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Billet de blog 1 juin 2025

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L’impact psychique des images de Gaza sur la jeunesse de France

Il est temps que les professionnels de la santé mentale, les éducateurs, les parents, prennent la mesure de ce que vivent nos enfants face au génocide à Gaza

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est une réalité totalement occultée du débat public et médical : l’impact profond et durable des massacres à Gaza sur la santé mentale des enfants et adolescents de France. Depuis des mois, ces jeunes sont exposés quotidiennement, via les réseaux sociaux ou les chaînes d'information, à des images d'une violence extrême. Ils voient des enfants de leur âge ou plus jeunes, mutilés, ensanglantés, déchiquetés par des bombes, tués dans les bras de leurs parents, blessés à la tête ou au thorax, agonisants dans les couloirs d’hôpitaux détruits. Ces scènes s’impriment dans leur imaginaire, sans médiation, sans filtre, sans protection psychologique.

Ce qui est tout aussi violent que ces images, c’est le sentiment d’indifférence qui les entoure. Les jeunes perçoivent le contraste entre l’ampleur de l’horreur et l'absence de réaction réelle de la société, de l'État, et plus grave encore : du monde médical et éducatif.

L’incompréhension va jusqu’à l’absurde et l’empathie condamnée. Une enseignante dans l'Yonne, a été suspendue. Le rectorat lui reproche d'avoir manqué à son devoir de neutralité, en organisant une minute de silence "en hommage aux victimes de Gaza". « Cela aurait dû être fait par l'Éducation nationale depuis longtemps", assume l'enseignante.

Cette dissociation entre l’horreur vécue par procuration et l’indifférence ambiante engendre une perception déformée du monde, une forme de dystopie morale. Ils grandissent dans une société où le massacre d’enfants peut être banalisé, nié, ou relativisé au nom de considérations géopolitiques. Combien parmi les jeunes de cités populaires, intériorisent l'idée que leur propre vie, leur propre existence, a peu de valeur aux yeux d’un monde qui semble hiérarchiser la souffrance selon l’origine ou l'identité des victimes ?

Comment expliquer que si peu de médecin, qu’aucune autorité de santé ne s’inquiète des effets de ces images sur une jeunesse déjà fragilisée par le climat général ? Cette absence totale de reconnaissance du traumatisme psychologique vécu par les jeunes face au drame de Gaza constitue en soi une violence supplémentaire.

Nous parlons d’une génération qui se construit avec l’idée que la vie humaine n’a pas la même valeur selon qu’elle soit israélienne, palestinienne, européenne, ou arabe. Ce double standard émotionnel, ce tri implicite dans la compassion, est un poison pour la cohésion sociale et pour la construction psychique d’enfants qui doivent se projeter dans une société où, en raison de leur origine, certains d’entre eux se sentent déjà marginalisés.

L’objectif assumé d’Israël, à savoir désensibiliser le monde à la souffrance palestinienne, semble en voie de réalisation. Mais ce processus n’a pas seulement des effets à Gaza. Il agit ici aussi, dans nos banlieues, dans nos écoles, dans les têtes de nos enfants, où il sape les bases mêmes de l’empathie et les valeurs d’humanité.

Il est urgent que les professionnels de santé mentale sortent de leur mutisme et s’interrogent sur ce qu’endurent ces jeunes. Il est urgent que l’on cesse d’ignorer ce traumatisme invisible mais bien réel, au risque de produire une génération marquée à jamais par une violence à laquelle elle n’aura ni mots, ni soins, ni reconnaissance pour répondre.

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