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Billet de blog 8 mai 2023

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Premier billet : je me lance

J'ai attendu longtemps avant de m'abonner à Mediapart, trop longtemps. Aujourd'hui, c'est fait, car ce journal, c'est du sérieux. Je me lance aussi dans mon premier billet, parce qu'à mon âge, j'ai des « trucs » à dire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour,

Je m'appelle Lionel, Yoyo pour les amis, je suis né en 1969 en plein coeur de l'Ardèche, quelle chance !

Enfance sans problèmes, mais adolescence chaotique, car l'Ardèche, c'est beau, c'est même fabuleux, mais pour les jeunes, c'est la galère. Bien sûr, il y a les petits boulots saisonniers, en été, il y a le sport en pleine nature, le canoé kayak, la descente des gorges, la pêche dans les petits torrents cévenols, la baignade, les touristes, les fêtes votives, mais ça c'est l'été, et l'hiver, plus rien ... il reste des villages qui deviennent déserts, glauques, une fois le soleil et les estivants partis, il reste les bars, l'alcool et la drogue. Et on s'en est donné à coeur joie.

Heureusement, à cette époque, dans les années 80, la maréchaussée n'était pas trop regardante quant à l'état d'ébriété des pilotes de "brèles" et des conducteurs de 205 et Golf GTI et autres super cinq GT turbo, enfin... heureusement, pour ceux qui ont eu de la chance, une catastrophe pour ceux, trop nombreux, qui y ont laissé leur vie... Car l'Ardèche, c'est des montagnes, des petites routes, des vallées encaissées et des ravins, c'est pas pour rien que le rallye de Monte Carlo passait par ici ! Malheur à ceux qui se prenaient pour Ari Vatanen ou Bruno Saby avec quelques grammes d'alcool dans le sang.!

Pourtant, je m'en sors plutôt bien : j'obtiens un bac technologique en juin 1988 et un BTS technologique en juin 1990.

En octobre 1990, c'est l'appel de la Nation, le Service Militaire, qui sera supprimé deux ans plus tard, douze mois d'Infanterie quelque part dans les Vosges, pays magnifique l'été mais redoutable l'hiver. Une expérience difficile, dure parfois, mais, à mon sens, formatrice et nécessaire.

En octobre 1991, libéré, je me lance dans la recherche d'un emploi, fier de mes diplômes et du service accompli pour la Patrie. J'écris des centaines de lettres de motivation accompagnées de mon maigre CV (petits boulots saisonniers pour se payer la mobylette et la première voiture).

Trop maigre ce CV, première désillusion, l'industrie ne veut pas de moi, au prétexte que je n'ai pas d'expérience et que je suis trop jeune. J'enchaine alors les petits boulots et fini par trouver un emploi d'été dans un CAT (ESAT aujourd'hui), au cours duquel je travaille en production avec les travailleurs et travailleuses handicapés. J'adore ! Au bout de deux contrats d'été, l'association me propose le remplacement d'un éducateur, parti en maladie, puis me propose de suivre une formation d'éducateur technique en CAT, avec un emploi à la clef.

Je me dis, ça y est, l'avenir s'ouvre pour moi, un emploi gratifiant, chez moi.

Malheureusement, deuxième désillusion, les CAT , à cette époque déjà, commençaient à connaitre des problèmes financiers du fait du désengagement de l'Etat , réduisant les budgets principaux au nom de la réduction des déficits publics, les obligeant à compenser par l'augmentation des budgets commerciaux (ou budgets annexes), autrement dit, en augmentant la quantité de travail et les cadences.

Je me suis donc peu à peu retrouvé dans un rôle de chef d'atelier, contrôlant et surveillant les personnes handicapées au travail, au détriment de ma mission de soutien psychologique, pédagogique et sociale, devant rendre des comptes au  service commercial sur des délais de livraison difficiles à respecter. De plus, pour certaines de ces personnes, capables de tenir de bonnes cadences et de soutenir des journées de travail de sept heures, il me paraissait injuste qu'elles soient maintenues dans le statut de travailleuse handicapée, alors qu'elles pouvaient travailler en milieu "ouvert", comme on disait à l'époque, en usine ou ailleurs, à condition d'être bien accompagnées. A ce dépit supplémentaire s'ajoute des problèmes personnels assez sérieux, accompagnés d'une descente dans l'enfer de l'alcool.

En 1998, à 29 ans, je décide de tout plaquer, de quitter cette région où j'ai des ennuis, avec ma compagne qui, elle, est à la recherche d'un emploi dans le secteur des bureaux d'étude industriels. Nous décidons de partir dans la vallée du Rhône, entre Drôme et Ardèche, région où l'activité industrielle est encore assez soutenue.

Nous nous installons dans le nord de la Drôme, où j'ai décroché un CDD d'ouvrier dans une manufacture de maroquinerie, sous traitante de LVMH. Ma compagne décroche ses premiers CDD comme dessinatrice industrielle dans des petits bureaux d'étude et d'ingénierie.

Ma vie d'ouvrier d'usine commence donc en 1998 , je rentre finalement dans l'industrie par la petite porte, puisque la grande m'a été refusée sept ans auparavant. Cette vie continue aujourd'hui.

Et c'est ici que commence ce blog : avec ces 25 années passées dans l'industrie, je voudrais apporter ma modeste contribution, par le témoignage, par des anecdotes et des petites histoires, parfois légères, souvent terribles et dramatiques, bien entendu, sans jamais citer le nom des différentes entreprises dans lesquelles j'ai travaillées, ni citer de noms, pour ne pas risquer le procès en diffamation, étant donné que cela fait partie de l'histoire récente, pour la compréhension de ce monde  de l'usine en perpétuelle (r)évolution et de ce monde ouvrier, si souvent dénigré, qui retrouve aujourd'hui ses lettres de noblesse en pleine contestation de la réforme des retraites imposée injustement par le gouvernement.

Je voudrais aussi, par ce blog, donner l'analyse "vue d'en bas", du système "managerial" et expliquer ce que j'en pense. En fait, alors que ma formation scolaire me destinait à devenir un "technicien agent de maîtrise", voire un cadre, donc un manager, j'ai eu la chance d'échapper à cela  parce que, justement,  les patrons m'ont fermé la porte au nez au moment où ,naïvement, je cherchais à intégrer le monde du travail avec mes jolis diplômes.

Malheureusement pour les patrons et la clique de leurs managers dévoués, qui ne sont pas des gens très malins, puisqu'ils considèrent les ouvriers et les ouvrières comme une masse uniforme d'incultes, et qui n'ont pas conscience que parmi cette masse, il peut se trouver des personnes aussi compétentes, voire plus compétentes qu'eux, mais qui n'ont eu d'autres choix que de travailler à la tâche, lorsque le marché a refusé de donner une chance à leurs potentiels, malheureusement pour eux donc, et grâce à ma formation qui m'a finalement bien servi, j'ai eu tout le loisir d'observer, d'analyser, de décortiquer, fondu dans la masse des ouvriers, les yeux et les oreilles grand ouverts, leurs comportements, leurs stratégies (ou plutôt leurs stratagèmes), leur mépris de classe, bref , leur idéologie.

Car il faut le dire et le répéter : le management, et ses multiples déclinaisons, "lean management", "lean factory", "new management", "public management" , n'est pas un mode de gouvernance , c'est une idéologie, un dogme, dont le but ultime est la domination absolue des riches sur les pauvres, de ceux qui ont réussi sur ceux "qui ne sont rien", de ceux qui connaissent sur ceux qui ne connaissent pas, de ceux qui se sont appropriés (par des moyens légaux ou illégaux) les outils de production agricole, industrielle, intellectuelle, les outils d'information, de manipulation et de propagande.

Il possède son propre langage, avec lequel il détourne l'esprit des lois et des textes, avec lequel il inverse le sens des mots, des notions, des idées ; il possède son propre vocabulaire, avec lequel il oblige à l'allégeance , par exemple, lorsque les dirigeants d'entreprise remplacent le mot ouvrier par salarié, puis salarié par collaborateur, puis collaborateur par équipier, dernière trouvaille à la mode.

Le management, apparu au milieu des années 70, a conquis toute la société, d'abord les entreprises privées, puis le service public, le monde associatif, l'Etat, les collectivités territoriales, et maintenant, il s'attaque à nos vies privées avec le développement incontrôlé du numérique. Il a conduit à des catastrophes telles que la destruction de France Télécom et ses dizaines de suicides, à cause de ses méthodes brutales, le chaos dans lequel se trouve l'hôpital public aujourd'hui, est une conséquence direct du cynisme et de l'incompétence des managers, et maintenant, ils s'attaquent à l'école, dans le seul but de fabriquer des générations de jeunes gens incultes et par conséquent serviles. J'arrête là, la liste des méfaits est bien trop longue ...

Je considère aujourd'hui, après tant d'années à l'avoir côtoyé , que le management est , avec le fascisme, un fléau qu'il faut combattre et détruire.

A bientôt, donc, pour des petites histoires d'usines croustillantes , navrantes ou terrifiantes, basée sur mon vécu d'ouvrier .

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