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Billet de blog 17 avril 2025

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Les confrontations militaires entre les Vikings et les Arabes

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Introduction


Certains épisodes du passé semblent avoir échappé à la mémoire collective. L’Histoire appartient à ceux qui l’écrivent, dit-on. La mémoire est sélective, et celle de l’Histoire reste tributaire de celles et ceux qui décident de l’écrire. On connaît les aventures des Vikings, leurs batailles, leurs sublimes navires, leurs haut-faits. Faisons donc une enquête auprès des Français, ou des francophones, et questionnez-les : connaissez-vous les Vikings ? Bien sûr, quelle question ! Très bien, autre question : connaissez-vous les Omeyyades ? Mais bien-sûr…que non. Évidemment. Combien de ceux qui connaissent Ragnar Lothbrok, connaissent Abd Ar Rahman II ? Et, parmi ceux qui ont gardé en mémoire les aventures de Bjorn côtes-de-fer, combien seraient capables de dire qui est Mohammed Ier ? Certes, l’image du guerrier nordique est, aujourd’hui, plus « glamour » que celle de l’Arabe, dont le sens est entouré d’une couleur terne. La faute à ces séries télévisées qui inondent l’Occident, depuis une décennie, d’œuvres dédiés à la gloire des Vikings ? En partie, certainement. Mais est-ce vraiment à ce niveau que se situe le problème ? Nous ne le pensons pas. Après tout, les producteurs, les scénaristes, ou les réalisateurs européens et (ou) américains ont bien le droit de focaliser leur attention sur les périodes de l’Histoire qui les intéressent, de même qu’ils ont la liberté de focaliser leur attention sur les groupes humains qui les intéressent particulièrement. Il serait malhonnête de leur jeter une (petite) pierre qui mérite de percuter le crâne endormi d’une partie considérable de la communauté arabo-musulmane.  La faute, en réalité, revient exclusivement aux populations vivant dans le monde arabe, ainsi que sa diaspora établit dans les quatre coins du Globe, qui n’ont manifestement que peu d’envie pour, d’une part, apprendre leur histoire, celle de leurs ancêtres, et, encore moins, de la partager aux yeux du reste du monde. C’est donc dans un mélange de joie, de fierté, mais aussi d’amertume et de colère que nous allons, pour la première fois, présenter un ouvrage traitant des affrontements entre les Vikings et les Arabes.

La majorité des individus ne connaissent les Vikings que par le prisme des diverses productions fictives apparues au cinéma ou à la télévision depuis environ une dizaine d’années. Comme dans toute œuvre fictive, une grande part d’imaginaire caractérise ces productions ; il importe donc de ne pas les considérer plus que ce qu’ils sont : un divertissement. C’est la raison principale pour laquelle nous avons décidé, plutôt que de narrer exclusivement les affrontements entre les Vikings et les Arabes, de consacrer toute une première partie à l’histoire des Vikings, de leurs origines à leur fin, en passant, naturellement, par leur âge d’or. 

Nous avons décidé de diviser cet ouvrage  en trois parties bien distinctes. 

La première partie de ce livre, comme nous venons de le mentionner, aura pour but d’apprendre à nos lecteurs qui se cachent réellement derrière les Vikings, loin de l’image véhiculée par les films ou les séries télévisées. Qui étaient les Vikings ? Constituaient-ils un peuple ? D’où vient ce mot « viking » ? Parlaient-ils la même langue ? Avaient-ils tous ce physique blond aux yeux bleus, qui semble les représenter dans toutes les œuvres cinématographiques et télévisuelles ? Nous allons tenter de répondre à toutes ces interrogations, et bien plus encore. Nous passerons, bien sûr, beaucoup de temps sur la période constituant l’apogée des Vikings. Leurs premiers raids en Occident, leurs conquêtes, leurs batailles. Mais, comme tout cycle possède son épilogue, nous verrons aussi, dans le détail, la chute des guerriers scandinaves, et nous tenterons d’en cerner les causes.  Pour cette partie, nous nous sommes appuyés, de manière quasi exclusive, sur les travaux des trois spécialistes français les plus éminents concernant la civilisation et le monde scandinaves : le regretté Régis Boyer, linguiste et traducteur, professeur de langues et de littérature scandinaves ; Pierre Baudin, professeur d’histoire médiévale, et Jean Renaud, historien et professeur d’université, auteur d’une dizaine d’ouvrages sur la civilisation nordique. Les travaux considérables de ces spécialistes nous ont permis de considérer l’histoire des Vikings à sa juste valeur, débarrassée des fantasmes fantastiques qui leur sont (trop) souvent attribués.

Dans la seconde partie de notre livre, nous entrerons directement dans le vif du sujet, après avoir introduit le contexte historique et politique dans lequel les rencontres entre les Vikings et les Omeyyades virent le jour. Après avoir retracé la naissance de l’émirat de Cordoue, nous déplacerons le curseur sur les batailles opposant les guerriers scandinaves aux Arabo-musulmans. Nous utiliserons les sources arabes les plus anciennes, celles sur lesquelles les auteurs occidentaux se sont eux-mêmes appuyé pour rédiger leurs œuvres largement postérieurs.  Enfin, nous avons décidé de consacrer une troisième partie à notre ouvrage, constituée de certains éléments que nous n’avons pu traiter dans les parties centrales de ce livre. En effet, nous avons tenté, autant que faire se peut, de rester le plus synthétique possible, afin de ne pas alourdir outre mesure cet ouvrage en imposant des thèmes trop périphériques, ce qui aurait potentiellement pu rendre la lecture indigeste.  Dans cette partie annexe, nous avons choisi d’éclairer nos lecteurs sur plusieurs éléments : la légende de Ragnar Lothbrok, les femmes vikings, la découverte de l’Amérique par les Vikings, le Valhalla, et le dieu Odin. Chaque thème sera traité de manière non exhaustive, et de la façon la plus concise possible. Après cette brève introduction, il est désormais temps d’entrer dans le monde des Vikings. Nous espérons que cet ouvrage permettra à nos lecteurs arabo-musulmans de réaliser que, s’il est bien entendu toujours bénéfique de s’intéresser à l’histoire d’autres peuples, ils n’ont nul besoin, pour autant, de fantasmer sur les haut-faits de ces derniers. Leur histoire comprend des faits encore plus remarquables que ceux de ces peuples qui suscitent leur admiration, comme nous le verrons au cœur de cet ouvrage.

Les Vikings :  Qui sont-ils ? Le mythe d’un « peuple »

Dans l’imaginaire d’un certain nombre de personnes, certainement par la faute des productions télévisuelles de ces dernières décennies, les Vikings formeraient un peuple, pour ne pas dire une « race », une ethnie ou un groupe humain. Ces derniers partageraient un type de physique commun, une langue commune, et auraient eu une conscience « nationale », celle d’appartenir à un seul et même peuple. Ces hommes du nord seraient une population dont l’aspect physique serait caractérisé par une chevelure longue et dorée et des iris teintés d’un bleu presque translucide. C’est véritablement ce portrait type qui se cacherait derrière ce terme de « Viking ».  Pourtant, nous savons que ce qui serait une population homogène, désignée sous l’appellation générique de « Viking » correspond plus à un regard uniformisant exogène dressant un portrait type fantasmé des populations nordiques plutôt qu’à une réalité historique factuelle et avérée. En effet, en premier lieu, il serait erroné de croire que l’homme (ou la femme) scandinave serait marqué par un seul phénotype ; il existait, dans le nord de l’Europe, au moins autant de petits hommes bruns aux yeux foncés que de grands blonds aux yeux bleus. Il n’existe pas de « peuple viking », et cela, pour plusieurs raisons, dont la première, d’ordre sémantique, suffit à annihiler ce mythe : le mot « viking » n’a jamais désigné, dans son sens premier, un peuple en particulier. Au contraire de ce que beaucoup de personnes peuvent croire, le terme « viking » (avec une minuscule) n’est aucunement une appellation d’ordre ethnique. En réalité, le terme « viking », dans son sens premier, désignait une activité, et non une origine. Effectivement, en vieux norrois , le mot víkingr était employé pour désigner des pirates ou des corsaires originaires du monde scandinave  ; seules les personnes exerçant ces activités étaient donc appelées « vikings », et non l’entièreté des populations vivant au sein de ces territoires du Nord de l’Europe. Les sources norroises contemporaines de l’époque viking font la distinction entre un « vikingr » et un « viking ». Le premier terme désigne une personne souvent représentée comme ennemie, tandis que « viking », qui est au féminin, fait référence à une activité, comme nous venons de le dire un peu plus haut. On parle alors de partir « í víkingu » (vikinger, en gros) . 

Régis Boyer, spécialiste français des civilisations nordiques, donnera cette définition : 

« On appelle Viking (Víkingr, en norrois) un commerçant de longue date, remarquablement équipé pour cette activité, que la conjoncture a amené à se transformer en pillard ou en guerrier, là où c’était possible, lorsque c’était praticable, mais qui demeurera toujours quelqu’un d’appliqué à afla sér fjár (« acquérir des richesses »). »

Selon le dictionnaire « A Concise Dictionary of Old Icelandic », édité en 1910 par Geir Tómasson Zoëga, la première mention, en vieux norrois, du terme « viking », signifie : 

« Être engagé dans une expédition de piraterie et de guerre ». 

Toutefois, il est peu probable que le terme « viking » soit endogène et, encore moins, qu’il ait pu avoir un quelconque caractère endonimique. En effet, il est certainement plus envisageable que ce terme, à l’origine, provienne plutôt d’une ancienne langue anglo-saxonne, le vieil anglais , et qu’il dériverait du mot « wīcing », qui signifie précisément « pirate ». Il n’est pas interdit de penser que ce seraient donc plutôt les Anglo-Saxons, qui furent en contact avec les pirates scandinaves, comme nous le verrons plus loin, qui attribuèrent cette appellation à ces guerriers venus de Scandinavie.

En 1826, George-Bernard Depping, dans son « Histoire des expéditions maritimes des Normands et de leur établissement en France au dixième siècle », écrit, à ce propos :

Dans le langage du Nord on désignait généralement ceux qui se livraient aux expéditions navales, et qui subsistaient uniquement de la vie de mer, des vikingues. Quoique ce terme puisse venir de wick qui désigne une anse ou une station propre à cacher un navire, et que par conséquent vikingues soit synonyme de pirate, ce nom était un titre honorable, et on l’inscrit comme tel sur les pierres runiques à côté du nom des individus qui avaient exercé pendant leur vie la piraterie. Nous avons vu que la plus grande bravoure et une audace à toute épreuve ennoblissaient cet état flétri par les lois des peuples civilisés. 

Les premières mentions, en langue française, du terme « Viking », sont attestées dans les premières décennies du XIXe siècle, dans un ouvrage de Walter Scott, intitulé Œuvres de Walter Scott :

« Est-il plus sage, croyez-vous, de prendre un moulin pour un géant, que le commandant d’un petit bâtiment corsaire pour un Kiempe ou un Viking ?

Ainsi que chez Augustin Thierry, dans son « Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands » :

On l’avait vu tour à tour pirate et guerrier errant, viking et varing, comme on s’exprimait dans la langue du Nord .

A partir de l’année 1842, le terme « viking » fera son apparition dans le « Complément du dictionnaire de l’Académie française » :

VIKING, s.m. Titre que prenait le fils du roi, chez les peuples scandinaves, lorsqu’il commandait une station maritime. Quelques-uns écrivent Vikingue .

Ce fut véritablement à partir de ce début du XIXe siècle que ce terme de « Viking » remplacera celui de « Normands » qui prévalait chez les auteurs européens du Moyen âge. Cette précision terminologique est d’une importance capitale pour comprendre la distinction que nous opérons, comme nous le verrons plus loin, entre le « mouvement viking » et ce que nous avons appelé le « phénomène d’expansion viking ».

Une autre raison pour laquelle il n’existe pas de « peuple » viking, ou, plutôt, scandinave, en dehors des différences de phénotypes que nous avons déjà mentionnés, est l’absence d’unité géographique de ce que nous appelons la Scandinavie. En effet, d’une part, les frontières modernes de cette région ne correspondent pas à celles qui existaient au Moyen Âge, mais, également, nous n’avons aucune trace qui irait dans le sens d’une unité politique scandinave. De plus, les populations scandinaves n’avaient aucun sentiment d’appartenance fondé sur un critère « national » qui regrouperait tous les Normands.  Cependant, si plusieurs éléments vont dans le sens d’une absence d’unité du monde scandinave, il existe d’autres données qui prouvent que, en dépit de leurs différences, les Normands étaient liés par d’autres critères. En premier lieu, la langue. Les populations de cette région s’expriment dans des langues dites « scandinaves », qui sont un groupe de langues provenant du nordique commun, une langue d’origine indo-européenne . Certes, ces langues ont naturellement développé, au fil du temps et de l’Histoire, certaines particularités propres à chacune d’elles, mais cela n’empêche pas une intercompréhension entre ces différents idiomes. Comme le dit Régis Boyer : « Les Scandinaves sont ces Germains qui se comprennent entre eux ».  Le mode de vie commun des populations nordiques est également à prendre en considération. Mais nous n’entrerons pas dans les détails, cette étude n’étant pas utile pour le thème de notre ouvrage.

Les Omeyyades et la conquête d’Al-Andalus

Les Omeyyades, ou les Banu Umayya, en langue arabe, étaient une dynastie arabe qui régna sur le monde musulman à partir de l’année 661, jusqu’en 750, et leur renversement par la dynastie des Abbassides, et de 756 à 1031 en Al Andalus, la péninsule ibérique arabe et musulmane. Leur capitale fut la ville de Damas, dans la Syrie actuelle.  Après s’être rendus maître de l’Afrique du Nord, le gouverneur, Moussa Ibn Nossayr envoya, en 711, son général, Tariq Ibn Ziyad , faire la conquête de la péninsule ibérique, alors sous domination wisigothique. Après avoir balayé les forces germaniques, avec une armée de 12 000 hommes seulement, Tariq et ses hommes entamèrent leur marche à travers la péninsule hispanique. Après avoir conquis une bonne partie du pays, Moussa Ibn Nossayr rejoindra l’Espagne avec une armée de 18 000 soldats. Les deux hommes et leurs hommes achèveront ensemble la conquête de la péninsule. Les Arabo-musulmans ajoutèrent l’Espagne  à leur (déjà) vaste territoire islamique. 
En 744, Marwan II devint le chef de l’empire des Omeyyades. Avant son règne, la dynastie connut plusieurs difficultés, principalement des soulèvements au sein de plusieurs régions sous l’autorité des Arabes : au Maghreb, en Espagne, et en Irak. Les Kharijites, dont nous avons parlé un peu plus haut, tentèrent de renverser le pouvoir en place, et tentaient même de s’emparer de La Mecque et de Médine. Le calife Marwan II finira, tant bien que mal, par éteindre toutes ces insurrections, mais le mal était fait : la dynastie omeyyade en sortit terriblement affaiblie, à tel point que son épilogue ne semblait point faire de doute. Le coup de grâce viendra des Abbassides. En 750, une bataille aura lieu entre les Omeyyades et les Abbassides. Cet affrontement marquera le triomphe des Banu Abbas, et donc la fin des Omeyyades.

Les Abbassides sont une dynastie dont le nom vient d’Al Abbas Ibn Abd Al-Muttalib, qui fut l’oncle du Prophète. Ce fut son fils, Abdallah Ibn Al Abbas, qui deviendra l’ancêtre de la dynastie, en devenant le premier calife abbasside après la chute des Banu Umayya. Les Abbassides massacreront toute la famille de la dynastie déchue, en commençant par le dernier calife omeyyade, Marwan II. Il ne devait plus subsister aucune trace de la famille des Banu Umayya sur Terre. Tous les membres du clan furent pourchassés et assassinés. Tous, ou presque…

La Renaissance des Omeyyades : L’Émirat de Cordoue

L’un des membres de la famille omeyyade réussit à échapper à une mort promise : un certain Abd Ar Rahman Ibn Muawiya. Le jeune homme d’à peine vingt ans et quelques membres de sa famille eurent à peine le temps de fuir pour aller se mettre à l’abri, alors que l’armistice promis par le premier calife abbasside avait été rompu. Gabriel Martinez-Gros explique cet épisode en ces termes : 

Comme les Berbères à Tanger, les Abbassides, dans leur souci de tuer jusqu’à la racine, n’épargnent ni les femmes ni les enfants. Par opposition aux Omeyyades, tournés vers les frontières et la guerre sainte, le nouveau pouvoir se montre d’emblée fermé, secret, monarchique. Le Calife n’apparaît pas. Les meurtres sont commis au plus profond des pièges que sa stratégie d’araignée a su disposer. Conscient de son impuissance à se saisir des Omeyyades dispersés dans tout l’Empire, le Califat abbasside fait proclamer une large amnistie. Soixante-dix Omeyyades attirés par cette offre trompeuse sont rassemblés sous la tente de celui que la chronique nomme Al-Saffāh. Ils y sont exécutés à coups de masses d’armes. Trois autres, eu égard à leur rang, sont décapités. Le meilleur cavalier omeyyade est capturé, amputé d’une main et d’un pied et promené à travers la Syrie jusqu’à ce que mort s’ensuive .

Le jeune survivant de la dynastie des Banu Umayya n’avait d’autres choix que de quitter sa terre d’origine, ainsi que tout l’Orient arabe, qui était désormais passé sous le contrôle de l’ennemi. Abd Ar Rahman réussira à s’échapper de sa patrie orientale, et sera contraint d’errer pendant plusieurs années à travers plusieurs contrées du monde musulman, jusqu’à chercher refuge dans l’Occident arabe, au Maghreb, qui échappait alors à l’emprise des Banu Abbas, au sein de la tribu berbère des Nefza, d’où sa mère était originaire. Mais bien qu’Abd Ar Rahman fut libéré de la menace abbasside, il dut faire face à un ennemi inattendu : le maître de Kairouan, qui semblait craindre la présence d’un descendant de la noble famille des Omeyyades sur ses terres. En effet, on raconte qu’Abd Ar Rahman Ibn Habib, ancien vice-roi omeyyade de Kairouan, avait un conseiller juif maîtrisant les arts divinatoires. Ce dernier aurait fait la prédication à son roi qu’un descendant des Quraysh, et plus particulièrement un Omeyyade, finira par fonder une dynastie dans la péninsule ibérique. Le roi du Kairouan étant le cousin du gouverneur d’Al-Andalus, il décida de se prémunir d’une éventuelle réalisation de cette prédiction, et prendra la décision de supprimer Abd Ar Rahman. De nouveau poursuivi en Afrique du Nord, le jeune homme n’eut d’autres choix que de fuir ; c’est en Espagne, après s’être caché chez plusieurs tribus berbères de l’ouest du Maghreb, qu’il trouvera alors refuge. Et pour cause, Abd Ar Rahman savait que subsistait, en Espagne, une petite population originaire de Syrie, qui était susceptible d’avoir gardé une trace de leur fidélité à la maison omeyyade.

Al-Andalus et la guerre des clans entre les Arabes

A cette époque, la situation dans la péninsule ibérique n’était pas beaucoup plus idyllique que dans l’Orient arabe. En effet, le pays était en proie à des guerres civiles destructrices : les affrontements entre les Arabes et les Berbères ont désormais laissé place à une guerre intra-ethnique opposant les Arabes du Nord (les Qaysite) aux Arabes du Sud (les Yéménites). Bref, c’est le chaos qui régnait dans l’Espagne musulmane. Justement, le prince fugitif profitera habillement de ces guerres pour parvenir au pouvoir. Mais avant de voir cela, revenons quelques instants sur cette opposition entre les Arabes du Nord et ceux originaires du sud de la péninsule arabique.

Dans la tradition généalogique arabe, il existe plusieurs générations d’Arabes :

1.    Les Arabes disparus 

Les Arabes disparus (Al Arab’Baïda) sont, selon la tradition arabe, les premiers habitants de la péninsule arabique. Les historiens nous rapportent les noms de plusieurs de ces anciennes tribus arabes, parmi lesquelles :


•    Les Ad
•    Les Thamūd
•    Les Amalécites
•    Les Tasm
•    Les Djadis


Le Saint Coran mentionne, par ailleurs, les deux premières tribus citées, dans plusieurs sourates, comme, par exemples :

« Et aux Thamud, leur frère Salih: « Ô mon peuple, dit-il, adorez Allah. Pour vous, pas d'autre divinité que Lui. Certes, une preuve vous est venue de votre Seigneur : voici la chamelle d'Allah, un signe pour vous. Laissez-la donc manger sur la terre d'Allah et ne lui faites aucun mal ; sinon un châtiment douloureux vous saisira. » 

وَإِلَىٰ ثَمُودَ أَخَاهُمْ صَٰلِحًۭا ۗ قَالَ يَٰقَوْمِ ٱعْبُدُوا۟ ٱللَّهَ مَا لَكُم مِّنْ إِلَٰهٍ غَيْرُهُۥ ۖ قَدْ جَآءَتْكُم بَيِّنَةٌۭ مِّن رَّبِّكُمْ ۖ هَٰذِهِۦ نَاقَةُ ٱللَّهِ لَكُمْ ءَايَةًۭ ۖ فَذَرُوهَا تَأْكُلْ فِىٓ أَرْضِ ٱللَّهِ ۖ وَلَا تَمَسُّوهَا بِسُوٓءٍۢ فَيَأْخُذَكُمْ عَذَابٌ أَلِيمٌۭ 


Est-ce que ne leur est pas parvenue l'histoire de ceux qui les ont précédés : le peuple de Nuh (Noé), des 'Ad, des Thamūd, d'Ibrahim (Abraham), des gens de Madyan, et des Villes renversées ? Leurs messagers leur avaient apporté des preuves évidentes. Ce ne fut pas Allah qui leur fit du tort, mais ils se firent du tort à eux-mêmes.  

أَلَمْ يَأْتِهِمْ نَبَأُ ٱلَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ قَوْمِ نُوحٍۢ وَعَادٍۢ وَثَمُودَ وَقَوْمِ إِبْرَٰهِيمَ وَأَصْحَٰبِ مَدْيَنَ وَٱلْمُؤْتَفِكَٰتِ ۚ أَتَتْهُمْ رُسُلُهُم بِٱلْبَيِّنَٰتِ ۖ فَمَا كَانَ ٱللَّهُ لِيَظْلِمَهُمْ وَلَٰكِن كَانُوٓا۟ أَنفُسَهُمْ يَظْلِمُونَ 

2.    Les Arabes « purs »

Al Arab Al Ariba, ou les Arabes arabisants, les Arabes purs, les Arabes originaux (il est difficile de trouver un équivalent en langue française du terme arabe Ariba) sont les populations qui vivaient dans la péninsule arabique avant l’arrivée d’Ismaël fils d’Abraham, et de ses descendants (nous y reviendrons juste après). La tradition arabe divise généralement ces tribus originelles d’Arabie en deux souches : les Himyarites et les Kehlanites, tous deux issus d’un ancêtre commun : Qahtan, descendant du prophète Houd. Leurs origines se situent, toujours selon les généalogistes arabes, dans le sud de l’Arabie. 

3.    Les Arabes « arabisés »

Parmi les générations d’Arabes connues dans la tradition, il y a celle qu’on appelle les Arabes « arabisés » (Al Arab Moustariba ), qui désigne les peuples arabes dont les origines se situent hors de la péninsule arabique, mais qui se sont installés dans la région, au point de devenir eux-mêmes des Arabes. Leur ancêtre est Ismaël, fils d’Abraham, qui s’est installé en Arabie et qui a épousé une femme de la tribu arabe des Bani Jurhum. La descendance d’Ibrahim s’étant perpétré sur la terre des Arabes, ces non-Arabes de base se sont mélangés aux autochtones (les Arabes originaux) et ont fini, naturellement, par adopter leur langue, leur culture, leurs mœurs, et sont devenus des Arabes à part entière. Le Prophète de l’islam, Mohammed, fait partie de ces Arabes « arabisés », puisqu’il est un descendant d’Ismaël. Ils sont souvent appelés « Arabes du Nord », « Arabes du Nord », « Arabes Qaysites », « Arabes Adnanites » ou « Arabes Ismaélites ». 
En Orient, les Arabes du Nord et ceux du Sud de l’Arabie étaient connus pour entretenir une certaine rivalité, qui sera importé jusque dans la péninsule ibérique. Le califat omeyyade ne connut que trop bien ces querelles claniques, puisqu’il les vécut pleinement lors de la question de la succession du calife Muawiya II. En effet, les hériter du calife étant encore beaucoup trop jeunes pour prétendre au trône, un candidat ne faisant pas partie de la maison des Banu Umayya était soutenu par les Arabes « Qaysites », tandis que les Arabes yéménites, de leur côté, optaient pour un Omeyyade. Finalement, ce sera une victoire des Omeyyades et de leurs alliés yéménites, ce qui aboutira au règne de Marwan Ier. 

Mais d’où provient cette dichotomie entre les Arabes du Nord et les Arabes du Sud ? Si nous avons déjà fait référence à leur rivalité ancestrale, cela ne nous indique que très peu les raisons pour lesquelles ce conflit intra-ethnique se poursuivit sur le sol de l’Espagne musulmane. La quasi-totalité des historiens ayant traité de ce sujet ne mettent l’accent que sur un conflit d’ordre ethnique et régionale : les Arabes Qaysites et les Arabes Yéménites se détestaient, il était donc naturel que ces derniers s’affrontent à partir du moment où ils se retrouvaient à cohabiter sur un même territoire. Cette opposition ne serait donc que purement tribale, l’esprit de clan ayant la primauté face à toute autre considération. Ibn Khaldûn, le père de la sociologie moderne, a théorisé le concept d’asabiyya, improprement et anachroniquement traduit par « nationalisme » :

Chez les tribus bédouines, leurs Cheikhs et leurs Anciens servent de modérateurs, à cause du grand respect et de la vénération qu’on leur porte. Leurs campements sont défendus, contre l’ennemi du dehors, par une garde composée de jeunes nobles de la tribu, réputés pour leur courage, qui n’est à la hauteur de sa tâche que si elle forme un groupe uni par l’esprit de clan (asabiyya) d’une ascendance commune. Cet esprit renforce leur ardeur et les rend redoutables, car chacun d’eux fait passer avant tout son esprit de famille et de clan. Dieu a mis, dans le cœur des hommes, une affection naturelle pour son propre sang : elle engendre l’assistance mutuelle et accroit la peur chez l’ennemi. C’est ce que montre, dans le Coran, l’histoire de Joseph et de ses frères. Ils dirent à leur père : « Si le loup le mange pendant que nous sommes tous ensemble, nous sommes perdus ». En effet, on ne saurait imaginer que quelqu’un puisse être victime d’une agression, alors qu’il a son clan autour de lui. Ceux qui n’ont à se soucier de personne de leur propre sang sont rarement attachés aux autres. Au combat, quand il y a du danger, ils s’esquivent et cherchent à sauver leur peau, parce qu’ils craignent de rester seuls. Ceux-là ne pourraient vivre au désert, sans se faire « avaler » par quelques nations de proie.

Le sentiment du matrilignage est naturel aux hommes (sauf rares exceptions). On aime ses parents et sa famille maternelle. On a l’impression qu’aucun mal ne peut leur arriver, aucun désastre les atteindre. On partage leur humiliation s’ils sont traités injustement ou attaqués, et l’on voudrait intervenir en leur faveur, si quelque danger les menace. C’est là une tendance naturelle à l’homme depuis que l’homme est homme. Si la proche parenté (nasab), entre personnes qui s’épaulent, est très étroite, et conduit à des contacts du même ordre et à l’unité, les liens sont évidents et la solidarité n’a pas besoin de manifestation extérieure. Tandis qu’une parenté éloignée est souvent en partie oubliée. Il en reste, pourtant, quelque chose, et on vient toujours en aide à ses parents, à cause de la honte que l’on aurait à les laisser traiter injustement. (…) C’est ainsi qu’il faut prendre le mot de Mohammed (le Prophète) « Apprenez, de vos lignages (ansab), ce qui vous permettra de fixer vos matrilignages ». Cela signifie que les liens du sang sont utiles, dans la mesure où ils impliquent la cohésion : conséquence du matrilignage et motif d’aide mutuelle et d’affection.

Pourtant, comme l’a rapporté Pierre Guichard, M.A Shaban, dans son ouvrage intitulé « Islamic History : a New Interpretation », publié en 1979, tente plutôt d’apporter une lecture plus pragmatique du conflit entre les deux groupes d’Arabes. En effet, Shaban suggère plutôt d’y voir une opposition politique, plutôt que tribale ; selon l’auteur, le fond du problème, dans ce contexte andalou, de cette guerre civile arabo-arabe, proviendrait du fait que les Arabes du Nord, les descendants de Qays, auraient eu pour dessein de maintenir la suprématie politique des Arabes au sein de l’empire islamique. Les Arabes du Sud, eux, se seraient opposés à cette vision arabo-centrée de leurs frères ennemis, en ayant une vision plus inclusive des populations conquises.  

Pierre Guichard s’oppose, toutefois, à cette lecture de M.A Shaban :

On ne peut cependant écarter le fait que c’est bien en termes exclusivement tribaux que les premiers historiographes arabes parlent de structures de base de l’organisation qui s’aggravent progressivement dans la première moitié du VIIIe siècle, jusqu’à constituer l’un des facteurs principaux de la crise dont périt finalement le régime omeyyade. Si les Arabes de ce temps avaient été en mesure de concevoir de véritables « partis » dotés de ce que l’on pourrait appeler des « programmes politiques », n’auraient-ils pas été aussi capables d’interpréter dans les mêmes termes les conflits qui les divisaient ? Sans doute la plupart de ces tribus entrées dans le processus de conquêtes étaient-elles en train d’évoluer du statut de « tribu bédouine » soumise aux contraintes du milieu désertique à celui de groupe militaire aristocratique stabilisé dans une garnison provinciale ; l’appartenance à ces tribus changeait  parallèlement de signification dans le cadre d’un vaste empire organisé, doté d’un pouvoir supra tribal relativement stable et d’un certain nombre d’institutions religieuses, politico-administratives et militaires sans antécédents dans la société segmentaire arabe antérieure à l’apparition de l’islam. Mais les groupes arabes qui interviennent dans les luttes civiles de l’époque sont bien fondés sur des liens généalogiques et non pas sur des tendances politiques, Il s’agit de « factions » à base tribale qui cherchent à influer sur le pouvoir pour en tirer profit, ou éventuellement un programme. On constate que les sentiments d’appartenance tribale ou d’ « esprit de clan » (asabiyya) jouèrent un rôle fondamental dans les événements que l’on voit se dérouler dans la Péninsule ». 

Quoi qu’il en soit, la Péninsule ibérique était dans un chaos politique total. Le prince omeyyade fugitif ne se fera pas prier pour se servir de ces guerres claniques pour imposer son autorité sur cette terre espagnole. Nous l’avons mentionné, il existait, en Andalousie musulmane, une petite communauté arabe originaire de Syrie. Cette population fit son entrée dans la péninsule ibérique une dizaine d'années plus tôt, suite à des problèmes ravageant le Nord de l’Afrique. En effet, au début des années 740, des Kharijites venus d’Irak pénétrèrent dans l’Occident musulman et y prêchèrent leur doctrine hétérodoxe à la population berbère, dans le but de les pousser à la révolte face aux dirigeants omeyyades, qu’ils tentèrent de renverser en Orient depuis plusieurs années. La propagande prendra effet, et les Berbères de l’Ouest du Maghreb se soulèveront contre leurs souverains, et finiront même par assassiner le gouverneur de Tanger ainsi que le fils du vice-roi de Kairouan. Pour éteindre cette insurrection qui commença à ravager le Maghreb, une armée formée de plus de 10 000 Arabes venus de Syrie sera envoyé pour mettre les rebelles hors d’état de nuire. Mais, arrivée en Ifriqiya, de graves tensions virent le jour au sein de cette armée entre les Arabes syriens et ceux d’Afrique, au point où une nouvelle guerre civile fut évitée de très peu. C’est dans cet état de tension extrême que l’armée arabe ira à la rencontre des troupes berbères et kharijites. Sans grandes surprises, les troupes arabes se feront décimées par les révoltés : un tiers d’entre eux furent tués, un autre tiers sera réduit en état de captivité. Les survivants, qui formèrent le tiers restant de l’armée arabe, parviendront à fuir et à gagner la péninsule ibérique ; ce sont ces soldats dont nous avons parlé lorsque nous avons mentionné l’existence d’une communauté syrienne en Al-Andalus.Ces Syriens, qui étaient, pour la quasi-totalité, des anciens « clients » des Omeyyades, étaient restés fidèles à la maison de leurs anciens maîtres. Leur loyauté était telle que, lorsque ces troupes partaient au combat, ils arboraient, non sans une fierté certaine, l’étendard blanc des Omeyyades .

Abd Ar Rahman, toujours de l’autre côté de la Méditerranée, enverra son fidèle affranchi Badr à la rencontre du chef de ce contingent syrien, afin de lui transmettre le message faisant valoir sa revendication au trône d’Al Andalus, en vertu de son affiliation directe avec son grand-père, l’ancien calife Hicham Ibn Abd al-Malik. Abu Othman Ubayd Allah accueil, comme il fallait s’en douter, favorablement cette nouvelle. Le jeune prince arabe pouvait donc compter sur ses fidèles alliés. Il ne lui restait donc plus qu’à traverser le détroit de Gibraltar… Sauf que, un gouverneur était alors en place, en Al Andalus : Youssef Al Fihri. Les Fihrites étaient des Arabes Quraychite qui entretenait une vieille rivalité avec les Omeyyades. Après la chute du califat de Damas, les Fihrites réussirent à imposer leur souveraineté en Afrique du Nord et en Espagne. C’était un secret de Polichinelle que Youssef Al Fihri, dans le contexte du conflit fratricide entre les Arabes du Sud et ceux du Nord, penchait de façon manifeste pour ces derniers, dont il était issu, en tant qu’Arabe quraychite. 

Abd Ar Rahman, après avoir mis le pied en Andalousie, mènera une campagne de propagande chez les Yéménites, afin de les rallier à sa cause. Ainsi, le prince des Banu Umayya verra ses troupes augmentées de 3 000 cavaliers arabes originaires des tribus yéménites . Abd Ar Rahman, connu également sous le surnom de « Faucon de Quraysh », ira défier le gouverneur Youssef Al Fihri, et sortira vainqueur de cette guerre. Nous sommes en 756. La dynastie des Fihrites connut son épilogue ; Abd Ar Rahman, quasiment le seul membre de sa famille à avoir pu échapper à la lourde sentence des Abbassides, devint Abd Ar Rahman Ier, le premier souverain de la dynastie omeyyade de Cordoue. 

Les Vikings débarquent en Al-Andalus : La première bataille :

Le prince fugitif des Banu Umayya rétablit la dynastie omeyyade sur le territoire de la péninsule ibérique. Caractérisé, cela va de soi lorsque nous sommes au fait du contexte dans lequel Abd Ar Rahman fit son entrée en Al Andalus, par une certaine fragilité, le fondateur de la dynastie parviendra, au gré d’une vie de lutte, à consolider le jeune émirat, au point de lui donner une dimension dynastique . Le « Faucon de Quraysh » s’éteindra en 788.

822. Le calife omeyyade Al-Hakam Ier perd la vie. Sa succession sera assurée par son fils, un certain…Abd Ar Rahman II. Ce dernier n’était autre que l’arrière-petit-fils du grand Abd Ar Rahman Ier. Nous l’avons vu dans la première partie de ce livre, le IXe siècle correspond, eu Europe occidentale, à cette expansion normande (ou mouvement viking) dont nous avons longuement parlé auparavant. La Grande-Bretagne, l’Irlande ou le royaume franc, entre autres, sont la cible de ces étranges pirates des mers venus de la glaciale Scandinavie. La péninsule ibérique n'en fera pas exception. En 844, les Vikings débarquent sur les côtes espagnoles, précisément dans la partie nord, restée chrétienne même après l’entrée des troupes arabes en 711. Le royaume des Asturies sera donc la première zone de l’Espagne à devoir faire face à l’adversité militaire des Vikings. Les Normands arrivèrent à pénétrer jusqu’à La Corogne, sans rencontrer d’obstacles particuliers. Mais Ramiro Ier d’Oviedo, le roi des Asturies, rassemblera une armée afin de se porter à la rencontre des envahisseurs. Les chrétiens viendront à bout des polythéistes nordiques.  Défaits, les Vikings se dirigeront vers Al-Andalus, et plus particulièrement à Lisbonne, et entameront un siège, espérant faire plier la ville. Mais à l’approche des troupes arabes, les Nordiques prendront la fuite au bout de treize jours. 

Plusieurs historiens musulmans rapporteront l’événement. Ibn Athir, dans son « Al Kamil fi At-Tarikh », écrit :

« En 230, les Madjous (les Vikings), partis des régions les plus éloignées de l’Espagne, vinrent attaquer par mer les pays musulmans. Ils se montrèrent tout d’abord en 229 (843) près de Lisbonne où ils restèrent treize jours et où ils livrèrent plusieurs combats aux musulmans » .


L’historien musulman An-Nuwayri décrira les faits de manière tout à fait analogue :

« Durant l’année 230 (844-845), les Madjous (les Vikings) qui demeurent dans la partie la plus reculée de l’Espagne, firent une invasion dans le pays des musulmans. Ils se montrèrent d’abord à Lisbonne et ils y restèrent treize jours pendant lesquels les musulmans leur livrèrent plusieurs combats. Ensuite ils allèrent à Cadix et de là vers la province de Sidona. Il y eut une grande bataille entre eux et les musulmans. Le 8 de muharram (septembre), ils furent mis en déroute et perdirent beaucoup des leurs. Ensuite les Madjous allèrent camper à deux milles de Séville. Les habitants de cette cité marchèrent contre eux et les combattirent ; mais le 14 de muharram (octobre) ils furent battus. Beaucoup d’entre eux furent tués ou tombèrent entre les mains des Madjous, qui n'épargnèrent rien, pas même les bêtes de somme. Étant entrés dans la ville, les vainqueurs y restèrent un jour et une nuit, après quoi ils retournèrent à leurs vaisseaux ; mais quand ils virent arriver l’armée d’Abd Ar Rahman, ils s’empressèrent d’aller à sa rencontre. Les musulmans tinrent ferme, et le combat s’étant engagés, 70 polythéistes perdirent la vie. Les autres prirent la fuite et se rembarquèrent, les musulmans n’osant pas les poursuivre. Puis Abd Ar Rahman envoyé contre eux une autre armée. Il y eut alors une nouvelle bataille qui fut fort acharnée ; mais les Madjous battirent en retraite. Le 2 de Rabi (novembre) l’armée musulmane se mis à leur poursuite, et ayant attiré à elle les renforts qui arrivaient de toutes parts, elle les attaqua de nouveau et de tout coté. Les Madjous prirent alors la fuite, après avoir perdu environ 500 hommes. On leur enleva quatre navires, que l’on brûla après qu’on en eut ôté ce qu’ils contenaient.

Puis les Madjous allèrent à Niebla, où ils se rendirent maîtres d’une galère, et, s’étant établis sur une île près de Corias, ils y divisèrent leur butin. Les musulmans remontèrent le fleuve pour les attaquer et tuèrent deux d’entre eux. Ensuite les Madjous se remirent en route et firent une invasion dans la province de Sidona. Ils s’y emparèrent de beaucoup de vivres et y firent plusieurs prisonniers ; mais deux jours après qu’ils furent venus, les navires d’Abd Ar Rahman arrivèrent à Séville, et à leur approche, les Madjous retournèrent vers Niebla, et coururent le ays en faisant des prisonniers. Puis ils se rendirent à Oksonoba et de là à Beja. Étant ensuite retournés à Lisbonne, ils quittèrent les côtes de l’Espagne, de sorte que l’on n’entendit plus parler d’eux et que l’on se tranquillisa  ».

L’historien né à Marrakech, Ibn Idhari, écrit, au sujet de cet événement : 

« Dans l’année 229 (843-844) on reçut dans la capitale une lettre de Wahaballah Ibn Hazm, le gouverneur de Lisbonne. Il y disait que les Madjous (les Vikings) s’étaient montrés dans 54 vaisseaux et autant de barques, sur les côtes de sa province. Abd Ar Rahman l’autorisa alors, de même que les gouverneurs des autres provinces maritimes, à prendre les mesures commandées par les circonstances » .

Après ce premier revers en terre arabo-islamique, les Vikings tenteront leur chance vers Cadix, Médina Sidonia, et surtout Séville, qu’ils arriveront à conquérir. Mais le souverain Abd Ar Rahman II et son armée iront se porter devant les Vikings, qu’ils combattirent et qu’ils taillèrent en pièces :

« Le 8 de moharram (24 septembre), ils se dirigèrent sur Séville, à douze parasanges de laquelle ils établirent leur camp. De nombreux fidèles allèrent les y attaquer, mais furent battus et laissèrent sur le terrain quantité de morts. L’ennemi vint alors camper à deux milles de la ville, dont les habitants, qui firent une sortie contre lui, furent encore défaits le 14 de muharram (30 septembre) et perdirent beaucoup de monde tant en tués qu’en prisonniers. Les Madjous (les Vikings) n’épargnèrent ni hommes ni bêtes, s'installèrent pendant vingt-quatre heures dans la banlieue de la ville et regagnèrent ensuite leurs navires. Alors l’armée d’Abd Ar Rahman entra en ligne, ayant à sa tête de nombreux officiers ; elle résista à l’impétueuse attaque des Madjous, qui perdirent soixante-dix hommes et durent se retirer à bord de leurs bâtiments, mais sans être poursuivis par les musulmans. Au reçu de cette nouvelle, Abd Ar Rahman envoya une autre armée qui combattit vigoureusement les Madjous. Ceux-ci, obligés de reculer, furent rejoints, le 2 de Rabi (26 novembre), par les musulmans, qui avaient reçu des secours de partout et dans les rangs desquels tout le monde venait se ranger. Attaqués par les Madjous, ils commencèrent par plier, mais ensuite l’ordre se rétablit, et nombre d’entre eux ayant mis pied à terre, l’ennemi s’enfuit en laissant sur le terrain environ cinq cents cadavres ; on lui prit quatre navires, auxquels on mit le feu après en avoir retiré ce qu’ils contenaient.  »

L’historien Ibn Al Qutya rapporta également cette bataille entre les musulmans et les polythéistes :

« Abd Ar Rahman fit construire la grande mosquée à Séville, et les murailles de cette ville ayant été détruite par les Madjous (les Vikings) en 230, il les fit rebâtir. L’approche de ces barbares jeta l’épouvante parmi les habitants ; tout le monde prit la fuite et on alla chercher un asile, soit dans les montagnes d’alentour, soit à Carmona. Dans tout l’Ouest il n’y eut personne qui osât les combattre ; par conséquent on appela aux armes les habitants de Cordoue et des provinces voisines, et quand ils furent rassemblés, les vizirs les conduisirent contre les envahisseurs. (…) Les vizirs s’établiront à Carmona avec leurs troupes ; mais l’ennemi étant d’une bravoure peu commune, ils n’osèrent l’attaquer avant l’arrivée des troupes de la frontière. Celles-ci arrivèrent enfin, et parmi elles se trouvait Moussa Ibn Kassi. (…) Au lever du soleil, la vedette signala une bande de 16 000 Madjous qui se dirigeaient vers Moron. Les ayant laissés passer, les Musulmans leur coupèrent la retraite vers Séville, après quoi ils les massacrèrent » .

Ibn Al Qutya continue :

« Les Madjous arrivèrent dans environ 24 navires, et l’on eût dit qu’ils avaient rempli la mer d’oiseau d’un rouge foncé, de même qu’ils avaient rempli le cœur des hommes d’appréhensions et d’angoisses. Après avoir débarqués à Lisbonne, ils allèrent à Cadix, puis vers la province de Sidona, puis à Séville. Ils assiégèrent la ville, la prirent de vive force, et ayant fait éprouver à ses habitants les douleurs de la captivité ou de la mort, ils y resteraient sept jours, pendant lesquels ils firent avaler le calice au peuple. Dès qu’il fut informé de ce qui était arrivé, l’émir Abd Ar Rahman confia le commandement de la cavalerie au hadjib Aissa Ibnn Chohaid. Les musulmans s’empressèrent d’accourir sous les drapeaux de ce général et de s’attacher à lui aussi étroitement que la paupière est attachée à l’œil. Abdallah Ibn Kolaib, Ibn Wassim et d’autres officiers généraux se mirent aussi en route avec de la cavalerie. Le chef de l’armée établit son quartier général dans l’Axarafe, et il écrivit aux gouverneurs des districts pour leu ordonner d’appeler leurs administrés aux armes. Ceux-ci se rendirent à Cordoue, et l’eunuque Nasser les conduisit vers l’armée. Cependant les Madjous recevaient sans cesse des renforts, et d’après l’auteur du livre intitulé « Bahdja an nafs », ils continuèrent pendant treize jours à tuer les hommes et à réduire en servitude les femmes et les enfants : mais au lieu de treize jours, l’auteur du Dorar al Kalayid dit sept jours, et nous l’avons suivi ci-dessus. Après avoir livré quelques combats aux troupes musulmanes, ils se rendirent à Captel ou ils restèrent trois jours. Puis ils entrèrent dans Caura, à douze milles de Séville, où ils massacrèrent beaucoup de personnes, après quoi ils s’emparèrent de Talyata, à deux milles de Séville. Ils y passèrent la nuit, et le lendemain matin ils se montrèrent dans un endroit qu’on appelle al Fakharin. Ensuite il se rembarquèrent ; mais plus tard ils livrèrent un combat aux musulmans. Ces derniers furent mis en déroute et perdirent un nombre incalculable des leurs. Étant retournés à leurs vaisseaux, les Madjous allèrent vers Sidona et de là à Cadix, après que l’émir Abd Ar Rahman eut envoyé contre eux ses généraux et qu’on les eut combattus tantôt avec succès, tantôt avec perte. A la fin on se servit contre eux de machines de guerre, et des renforts étant arrivés de Cordoue, les Madjous furent mis en fuite. On leur tua environ 500 hommes et l'on s’empara de quatre de leurs vaisseaux avec tout ce qu’ils contenaient. Ibn Wassil les fit bruler, après avoir fait vendre ce qu’il y avait dedans. Ils furent battus à Talyata, le mardi 25 saffar (11 novembre 844). Beaucoup d’entre eux furent tués, d’autres furent pendus à Séville, d’autres encore le furent aux paliers qui se trouvent à Talyata, et trente de leurs vaisseaux furent brulés. Ceux qui avaient échappé au massacre se rembarquèrent, ils se rendirent à Niebla, puis à Lisbonne, et l’on entendit plus parler d’eux. Ils étaient arrivés le 14 de muharrem (octobre 844) et à compter du jour où ils entrèrent dans Séville jusqu’au départ de ceux qui avaient nt échappé au glaive, 42 jours s’étaient écoulés. Leur chef avait été tué. Pour les punir de leurs crimes, Dieu les livra au massacre et les anéantit, quelque nombreux qu’ils fussent. Quand ils eurent été vaincus, le gouvernement annonça l’heureux évènement à toutes les provinces, et l’émir Abd Ar Rahman écrivit aussi aux Sanhadjas de Tanger, pour les informer que, grâce aux secours de Dieu, il avait été à même de réduire les Madjous au néant. En même temps il leur envoya la tête du chef et 200 autres têtes, celles des principaux guerriers Madjous ».

L’historien né dans l’Algérie actuelle, Al-Maqqari, beaucoup plus tardif, rapportera la même histoire, sans y ajouter grand-chose. Les historiens européens, espagnols en particulier, tels que Rodéric de Tolède ou Alfonso el Sabio, qui rapportent cet épisode de l’histoire de leur pays, ne firent que retranscrire ce qu’ils apprirent chez les auteurs arabes susmentionnés. Ils ne firent que retoucher certains éléments, comme le nombre de victimes, les lieux, et autres.Toujours est-il que cette première bataille entre les Arabes et les Vikings se termina, unanimement, par une victoire écrasante des musulmans. Mais, comme nous l’avons vu dans la partie de cet ouvrage consacré à l’épopée viking, les guerriers scandinaves n’étaient pas du genre à baisser les bras après une défaite. En conséquence, les Normands reviendront une deuxième fois défier les musulmans, et, cette fois-ci, avec un personnage bien connu : Bjorn Côtes-de-fer, ou plutôt, Bjorn Lothbrok, fils du célèbre Ragnar Lothbrok…

Deuxième bataille : Bjorn Lothbrok face à Mohammed Ier

Une décennie plus tard, les pirates du nord tenteront une nouvelle fois de mettre la main sur l’Espagne. Comme lors de leur première incursion dans la péninsule ibérique, les Vikings s’attaquent en premier lieu au royaume chrétien des Asturies. Ils se dirigèrent vers Saint-Jacques-de-Compostelle, qu’ils assiégèrent. Mais le roi Ordono Ier envoya une partie de son armée sous les ordres du comte Pedro se porter à la rencontre des Normands ; les Espagnols parvinrent à les repousser, mettant fin au siège. Les Scandinaves redescendront alors vers Séville, une ville qui, nous l’avons vu, n’a pas vraiment souri à leurs prédécesseurs, d’autant plus que les musulmans auraient fortifié les défenses de la ville depuis leur premier affrontement face aux Vikings. Ils décident alors plutôt de diriger leur voile vers les villes de Cadix, d’Algesiras, et traverseront même le détroit de Gibraltar, puisqu’ils arriveront jusqu’au Maroc, où ils pillèrent l’émirat de Nekkor. Ils repartent ensuite en Espagne, et allèrent piller les régions de Murcie, de Valence, de Tudmir et des îles baléares. Ils remonteront ensuite vers le nord et atteindront le Sud de la France : ils iront piller Narbonne et la Provence, avant d’aller hiverner en Camargue. Passé l’hiver, les Vikings se remettront en chemin, et iront piller les villes de Nîmes, d’Arles et Valence. Après un an, voire plus, nous n’avons plus aucune information sur cette flotte viking. Ce n’est que vers 861 que celle-ci refit son apparition en Al-Andalus, près du détroit de Gibraltar. Cette fois-ci, ce sera l’émir Mohammed Ier, fils et successeur d’Abd Ar Rahman II, qui a tant fait mal aux Vikings, qui les attendra de pied ferme. Le souverain omeyyade, bien décidé à suivre les pas de son père, mettra sur pied une importante flotte navale pour contrecarrer les plans des guerriers scandinaves. Les Vikings tenteront de forcer le passage, barré par les Arabo-musulmans, mais le résultat ne sera pas brillant, puisque leur armée se fera littéralement décimée par les forces musulmanes. En effet, deux tiers de la flotte viking seront détruits. Les quelques navires ayant échappé à la sentence des Arabes, environ une vingtaine, donc, parviendront à fuir en remontant le long de la côte ouest de l’Espagne. Sur le chemin du retour, les pirates des mers tenteront un dernier coup en direction de la partie chrétienne de la péninsule ibérique, puisqu’ils s’attaqueront à la ville de Pampelune. Les Vikings Bjorn « côte-de-fer » Lothbrok et son impressionnante flotte n’ont pu faire le poids face aux Arabes omeyyades de Mohammed Ier.

Les ultimes batailles : Al-Hakam II et la fin des incursions vikings en Al-Andalus

En 929, un événement bouleversera le destin d’Al-Andalus : le prince Abd Ar Rahman III, émir de l’Espagne musulmane, rompra officiellement avec l’autorité spirituelle de Bagdad, faisant basculer l’émirat omeyyade d’Espagne en Califat. Le premier calife de Cordoue imposera sa souveraineté au-delà du détroit de Gibraltar, puisque son autorité politique et spirituelle sera reconnue jusque dans l’Ouest du Maghreb.

C’est dans ce contexte de mutation politique que les Vikings tenteront, une nouvelle fois, un siècle après la dernière tentative de leurs ancêtres, de faire plier le genou des Omeyyades d’Espagne. 921. Al-Hakam II, fils d’Abd Ar Rahman III, a pris la suite de son père sur le trône d’Al-Andalus. Ce sera donc le deuxième calife omeyyade de Cordoue qui devra tenter, comme ses glorieux prédécesseurs, de contenir les assauts des guerriers scandinaves, qui ne semblaient pas avoir dit leur dernier mot. En 966, une flotte danoise débarqua sur les côtes ibériques, et alla menacer la ville de Lisbonne. Mais, malheureusement pour les pirates des mers, le calife Al-Hakam II enverra une flotte musulmane défier les envahisseurs. Et, comme leurs prédécesseurs, les Vikings ne purent faire le poids face aux troupes musulmanes : les Normands seront taillés en pièces par les Arabes.  Cinq ans plus tard, les Vikings tenteront, pour la dernière fois, de venir à bout des Omeyyades : ce sera en direction de la ville de Séville que les Normands dirigeront leur flotte. Comme de coutume, cette ultime tentative de vaincre les Arabes se soldera par un échec cuisant ; Al-Hakam II, toujours lui, enverra son armée se confronter aux envahisseurs. Les Vikings, pour leur dernière bataille contre les Arabes, se feront réduire en cendres. C’en est désormais définitivement terminé des incursions vikings en terre islamique. Les Vikings n’ont pu faire le poids face aux armées omeyyades. Al-Andalus et ses troupes arabes semblaient être un « morceau » trop gros pour les Vikings, qui devront se contenter de leurs incursions en terre chrétienne. 

Cette dernière sérénade, jouée une nuit sous les fenêtres de la belle Andalousie, courtisée durant plusieurs décennies par les Scandinaves, s’efface devant le rejet irrévocable des Omeyyades.

Conclusion 

Il était important d’ouvrir cet ouvrage en dressant un tableau du monde scandinave ainsi qu’un portrait de ses populations. Mettre en lumière le mythe du peuple viking était une étape obligatoire avant de poursuivre la description de la civilisation nordique. Si des liens existaient inévitablement entre ces peuples d’origines germaniques, ces derniers ne formaient pas, pour autant, un peuple homogène et uniforme, contrairement à ce que peuvent laisser croire les diverses descriptions fantaisistes issues des productions télévisuelles et cinématographiques traitant des Vikings.

Aussi, il est désormais admis qu’il est contre le bon sens d’imaginer que ce phénomène d’expansion viking émergea de nulle part, au gré du hasard, par une bande de pillards sauvages navigant sans but précis, si ce n’est par leur instinct de pirates sans scrupules. Les Vikings savaient pertinemment ce qu’ils faisaient, où ils allaient, et ce qu’ils étaient venus prendre. Les Normands intervenaient de façon quasi systématique dans des régions marquées par une situation politique chaotique. Ces derniers avaient consciences de leurs actions ; l’état des zones ciblées devait leur permettre d’intervenir, dans un premier temps, pour accaparer certaines richesses, avant, dans une deuxième phase, de conquérir ces territoires. Il serait donc erroné et imprudent de prendre pour vraie les affirmations provenant des premiers écrits occidentaux voulant que le mouvement viking soit entrée dans l’Histoire de façon brutale et soudaine. L’émergence du phénomène s’inscrit dans un contexte global, dont les prémisses sont à rechercher à une époque largement antérieure à ses premières manifestations, qui, nous le pensons, ne constituent nullement les débuts du mouvement, mais son éclosion, sa quintessence. Lorsque les Vikings débarquèrent sur les côtes européennes, ce ne fut aucunement la naissance des Vikings, mais seulement le début du mouvement de l’ère d’expansion viking dans son aspect militaire, ce qui est, somme toute, différent, et qui, de plus, n’est qu’une phase de l’émergence du « phénomène » scandinave, qu’il convient de distinguer, en réalité, du mouvement « viking », qui n’est, au départ, qu’une activité. Les Scandinaves bâtisseurs de royaumes, chefs d’États, n’étaient plus des Vikings par définition (la majuscule ne devrait, normalement, nullement s’appliquer à ce terme). Les navigateurs scandinaves, après avoir mis le pied en Europe du Nord, n’hésitèrent pas à tenter « le diable » en direction de la péninsule ibérique. Dans sa partie chrétienne, d’abord, au Nord de l’Espagne, avant de se diriger plus au sud, vers Al-Andalus. Lorsque les Vikings croisèrent la route et le fer avec les Arabes, ils comprirent assez vite que leur entreprise ne serait pas franchement comparable à une promenade de santé. En réalité, en parlant de promenade, ce fut plutôt une marche en direction du Valhalla, tant espéré par les guerriers scandinaves, que la majorité d’entre eux empruntèrent après leurs luttes face aux soldats d’Allah. Plusieurs batailles entre les Scandinaves et les Arabes, mais une réussite inexistante pour les premiers. Toutes leurs tentatives pour mettre à terre les troupes omeyyades se soldèrent par un échec cuisant.  Un siècle durant, les Vikings réitéraient leurs raids en terre d’islam.

Ce fut un siècle de défaites ; Al-Andalus ne subira pas le sort de la Grande-Bretagne, du royaume des Francs ou de l’Irlande.  Un siècle et puis s’en va. A jamais. Pour les Vikings, la route d’Al-Andalus menait tout droit au Valhala.


Sources :


1.      Ce que nous appelons « vieux norrois » sont les plus anciennes attestations écrites d’une langue scandinave médiévale. Il existe pourtant plusieurs définitions de ce qu’est le vieux norrois. 
2.      La Norvège, le Danemark et la Suède.
3.      Pierre Baudin. Histoire des Vikings. P. 14
4.      A Concise Dictionary of Old Icelandic. Geir Tómasson Zoëga. P.499
5.      Le vieil anglais est une langue parlée en Angleterre et dans une partie de l’Ecosse entre le V et le XIIe siècle.
6.      Cit. Dans Jean Renaud, les Vikings, vérités et légendes. P.23
7.      Ibid. P. 24
8.      Ibid.
9.      Les langues indo-européennes regroupent les parlés de la majorité des pays européens et asiatiques, qui auraient une origine commune.
10.      Voir au sujet de ce personnage des plus important de l’Histoire islamique, notre ouvrage « Tariq Ibn Ziyad, enquête sur le mystère des origines du conquérant d’Al Andalus ».
11.      Ainsi qu’une partie du Sud-Ouest de la France. Voir à ce sujet notre ouvrage « Charles Martel et la bataille de Poitiers, construction et déconstruction d’un mythe identitaire.
12.      Gabriel Martinez-Gros. L’idéologie omeyyade. Casa de Velazqvez. P.81
13.      Sourate 7, verset 73.
14.      Sourate 9, verset 70
15.      Pierre Guichard. Al-Andalus. P. 40
16.      Ibid. P. 40-41
17.      Agha Ibrahim Akram. Éditions Ribat. Trad. Issa Meyer. P.48-49
18.      Pierre Guichard. Al-Andalus. Pluriel. P.47
19.      Ibid. P. 49
20.      Ibn Athir. Annales du Maghreb et de l’Espagne. Elibron Classics. P.220
21.      Cit. dans La Première invasion des Normands dans l’Espagne musulmane en 844. Adam Kristoffer Fabricius
22.      Ibid. P. 8
23.      Ibn Kutya. Cit. dans La Première invasion des Normands dans l’Espagne musulmane en 844. Adam Kristoffer Fabricius. P. 4-5

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