissaires au pouvoir. Ils ont éliminé les pachas et pris le contrôle de l'administration de l'Algérie. Cependant, leur règne a été instable et caractérisé par des conflits internes, ce qui a affaibli la stabilité politique de la région.

5.    Les Deys (1571-1830)

Les Deys, une période allant de 1571 à 1830, représentent la dernière phase de gouvernance précoloniale en Algérie. À partir de 1571, les deys se sont établis au pouvoir à Alger en tant que représentants du sultan ottoman. Initialement, leur rôle consistait à assurer la gestion administrative et politique de la région, mais au fil du temps, ils ont gagné en autonomie et ont commencé à exercer un pouvoir quasi-indépendant.

La période des Deys est marquée par des luttes de pouvoir internes qui ont souvent conduit à des changements fréquents à la tête du gouvernement. Les intrigues politiques, les rivalités tribales et les alliances changeantes ont contribué à une instabilité constante et à des conflits au sein de la classe dirigeante algérienne. Les différentes factions se disputaient le pouvoir, entraînant souvent des affrontements violents et des crises de succession.

Parallèlement, la montée en puissance des puissances européennes en Méditerranée a eu un impact significatif sur la situation en Algérie. Les conflits avec les puissances européennes, en particulier la France, ont ébranlé l'autorité des Deys et ont conduit à des confrontations militaires. Les puissances européennes cherchaient à protéger leurs intérêts économiques et politiques dans la région, ce qui a entraîné une intervention croissante et une ingérence dans les affaires internes de l'Algérie.

La France, en particulier, a joué un rôle majeur dans la déstabilisation du gouvernement des Deys. Les conflits entre la France et les Deys d'Alger se sont intensifiés au fil des années, culminant avec la conquête française de l'Algérie en 1830. Cette colonisation marque la fin de la période précoloniale et le début de la domination coloniale française sur le territoire algérien.

Il est important de souligner que la période des Deys est également marquée par les conséquences sociales et économiques de la gouvernance. Les impôts et les prélèvements sur la population locale ont augmenté, entraînant des difficultés économiques pour de nombreux Algériens. Les rivalités tribales et les conflits internes ont également affecté la stabilité sociale de la région, créant des divisions et des tensions au sein de la société algérienne.
En conclusion, la période des Deys en Algérie, allant de 1571 à 1830, représente la dernière phase de gouvernance précoloniale. Les Deys ont émergé en tant que représentants du sultan ottoman, mais ont gagné en autonomie et ont exercé un pouvoir quasi-indépendant. Cette période est marquée par des luttes de pouvoir internes, des rivalités tribales et une montée en puissance des puissances européennes. Les conflits avec la France ont finalement conduit à la colonisation française de l'Algérie en 1830, mettant ainsi fin à cette période de gouvernance précoloniale.

D’une part, une première période où la régence d’Alger était véritablement une province ottomane, sans politique propre à elle, mais qui se contenta simplement d’appliquer les directives de la Sublime Porte. Par contre, un second volet de l’histoire de la Régence s’ouvrira lors de la période des deys, qui verra El Djazaïr se détacher de manière progressive de la tutelle de l’Empire ottoman, et se constituer en véritable État « indépendant » dans les faits. En effet, la république d’Alger ne recevait plus ses ordres de Constantinople, ni ne se laissait guider par le pouvoir central turc. Alger possédait son armée, son propre budget, ainsi que sa monnaie. Également, la République déclarait la guerre et signait des traités avec d’autres puissances sans passer par l’Empire ottoman. Pour démontrer nos propos, il nous suffit de consulter certaines archives gouvernementales ou ouvrages datés de plusieurs siècles en arrière.

Le 14 août 1830, soit, quelques semaines après la prise d’Alger les troupes militaires coloniales, l’ambassadeur français Guilleminot, lors d’une conférence, voulut faire savoir au Sultan ottoman les dispositions de la France par rapport à sa nouvelle possession maghrébine. Dans cette correspondance, le général français mit bien en évidence le caractère totalement indépendant de la régence d’Alger :

« Ce sont les Algériens qui décident de leur sort et qui portent la responsabilité de leur terreur, que ce sont eux aussi qui font et défont les traités comme bon leur semblent quand ils veulent et déclarent également la guerre à qui ils veulent. La régence d’Alger, dit-on est vassale de la Sublime Porte, mais quand nous regardons ces relations qui les lient l’une à l’autre, nous ne pouvons croire en cette suzeraineté. Comment peut-il être question de vassalité alors qu’Alger ne paye pas de tribut et ne reconnait pas à l’Empire le droit de lui donner des ordres. Les seuls liens établis relèvent de ceux de la religion.  » 

Dans cette correspondance, nous pouvons voir que l’ambassadeur de France auprès du Sérail turc met bien en exergue le caractère indépendant de l’Algérie pré-coloniale. L’Empire ottoman ne semblait pas avoir son mot à dire quant aux entreprises de la Régence arabe avec et contre les États avec lesquels elle entretenait des relations. Aucun tribut, par ailleurs, n’était payé par Alger au pouvoir ottoman. 

En 1792, Sidi Hassan, dey d’Alger, rappela ce statut autonome de la Régence dans un message suite à une demande de l’Empire ottoman de lui rendre une prise :

« Par ailleurs, l’attitude que nous avons adoptée jusqu’à présent, depuis le temps de nos illustres ancêtres (que Dieu leur accorde sa miséricorde), à l’abri de leur puissante République, sous la protection de leur administration réussie, qui se caractérise par le fait que c’est un odjak, véritablement libre et responsable dans l’administration et la gestion de ses affaires : ratifiant, déboursant et concluant les traités de paix et d’amitiés avec les peuples et les nations chrétiennes de son choix, les plus proches comme les plus lointaines, et cela comme il l’entend, comme il veut et quand il veut. Aussi, il est de son bon droit de rompre les traités et les alliances avec les nations citées, s’il juge bon que cela servira le plus favorablement ses intérêts, et favorisera ses positions envers les États avec qui il traite. Tout cela, selon sa volonté et son libre-arbitre le plus total. C’est pour cela qu’il est hautement souhaitable, voire favorable de revenir à la situation telle qu’elle était par le passé ; à ce que la Sublime Porte signifie à quiconque voudra la paix avec Alger : « Il vous faut négocier avec Alger, car ils sont libres dans leurs traités et leurs alliances, ils sont entièrement libres de leur choix.  »

Dans un ouvrage publié au tout début du XVIIIe siècle, en 1701, un certain « Baudrand » écrit :

« Le Royaume (d’Alger) est sous la protection d’un Grand Seigneur (ottoman) ; il y tient un Pacha, mais n’y a aucun pouvoir, non pas même d’entrer dans le conseil sans y être appelé ». 

Un autre élément qu’il convient de mettre en évidence, et non des moindres, c’est que la régence d’Alger n’hésitait pas à s’attaquer aux navires appartenant aux États vassaux ou amis de l’Empire ottoman, que ce soient ceux de la Grèce ou de la Tunisie voisine. Par ailleurs, Constantinople se plaignait assez régulièrement auprès d’Alger des agissements de ceux qui étaient censés, théoriquement, êtres à leurs ordres, comme le montre un décret du sultan ottoman à l’endroit du gouverneur algérien daté du mois d’août 1815  :

« Les corsaires de la régence d’Alger capturent les navires de commerce appartenant soit aux sujets de la Sublime-Porte, soit à des nations qui sont en paix avec elle ; ils réduisent en captivité leurs capitaines et leurs marins et s’emparent de leurs cargaisons. Cependant la Sublime-Porte est responsable de ces navires ; ils sont munis de sauf-conduits et elle est en paix avec eux. L’avertissement que je vous donne a pour but que vous cessiez ces agressions et que vous abandonniez cette voie blâmable ».


« Vous, d’abord, vous, prince des princes, et vous, tous, capitaines et chefs de la Régence, soumettez-vous à Dieu et à son prophète, et obéissez aux ordres du Prince des Croyants, le Vicaire de Dieu sur la terre. Que mon firman soit exécuté, que mes ordres ne soient plus enfreints. » 
« Votre Régence était jadis glorieuse et puissante, elle ne s’écartait pas du droit chemin et était un appui pour nous. Rentrez dans la bonne voie, elle vous procurera, comme à vos prédécesseurs, de la gloire et des honneurs. » 


« O vous ! Prince que je viens de nommer, tout pouvoir vous est donné pour gouverner avec sagesse, modération et justice. Abstenez-vous, surtout, de suivre les errements de vos prédécesseurs, et n’attaquez pas les navires appartenant à des nations qui sont en paix avec ma Sublime-Porte. Ces recommandations s’adressent aussi à tous les capitaines de navires et à tous les chefs. »  


Ces informations nous démontrent sans la moindre ambiguïté possible le caractère autonome et indépendant du royaume d’Alger après sa tutelle ottomane durant le premier siècle de son existence. Donc, si nous reprenons deux des trois définitions données par le Larousse du concept de colonisation -un territoire sous dépendance économique et politique et rattaché à une métropole par des liens étroits- nous pouvons répondre avec la plus grande clarté que l’Algérie pré-coloniale, hormis une première période d’un siècle, ne fût pas une colonie turque. Toujours est-il que, bien que nous ayons dorénavant écarté les deux premières définitions du Larousse, il nous reste encore une définition à éclaircir, afin d’avoir la possibilité de répondre définitivement à la question initiale de savoir si l’Algérie fût vraiment une colonie turque. Nous avons vu que la troisième définition que nous a donné le dictionnaire français par excellence, que la colonisation d’pays ou une région est le fait de « Peupler un pays, une région de colons ». Autrement dit, il peut difficilement y avoir de « colonisation » d’un territoire sans flux migratoire important venant du pays colonisateur. En effet, une colonisation est, par définition, l’occupation d’un territoire géographique par un groupe humain étranger à ce territoire. Voyons donc, toujours à l’aide d’archives et de témoignages d’époque, ce qu’il en fût.

Jean-Michel Venture de Paradis, que nous avons déjà cité, mentionne que la milice turque était chiffrée à « 11 000 ou 12 000 hommes », et la population turque dans la Régence à « 7 000 ou 8 000 » hommes.  Rappelons qu’à l’époque où Venture de Paradis écrivait ces lignes, l’Algérie pré-coloniale était peuplée de plus de 100 000 âmes.

Ceci semble corroborer avec les statistiques données, en 2013, par l’ambassade turque en Algérie, qui affirme  :

« Il y a en Algérie, 600-700 000 Algériens d’origine turque, et en France, deux millions d’habitants d’origine turque ».

Ce que nous pouvons constater, c’est que la république d’Alger ne vit pas sa démographie originelle changer de manière radicale à partir de l’installation des frères Barberousse dans le Maghreb central. La population algérienne, dans l’Algérie pré-coloniale, resta, jusqu’au débarquement français de 1830, composée principalement d’Arabes, de Berbères et de Juifs, comme c’était le cas depuis plusieurs siècles. La population d’origine turque ne constituait qu’une minorité au sein du peuple algérien.

Sur une population algérienne composée de plus de 40 millions d’âmes, cela démontre à quel point l’apport démographique des Ottomans fût, pour le moins, anecdotique. En comparaison avec une réelle démarche coloniale, celle de la France en Algérie, la population française et européenne ne comptait pas moins d’un million d’individus sur une population arabo-berbère de 10 millions d’âmes lors de l’année de l’indépendance algérienne, en 1962. Les proportions, incomparables, démontrent que la présence ottomane dans l’Algérie pré-coloniale ne peut aucunement être considérée comme une entreprise coloniale, toujours en prenant comme référence la définition donnée par le dictionnaire français « Larousse ». De plus, nous pouvons également ajouter que, si l’Algérie aurait effectivement été « colonisée » par les Ottomans, les Algériens, en 1830, lors du débarquement des troupes militaires françaises, auraient eu, pour langue maternelle, le turc, et non pas l’arabe et le berbère. Or, non seulement les autochtones de la régence d’Alger ne cessèrent jamais de parler leurs langues d’origines, mais, de plus, nous apprenons des archives de la bibliothèque nationale d’Alger que la langue utilisée par les gouverneurs de la Régence était l’arabe, bien que le turc était également utilisé pour les rapports diplomatiques. En effet, une trentaine de lettres en langue arabe furent adressées par le résistant Hadj Ahmed, bey de la province de Constantine, au dey Hussein, juste avant la prise d’Alger par les armées impérialistes occidentales, de même que la pétition envoyée par ce dernier au parlement britannique, en pleine résistance face aux envahisseurs.  Le fait que, durant une période longue de trois siècles, aucun gouverneur de la Régence n’ait cherché à imposer la langue ottomane à la population autochtone, contrairement, encore une fois, à la France coloniale, qui a œuvré pour supprimer la langue arabe, qui fût même considérée comme une langue étrangère durant la colonisation, par la langue française, démontre qu’on ne peut décemment parler de « colonisation turque » lorsque nous faisons référence à la régence d’Alger. Également, il est important de préciser que le hanafisme, l’une des quatre écoles de jurisprudence de l’islam orthodoxe, suivis par la majorité des Ottomans, n’a jamais été imposé au Maghreb, qui resta de rite malikite, ce qui démontre l’influence minime de cette « colonisation » turque.

Un autre élément déterminant qui démontre que la régence d’Alger n’était aucunement une colonie ni même un État turc, c’est que cette dernière était considérée comme un pays arabe par ses dirigeants, comme nous le prouvent des archives officielles retranscrivant plusieurs correspondances entre les gouvernements algériens et français. Au mois de juin 1798, Mustapha Pacha, le dey d’Alger, écrivit une lettre adressée au directoire exécutif de la République française. Dans celle-ci, le gouverneur algérien se qualifiait en ces termes : « Gouverneur des pays arabes de l’Afrique ». 

Plusieurs années plus tard, le 12 juillet 1814, c’est Ali, le gouverneur d’Alger, qui, dans une lettre adressée au roi français Louis XVIII, qui mentionnait l’Algérie pré- coloniale de « Pays des Arabes ».   Hadj Ahmed, le bey de Constantine, dans une lettre adressée au pouvoir ottoman, mentionnait, lui aussi, l’Algérie comme étant une « province arabe », et non une province turque. 

C’est ici que nous conclurons notre démonstration. Pour récapituler, afin de répondre à la question posée dans le titre de cette partie « La régence d’Alger, une colonie turque ? », nous avons pris le parti de nous baser sur les trois définitions données par le dictionnaire français « Larousse ». Suivant celles-ci, nous avons analysé, à partir de faits historiques factuels et de documents officiels, si le royaume d’Alger entrait bien dans les critères donnés par les définitions de ce qu’est une « colonisation ». 

Nous sommes donc arrivés à la conclusion que si la première période d’existence de la régence d’Alger pouvait bien correspondre à une « colonie turque », la situation évolua dans un sens totalement contraire à partir du changement de régime de gouvernance du pays, qui commença à la fin du 17e siècle. Après cette réforme étatique, Alger se détacha franchement de la tutelle ottomane, pour se constituer en véritable État souverain et puissant. Le caractère autonome de la république d’Alger post-1671 ne souffre d’aucune contestation, lorsque nous analysons les sources d’époques, que ce soient les ouvrages de personnalités contemporaines ou les archives officielles. Alger ne payait pas de tribut à la métropole ottomane, ne se laissait pas dicter ses directives par cette dernière, battait sa propre monnaie, possédait sa propre armée, son gouvernement, déclarait la guerre à différents États et signait des traités à son nom sans en référer à Constantinople. La Sublime Porte n’avait aucun droit de regard sur l’administration de l’État algérien, ni sur sa politique, tant intérieur qu’extérieur. 

Conclusion

Tous ces éléments nous démontrent l’étendue de ce mensonge faisant de la puissante régence d’Alger une simple province sous colonisation turque. La réalité est que l’Algérie pré-coloniale était une monarchie élective et un puissant État totalement autonome, dont l’allégeance à l’Empire turc ne dépassait guère l’allégeance nominale au califat islamique du sultan de Constantinople. En effet, il serait imprudent de faire l’amalgame entre une indépendance religieuse et une indépendance politique, les deux n’étant pas forcément liés, comme nous le montrent plusieurs exemples à travers l’histoire. Nous pouvons, par exemple, citer l’émirat indépendant de Cordoue, fondé en 756 par l’Omeyyade Abd-al-Rahman, dont l’indépendance politique ne se confondait nullement avec son allégeance religieuse à l’empire d’Orient. En effet, les premiers siècles de l’émirat de Cordoue étaient marqués par le refus, ou, du moins, par l’abstinence des gouverneurs omeyyades, de revendiquer le titre suprême de calife, réservé aux Abbassides.   De plus, nous pouvons citer l’exemple de l’Empire maghrébin des Almoravides, qui, bien qu’indépendant dans les faits, était également sous l’allégeance des Abbassides.

Les lecteurs l’auront donc compris, la réponse à la question de départ est sans équivoque : non, la régence d’Alger n’était pas une colonie turque.

Mohammed Ibn Najiallah, chercheur en histoire, diplomé en Histoire des Civilisation et en Histoire de l'Art, écrivain,  auteur d'une douzaine d'ouvrages.

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