Ibtihal Al Khatib est une écrivaine et une militante des droits de l’homme koweitienne. Voici ce qu'elle a écrit dans le journal arabe Al Quds al Arabi du 15 Mars dernier à propos des évènements de Gaza : " J'ai pu sourire à celui qui a ouvert une plaie dans mon âme et l'a ensuite aspergée de sel et de vinaigre, et puis Gaza a été, et la colère s'est éteinte, la douleur s'est enflammée et toute la capacité de pardonner, de justifier et d'essayer de comprendre les autres s'est éteinte. Quel est le sens et l'utilité du pardon ? Quelle amélioration le pardon apportera-t-il à ma vie, à la vie des personnes concernées ou à quiconque autour de nous ? Souffrons avec colère et haine, c'est ce que nous méritons dans ce monde de toute façon. "
L'écrivaine koweïtienne décrit sans fard la haine qu’éprouvent de plus en plus de citoyens arabes devant les images terribles que diffuse tous les soirs Al Jazeera. Cette haine semble être l’image en miroir de celle éprouvée par les Israéliens après le 7 octobre et que l’étendue de la vengeance de leur armée ne semble pas assouvir à ce jour.
Derrière ces deux haines croisées visibles et audibles se cachent deux autres haines plus silencieuses mais tout aussi dangereuses à moyen et long terme. Après le 7 octobre, les médias mainstream occidentaux ont adopté la version israélienne des faits et ont déversé sur les Palestiniens et les Arabes un torrent d'invectives et d'accusations. Rien d'étonnant dans la flambée des violences islamophobes qui s’en est suivie.
Le Conseil sur les relations américano-islamiques (CAIR), la plus grande organisation de défense des droits civiques des musulmans aux États-Unis, a annoncé que les plaintes liées à l'hostilité envers les musulmans, notamment les Palestiniens, aux États-Unis ont augmenté de 178 % depuis, le 7 octobre.
Le 15 mars dernier, un rapport publié par l'ONU à l'occasion de la journée internationale contre l'islamophobie a exprimé son inquiétude devant l'augmentation des attaques contre les mosquées, les propriétés et les personnes musulmanes dans toutes les régions du monde.
Dans le monde arabe, ce qu'on pourrait appeler la westernophobie, déjà existante depuis longtemps à cause de l'appui occidental aux dictatures arabes, a littéralement explosé devant l'appui inconditionnel apporté à Israël dans sa guerre de destruction massive à Gaza et sa répression brutale des habitants des territoires occupés.
Le plus inquiétant dans ces quatre haines est qu'elles vont en s'aggravant, nourries par plusieurs facteurs concomitants : la détermination du gouvernement israélien à occuper Rafah et à continuer la guerre jusqu'à " l’extermination du Hamas " va voir la haine enfler avec l'augmentation du nombre des victimes.
La réaffirmation des dirigeants israéliens de leur ferme opposition à la solution des deux États signifie que Palestiniens devront accepter l’épuration à Gaza, l'occupation en Cisjordanie et l'apartheid soft en Israël. Or cela signifie tout simplement la guerre éternelle car il n’y aura de vraie paix que par la reconnaissance au peuple Palestinien de tous ses droits dont la création d’un État souverain viable avec Jérusalem-est pour capitale.
Last but not least, partout la peur, la colère et la déshumanisation de l'autre crée un terreau sur lequel croît un populisme xénophobe, raciste et anti démocratique comme une infection sur une plaie ouverte mal soignée. D’où la droitisation des opinions publiques aussi bien en Israël que dans les pays occidentaux et arabes. Or cette droitisation rampante est la fois cause et conséquence de la haine et cela ne présage rien de bon à moyen et long terme.
Croire que les politiques actuelles menées par les principaux acteurs sont capables de diminuer la haine est une pure illusion puisque ce sont ces politiques qui la nourrissent tout en s’en nourrissant.
Malgré ces sombres perspectives il y a quelques raisons d’espérer. Les prises de positions contre la furie vengeresse de l’armée israélienne d’Israéliens comme Gédéon Levy ou Daniel Levy, de juifs français comme Sonia Dayan ou américains comme Bernie Sanders sont autant de puissants antidotes contre ce poison de la haine envahissant les cœurs et les esprits arabes.
Quand je suis invité parfois par des télévisions arabes pour donner mon point de vue sur le calvaire de Gaza, je profite toujours de l’occasion pour insister sur le fait que les manifestations de soutien au peuple palestinien sont plus fréquentes à Washington, Paris ou Londres qu’au Caire, à Alger ou Ryad. J’insiste sur le fait que la majorité des manifestants sont des occidentaux et qu’il y a parmi eux beaucoup de juifs.
Il faut aujourd’hui une véritable campagne pour appeler à l’arrêt de la folie qui se déroule à Gaza pour que nous ne léguions pas à nos enfants et petits-enfants le lourd fardeau de guerres de vendetta sans fin.
Fin Aout 1990, le prix Nobel de la paix et survivant de l'Holocauste, Elie Wiesel, organisa à Oslo, sous l’égide du comité Nobel pour la paix, une conférence à laquelle assistait entre autres Nelson Mandela, Vaclav Havel, François Mitterrand et Jimmy Carter.
L’objectif de la conférence était de répondre à une seule question : Pourquoi nous haïssons-nous ?
Nous n’avions pas trouvé de réponse unique et satisfaisante pour tous.
Aujourd'hui nous avons besoin d’une telle conférence réunissant les hommes et les femmes de bonne volonté des deux camps et de leurs amis respectifs pour répondre à une autre question plus urgente : comment baisser le niveau de la haine qui déferle sur nous depuis le 7 octobre ? Car, si on ne fait rien, c’est un tsunami de violence et de contre-violence qui risque de nous emporter tous.