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Billet de blog 31 janvier 2025

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Le "Maghrébinisme" : un néo-berbérisme

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Le « Maghrébinisme », un avatar du berbérisme : Du berbérisme exclusif au berbérisme inclusif, la transition stratégique

Si un fond idéologique reste généralement invariable, sa forme et son application sont soumises à des contraintes multifactorielles. Effectivement, l’évolution du monde, les diverses conjonctures et autres dynamiques sociales ou politiques impliquent que l’idéologie doit impérativement s’adapter aux évolutions, sous peine de disparaître sans laisser de grandes traces, et non l’inverse. Pour arriver à ses fins, une idéologie doit obligatoirement, ou presque, passer d’une essence exclusive à un aspect plus inclusif, car si celle-ci reste restreinte à une minorité de personnes, le discours risque d’être inaudible face à la masse, et donc de rester confiné dans une marginalité peu productive. C’est, à notre sens, la transition stratégique qu’ont opérée les nouveaux militants berbéristes des générations récentes pour mener à bien leur idéologie : passer d’un berbérisme exclusif peu attractif à un berbérisme inclusif, dissimulé sous une forme nouvelle, plus inclusive et plus attractive : le « maghrébinisme », dont la matrice et le but ultime restent pourtant inchangés : la désarabisation des Maghrébins. Avant de continuer, faisons une rapide digression pour que le lecteur puisse avoir un exemple précis du thème que nous allons aborder dans ce chapitre.

L’exemple de l’évolution du panafricanisme : des Afro-descendants aux États africains

Le panafricanisme est né dans la diaspora, sous l’impulsion de penseurs comme W. E. B. Du Bois et Marcus Garvey. À cette époque, le concept visait avant tout à unir les peuples noirs dispersés dans le monde, notamment en Amérique du Nord et dans les Caraïbes. Le mouvement répondait à un contexte bien particulier et se voulait ainsi une réponse au racisme, à l’exploitation coloniale et à l’oppression subie par les Afro-descendants. Les premiers congrès panafricanistes (à partir de 1900) étaient principalement organisés en Europe ou en Amérique du Nord et rassemblaient des intellectuels noirs, des militants anticolonialistes et des leaders afro-américains.Cependant, cette orientation très « diasporique » restait limitée, car elle ne prenait pas pleinement en compte les spécificités politiques, sociales et culturelles du continent africain lui-même, qui, à cette époque, était presque entièrement sous domination coloniale. Le panafricanisme restait donc une idéologie exclusive dans la mesure où il s’adressait d’abord aux élites noires de la diaspora, sans impliquer véritablement les peuples africains sur le continent. C’est avec Kwame Nkrumah, après la Seconde Guerre mondiale, que le panafricanisme a pris une nouvelle direction. Lorsqu’il devint le premier leader d’un État africain indépendant (le Ghana en 1957), Nkrumah chercha à adapter le concept pour inclure les Africains du continent, afin de faire du panafricanisme non plus un mouvement diasporique, mais un projet continental. Il articula l’idée de l’unité africaine autour de la nécessité de libérer le continent du joug colonial et de construire un « gouvernement des États-Unis d’Afrique ». Nkrumah utilisa plusieurs stratégies pour rendre le panafricanisme plus inclusif :

Nkrumah fit pression pour que chaque nouveau pays africain indépendant rejoigne la cause panafricaine, indépendamment de sa langue, de son histoire coloniale ou de ses divisions ethniques internes. Il promut l’idée que l’unité devait transcender les différences coloniales héritées (anglophones, francophones, lusophones, etc.), tout en respectant la diversité des cultures africaines. Contrairement aux premières réunions panafricanistes qui avaient lieu dans la diaspora, les congrès panafricains organisés sous l’impulsion de Nkrumah se tinrent désormais en Afrique, notamment à Accra (1958), permettant d’impliquer directement les nouveaux leaders africains. Ces conférences visaient à intégrer les préoccupations locales des États africains dans le cadre plus large de l’unité continentale. L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) fut le point culminant de cette transition stratégique. En instituant l’OUA, Nkrumah et ses alliés élargirent le mouvement panafricaniste pour inclure les États souverains, plutôt que de se limiter à une solidarité raciale basée sur la diaspora. Cette évolution signifiait que le panafricanisme devait prendre en compte la souveraineté nationale de chaque État, tout en plaidant pour une union politique et économique de l’Afrique. La finalité fut une inclusivité stratégique, mais également un compromis idéologique ; en rendant le panafricanisme plus inclusif, Nkrumah dut accepter des compromis. Par exemple, de nombreux États africains, tout en rejoignant l’OUA, insistèrent sur la préservation de leur souveraineté nationale, ce qui était en contradiction avec le rêve de Nkrumah d’une fédération continentale. L’idéal d’unité africaine resta, mais sa réalisation fut adaptée pour intégrer une diversité d’intérêts nationaux, régionaux et politiques. En fin de compte, l’idéologie panafricaniste sut évoluer de manière inclusive tout en conservant son essence : l’idée que l’Afrique devait se libérer collectivement du colonialisme et s’unir pour devenir une force mondiale. Mais cette inclusion des États africains souverains transforma inévitablement le mouvement, l’éloignant quelque peu des aspirations diasporiques initiales et de la vision unitaire radicale des premiers militants panafricanistes.

Nous avons opéré cette petite sortie de route pour mettre en exergue le fait qu’« idéologie » doit rimer avec « stratégie », surtout lorsque le fond idéologique est bien trop exclusif (et pas assez attractif) pour mener son projet à terme. En fait, une idéologie est étroitement liée à sa cible ; une idéologie ne peut survivre sans l’approbation, sans le soutien réel de ses partisans, certes, mais, à terme, d’une plus large audience. Car qu’est-ce qu’une idéologie, si ce n’est une construction mentale ?

L'idéologie est véritablement un système de pensées et de croyances qui aide à interpréter le monde selon sa perception des choses. Karl Mannheim, sociologue et philosophe allemand, dans son ouvrage Ideology and Utopia, distingue deux formes d’idéologies :

  1. Idéologies de conservation, qui soutiennent les structures sociales existantes
  1. Idéologies de changement, qui aspirent à transformer la société

Dans le cas de notre sujet, c’est l’idéologie du changement qui va retenir notre attention. Karl Mannheim soutient que toute idéologie est le produit d’un contexte historique et social particulier, ce qui met en lumière la nature dynamique de ce concept. Justement, c’est à la lumière de cette « idéologie du changement » que nous pourrons comprendre l’émergence des mouvements berbéristes ainsi que leur évolution de façade vers ce que nous avons appelé le « maghrébinisme », qui n’est, comme nous le verrons, qu’un avatar du berbérisme : un berbérisme déguisé, réadapté à son époque ; un berbérisme 2.0, un néo-berbérisme, en somme.

Analysons maintenant le cheminement du berbérisme originel exclusif vers sa forme moderne plus inclusive : le maghrébinisme.

Première étape : Ethnogenèse militante : revendications et création des premiers mouvements berbéristes

En premier lieu, il était question de revendiquer et de faire reconnaître la présence berbère en Afrique du Nord, sans pour autant remettre en question ni la primauté de la langue arabe, ni le caractère majoritaire des Arabes, et encore moins la présence de ces derniers. L’idéologie berbériste est née il y a plusieurs décennies, dans un contexte particulier. En effet, le mouvement berbériste, qui se réclame de la défense et de la promotion de l'identité culturelle, linguistique et historique des Berbères (ou Amazighs), trouve ses racines politiques dans un contexte historique marqué par la colonisation, la lutte pour l'identité et les revendications autonomistes. Ce mouvement reflète les tensions et les dynamiques d'une société en quête de reconnaissance et de valorisation de son patrimoine.

L'émergence des mouvements nationalistes en Afrique du Nord au milieu du XXe siècle a également joué un rôle déterminant dans le développement du mouvement berbériste. Les luttes pour l'indépendance vis-à-vis des puissances coloniales ont mobilisé diverses identités. Cependant, les mouvements nationalistes arabes, comme le FLN en Algérie, ont souvent relégué la question berbère au second plan, favorisant une vision homogène de la nation, ce qui a nourri un sentiment de marginalisation au sein des communautés berbères.

La première moitié du XXe siècle voit émerger des figures intellectuelles et des associations berbères, telles que la KABYLE (ou KABYLIE) et le Mouvement Culturel Berbère (MCB). Ces groupes ont commencé à revendiquer la reconnaissance de la langue berbère, l'enseignement de l'histoire berbère et la préservation des coutumes locales. En Algérie, des personnalités comme Mouloud Mammeri et Kateb Yacine sont devenues des voix importantes pour la culture berbère. La révolte kabyle de 1980, souvent considérée comme un tournant, a marqué l'entrée du mouvement berbériste dans une phase de visibilité accrue. À cette époque, des manifestations à Tizi Ouzou, en Algérie, ont été déclenchées pour exiger l'officialisation de la langue berbère (« tamazight ») et la reconnaissance des droits culturels des Berbères.

À partir des années 1990, le mouvement berbériste commence à obtenir des gains significatifs. En 2002, la langue berbère est reconnue comme langue nationale en Algérie, et en 2016, elle devient langue officielle aux côtés de l'arabe. Ce processus a été le résultat des luttes et des mobilisations incessantes des acteurs du mouvement berbériste, qui ont su capitaliser sur les changements politiques post-indépendance.

Au Maroc, le mouvement culturel amazigh a été lancé par de jeunes intellectuels et universitaires originaires de la région d’Agadir, qui s'étaient installés à Rabat. En 1967, ils ont fondé l’Association marocaine de recherche et d’échanges culturels (AMREC) dans le but de faire connaître et de promouvoir la culture populaire marocaine. À cette époque, les militants, bien qu'animés par un fort désir de valoriser la culture populaire, hésitaient à évoquer leurs revendications identitaires amazighes, par crainte de répression.

L'AMREC a principalement axé ses activités sur des recherches et des publications relatives à la littérature amazighe, qui avait été maintenue dans l’oralité pendant de nombreuses décennies. Elle a ainsi publié plusieurs recueils de poèmes et de proverbes amazighs. Les années 1970 et 1980 ont été marquées par une forte répression des mouvements sociaux, conduisant le mouvement culturel amazigh à se mettre en clandestinité jusqu'à la fin des années 1980.

Ce n'est qu'avec la Charte d’Agadir en 1991, un événement majeur pour le mouvement, que la question identitaire amazighe refit surface. Ce texte, signé par six associations lors du colloque sur la culture amazighe organisé par l’Université d’Été d’Agadir, a vu de nombreuses associations amazighes, créées après 1991, adopter ses principes. La Charte symbolise ainsi l'émergence d'une véritable revendication identitaire.

Deuxième étape : Institutionnalisation de la berbérité : objectifs initiaux atteints, reconnaissance officielle de la langue berbère et de l’amazighité

A priori, les militants berbéristes ont atteint leurs objectifs initiaux : la reconnaissance officielle par l’Algérie et le Maroc de la langue et de l’identité berbères. Lorsque cet objectif fut atteint, les berbéristes commencèrent à revendiquer l’égalité entre l’arabité et la berbérité, notamment au niveau du statut de leur langue. Bien que cela fût discutable au regard de plusieurs éléments non négligeables (absence d’un alphabet berbère qu’il a fallu créer en partant de symboles trouvés dans le désert nord-africain, minorité de la population berbérophone au Maghreb, etc.), le berbère est devenu, avec l’arabe, langue officielle en Algérie et au Maroc.

Pour le cas du Maroc, la reconnaissance officielle de la langue berbère a été intégrée dans la Constitution marocaine de 2011, suite aux manifestations du Printemps arabe. L'article 5 de cette Constitution stipule que :

« L'arabe demeure la langue officielle de l'État.

L'État œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu'à la promotion de son utilisation.

De même, l'amazighe constitue une langue officielle de l'État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et les domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle. (…)

Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d'inspiration contemporaine. Il regroupe l'ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement. »

Cette avancée représente un tournant dans la politique linguistique du pays et marque la volonté de l'État marocain de promouvoir l'identité amazighe.

En Algérie, la langue berbère a été reconnue comme langue nationale dans la Constitution de 2016 :

Art. 3.2 — L'arabe est la langue nationale et officielle. L'arabe demeure la langue officielle de l'État. Il est créé, auprès du Président de la République, un Haut Conseil de la Langue Arabe. Le Haut Conseil est chargé notamment d'œuvrer à l'épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu'à l'encouragement de la traduction vers l'arabe à cette fin.

Art. 4.3 — Tamazight est également langue nationale et officielle. L'État œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créée une Académie algérienne de la Langue Amazighe, placée auprès du Président de la République. L'Académie, qui s'appuie sur les travaux des experts, est chargée de réunir les conditions de la promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.

3. Troisième étape : Suprémacisme narratif : Affirmation de la suprématie de la berbérité sur l’arabité

La langue berbère est devenue langue nationale et officielle, de même que la reconnaissance de l’amazighité dans la constitution du Maroc et de celle de l’Algérie ; ces deux pays sont donc officiellement des États arabo-berbères. Les revendications initiales ayant été atteintes, les militants berbéristes ne sont pourtant toujours pas satisfaits. L’objectif, à présent, est tout autre : faire passer la berbérité au-dessus de l’arabité. Le discours n’est plus celui de faire reconnaître l’existence et la légitimité de la langue et de la culture berbères au sein du Maghreb ; il ne consiste plus à demander l’égalité entre la berbérité et l’arabité. Ces deux étapes validées, une marche supérieure est en ligne de mire : placer la berbérité à un niveau supérieur à celui de l’arabité.


4. Quatrième étape : Révisionnisme historique : Négation de la présence arabe au Maghreb

Enfin, comme toutes ces avancées ne suffisaient pas, le discours a évolué vers une négation absolue de la présence arabe en Afrique du Nord. En effet, il n’était plus seulement question, à présent, de revendiquer une équité entre arabité et berbérité, mais carrément d’affirmer que l’arabité n’a pas sa place en Afrique du Nord, terre berbère. Comme l’arabité ne peut avoir cours au Maghreb, ceux qui en sont à l’origine n’ont pas non plus leur place en Algérie, au Maroc ou en Tunisie : les Arabes n’existent pas en Afrique du Nord. Il ne s’agit alors plus de revendiquer sa propre berbérité, mais de nier l’arabité des non-Berbères. Les berbéristes « extrémistes » ont un objectif clair : nier toute existence d’une présence arabe en Afrique du Nord, que celle-ci soit d’ordre démographique ou culturel : « Il n’y a pas d’Arabes en Algérie, seulement des Berbères qui se croient Arabes. »

Nous pouvons résumer ainsi la construction du militantisme berbériste et la première partie de son cheminement vers le néo-berbérisme « maghrébiniste » :

1. Ethnogenèse revendicative et reconfiguration identitaire
Ethnogenèse militante : Processus par lequel les mouvements berbéristes construisent et réarticulent une identité collective basée sur un héritage historique, linguistique et culturel distinct, tout en s’opposant aux dynamiques de fusion identitaire imposées par les idéologies étatiques panarabes.
Dialectique de la reconfiguration identitaire : Le berbérisme naît dans une dialectique d’opposition où chaque affirmation identitaire amazighe est perçue comme un acte de résistance, reconfigurant l’ethos identitaire et créant des lignes de fracture discursives au sein de la matrice nationale postcoloniale.


2. Dissonance discursive et contestation de l’hégémonie narrative
Déconstruction de l’hégémonie discursive : Les mouvements berbéristes s’inscrivent dans une dynamique de déconstruction de la narration étatique homogénéisante, visant à subvertir l’hégémonie narrative qui confère à l’arabité un statut de primordialité en Afrique du Nord.
Hétéroglossie identitaire : La présence de plusieurs niveaux de revendications (linguistiques, culturelles, historiques) conduit à une hétéroglossie identitaire, où l’énonciation berbère se positionne comme un discours pluriel face au monologue arabo-nationaliste.


3. Rétroprojection historique et essentialisation identitaire
Rétroprojection mythopoïétique : Le mouvement berbériste utilise la rétroprojection mythopoïétique pour ancrer ses revendications contemporaines dans une continuité historique fictive, où l’amazighité se mue en essence intemporelle, en opposition à l’arabité perçue comme contingente et importée.
Essentialisation de la berbérité : Ce processus s’accompagne d’une essentialisation identitaire, où l’amazighité est réifiée en essence primordiale et inaltérable, produisant une matrice idéologique où l’identité berbère devient une catégorie anhistorique.


4. Subversion de l’espace linguistique et fracture diglossique
Dialectique de la reconnaissance linguistique : Les luttes berbéristes ne se limitent pas à la simple reconnaissance symbolique de la langue, mais visent une subversion de l’ordre linguistique établi, redéfinissant l’espace diglossique pour transformer la langue amazighe en un vecteur d’émancipation identitaire.
Fracture diglossique : La promotion de la langue amazighe au rang de langue nationale, puis officielle, crée une fracture diglossique au sein de l’ordre linguistique maghrébin, ébranlant la centralité de l’arabe et redéfinissant les rapports de force symboliques.


5. Sécularisation du paradigme identitaire et ascension du néo-berbérisme
Néo-berbérisme radical : La reconnaissance de l’amazighité dans les constitutions marocaines et algériennes a donné naissance à un néo-berbérisme, où l’objectif n’est plus la simple parité identitaire, mais une revalorisation exclusive et hiérarchisante de la berbérité.
Sécularisation ethnique des luttes identitaires : Les revendications initiales d’ordre linguistique et culturel se transforment en un projet politique global, redéfinissant l’identité nationale à travers une sécularisation du paradigme identitaire, où l’amazighité devient la pierre angulaire du récit national.


6. Révisionnisme identitaire et suprémacisme narratif
Révisionnisme identitaire : Les tendances extrémistes au sein du mouvement berbériste s’adonnent à un révisionnisme identitaire, niant la validité historique et anthropologique de la présence arabe en Afrique du Nord, en reconfigurant l’histoire maghrébine dans un cadre où l’arabité est délégitimée.
Suprémacisme narratif : Le discours berbériste bascule alors dans un suprémacisme narratif, où la berbérité est positionnée comme la seule légitimité historique et culturelle, transformant le combat pour la reconnaissance en une lutte pour l’élimination symbolique de l’arabité.

7. Objectif final : Suppression de tout caractère arabe en Afrique du Nord.

Maghrébinisme et néo-berbérisme : La forme nouvelle du berbérisme

Une idéologie, comme nous l’avons expliqué plus haut, possède un caractère dynamique et mouvant, ce qui lui permet de s’adapter aux évolutions sociologiques et autres conjectures socio-politiques. Mais une idéologie n’a que peu de chance de survie si celle-ci ne touche pas la collectivité. Nous savons que les idéologies jouent un rôle central dans la cohésion sociale et l'identité collective. Louis Althusser, dans « Pour Marx », avance que les idéologies fonctionnent comme des dispositifs qui conditionnent les individus à accepter les structures de pouvoir existantes. Althusser introduit le concept d’« appareils idéologiques d'État », tels que l'éducation, les médias et la famille, qui véhiculent des idéologies favorables à la reproduction des rapports sociaux dominants. L’évolution des idéologies reflète des transformations profondes au sein des sociétés. Par exemple, le passage du féodalisme au capitalisme a donné naissance à des idéologies comme le libéralisme et le socialisme. John Locke, dans ses « Deux traités du gouvernement civil », pose les fondements du libéralisme, en affirmant que le gouvernement doit être fondé sur le consentement des gouvernés. En réaction, le socialisme, incarné par des penseurs comme Karl Marx, émerge comme une critique du capitalisme et de ses injustices, plaidant pour l'égalité et la justice sociale.

Pour ce qui concerne le berbérisme idéologique et militant, ses prétentions étaient beaucoup trop ambitieuses, eu égard à son caractère exclusif et relativement peu attractif. Et les militants berbéristes l’ont parfaitement compris. Pratiquement aucun Maghrébin arabe (donc la grande majorité des habitants d’Afrique du Nord) ne va accepter de se dévêtir de son identité ancestrale pour revêtir celle d’une nouvelle identité « amazighe » qui n’est pas et qui n’a jamais été la sienne, ni celle de ses parents. La propagande berbériste en tant que telle tombe, dans la majorité des cas, dans l’oreille d’un sourd. Il était impératif, pour la survie du berbérisme, de pallier cette difficulté. Pour cela, il convenait d’adopter une autre stratégie : trouver quelque chose de plus rassembleur, de plus inclusif, bref, quelque chose qui peut potentiellement toucher tous les Maghrébins, arabes comme berbères. C’est là que naît ce que nous avons appelé le « maghrébinisme ». Le « maghrébinisme » consiste, non plus à faire la propagande d’une identité « berbère », mais celle d’une identité « maghrébine ». L’idée n’est plus d’affirmer que les Maghrébins sont berbères, mais que les Maghrébins sont… Maghrébins. Ainsi, plusieurs arguments sont mis en avant pour affirmer que le Maghreb en tant que tel constitue un socle civilisationnel propre et commun à la totalité des personnes d’origine maghrébine, une aire civilisationnelle coupée du monde arabe. L’objectif, le lecteur l’aura certainement compris, est identique, sur le fond, au berbérisme traditionnel : désarabiser le Maghreb, désarabiser les Maghrébins, mais aussi supprimer toute arabité de l’Afrique du Nord.

Samira Sitaïl, journaliste et diplomate franco-marocaine, ambassadrice du royaume du Maroc en France, disait dans une interview diffusée sur les ondes de la radio Awsat, le 10 mars 2016 :

« Nous ne sommes pas un pays arabe. Nous sommes, je le dis et je l’assume, un pays maghrébin. Historiquement, on voit nos origines berbères et les influences que nous avons vécues (…) Il faut que ce soit l’objet d’une force et d’une fierté et non pas l’objet de débats totalement inutiles. »

Plusieurs artifices argumentaires sont régulièrement utilisés pour entériner définitivement cette thèse portant sur la non-présence arabe au Maghreb : la prétendue faible proportion d’Arabes « génétiques » en Afrique du Nord ; les dialectes maghrébins qui ne seraient pas de l’arabe, mais du « darija ». 

Mohammed Ibn Najiallah, chercheur en histoire.

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