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Billet de blog 7 octobre 2024

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La solution Mandela ou la guerre éternelle

Que l'arbre du 7 octobre ne cache pas la forêt, surtout si cette forêt elle-même est prête à s'embraser. Que faire lorsque l'histoire met deux peuples en confrontation violente, comme le fait la mécanique céleste quand elle met deux météorites en trajectoire de collision ?

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Que faire lorsque l'histoire met deux peuples en confrontation violente, comme le fait la mécanique céleste quand elle met deux météorites en trajectoire de collision ?

Que faire des millions de Juifs, surtout ceux nés en Israël, qui se sentent chez eux en Israël et que faire des millions de Palestiniens vivant au sein de cet État, en Cisjordanie et à Gaza qui ne vont ni disparaître ni émigrer de cette terre qui est la leur ?

Il y a toujours des moments clés dans les conflits humains où l'histoire semble hésiter, laissant aux protagonistes le choix entre le meilleur et le pire.

Un tel moment s'est présenté dans l'histoire du conflit israélo-arabe en 1993. Le choix à l'époque était entre la solution politique, c'est-à-dire les accords d'Oslo, ou trente années de guerres de plus en plus sanglantes.

Le choix de la droite israélienne a été de saboter les accords d'Oslo, de poursuivre la colonisation dans les territoires occupés, d'étrangler Gaza et d'instaurer un apartheid soft en Israël même.

La majeure partie de la société israélienne, et pas seulement la droite au pouvoir, refuse obstinément le droit du peuple palestinien à un État souverain avec Jérusalem-Est comme capitale.

Le blocus de Gaza, la poursuite de la colonisation et l'apartheid soft en Israël, qui se veut un état exclusivement juif, semblent être des choix stratégiques communs à la société israélienne.

Ce sont ces choix catastrophique qui ont conduit à la guerre contre le Liban en 2006, contre Gaza en 2008, 2009, 2012, 2014 et 2023... et nous ne sommes qu'au début d'une guerre sans fin.

Croire qu'on peut obtenir la paix, appelée normalisation, avec des régimes arabes discrédités, tout en soumettant le peuple palestinien et en ignorant la volonté des peuples arabes, relève plus de l'esprit magique que de l'esprit politique.

Loin d'être vaincu, le Hamas, que les Occidentaux et les Israéliens appellent mouvement terroriste, est en train de devenir, pour toute une nation, l'exemple d'un grand mouvement de résistance nationale.

La résistance de Gaza – la Stalingrad arabe – inspire déjà toute la jeunesse palestinienne et arabe qui ne rêve que de se venger de la vengeance israélienne.

Seule une solution politique peut donc éviter la dérive de toute la région vers la guerre éternelle. Mais laquelle ?

Il suffit de regarder la carte des colonies juives en Cisjordanie et le plan d'occupation juive de Jérusalem pour voir à quel point la solution des deux États est dépassée. Quel paradoxe de voir que ce sont les Juifs les plus nationalistes qui ont rendu impossible un État purement juif !

La seule solution rationnelle au conflit est un État démocratique binational où les deux peuples, jouissant des mêmes droits et libertés, pourront vivre enfin en paix, côte à côte comme les francophones et les anglophones au Canada, les Flamands et les Wallons en Belgique, les blancs et les noirs en Afrique du Sud. On pourrait appeler ce choix politique la "solution Mandela".

Ce n'est pas un hasard si c'est précisément l'Afrique du Sud qui a traîné Israël devant la Cour de Justice de La Haye pour génocide à Gaza.

Face aux juges de la Cour réunis le 11 janvier 2024, les délégations israélienne et sud-africaine représentaient deux solutions opposées au même terrible problème.

La "solution Mandela" a posé comme principe qu'on ne peut rien construire de durable et de bon sans la reconnaissance de l'Autre et la mise en place d'un cadre de vie commun qui respecte les droits de tous et rend ainsi la violence obsolète.

À l'autre extrémité du spectre des choix politiques, nous avons la "solution Netanyahou". Elle part du principe qu'il ne faut reconnaître à l'Autre que le droit de vivre sous l'occupation, le blocus et la discrimination. Elle se base sur l'idée la plus primitive en politique : là où la violence ne règle pas le problème, une violence encore plus grande peut y parvenir.

C'est cette "solution Netanyahou", qui a fait échouer les accords d'Oslo, qui a été responsable des guerres des trente dernières années et qui sera responsable de celle des trente prochaines.

Seule, la "solution Mandela" peut éviter ce tragique destin.

Par ailleurs, il faut être aveugle pour ne pas comprendre que le triomphe de la démocratie dans toute la région passe par la "solution Mandela". Si les Occidentaux veulent gagner la guerre des systèmes politiques et des valeurs contre les modèles russe, chinois ou iranien, ce n'est pas en armant un État glissant vers une théocratie fasciste ou en appuyant des dictateurs arabes détestés par leurs peuples qu'ils y parviendront.

Au contraire, une telle politique ne peut qu'accélérer l'hémorragie démocratique en Israël, bloquer la démocratisation arabe et, in fine, affaiblir les démocraties occidentales elles-mêmes.

Mais comment oser parler d'une telle solution alors que la haine du 7 octobre pour les Israéliens, d'avant et d'après le 7 octobre pour les Palestiniens et les Arabes n'a jamais été aussi puissante ?

N'est-ce pas là rêver en couleur ?

Rappelons-nous que les haines humaines sont comme les orages. Même les plus violents et les plus destructeurs finissent par se calmer et disparaître, ne laissant derrière eux que des dégâts à réparer et de mauvais souvenirs à oublier.

Souvenons-nous que les Allemands et les Français, les Russes et les Allemands, les Japonais et les Américains, les Coréens et les Japonais se sont livrés des guerres terribles mais que ce sont aujourd'hui des peuples amis. Berlin, Stalingrad ou Hiroshima ont été reconstruites et elles sont aujourd'hui plus belles qu'avant leur destruction.

Mais où trouver des hommes de la trempe de Nelson Mandela, Desmond Tutu et Frederik de Klerk qui ont rendu le modèle sud-africain possible ?

Il existe certainement des hommes et des femmes capables de se hisser au niveau de ces géants de l'histoire. Il leur faut tout simplement s'armer de leur courage et de leur ténacité, et savoir qu'ils sont les seuls à pouvoir éviter une catastrophe aux conséquences incalculables.

Les Palestiniens, les Israéliens et leurs amis respectifs, les véritables hommes et femmes d'État dans les pays démocratiques doivent commencer à réfléchir ensemble à cette seule alternative sérieuse à la guerre éternelle et à la destruction de toute la région du Moyen-Orient.

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