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Moncef Marzouki

Ex-Président de la Tunisie

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Tribune 25 février 2023

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Frères et sœurs subsahariens, toutes nos excuses

Kais Saïd vient de créer une crise sans précédent avec les pays frères du sud du Sahara. En qualifiant la présence de certains de leurs ressortissants sur notre sol de complot contre l’identité arabo-musulmane de la Tunisie et en reprenant la phraséologie de tous les racistes sur les étrangers responsables de tous les crimes dont celui d’exister, il a donné le signal à une chasse aux Africains subsahariens sans précédent dans notre histoire. Par Moncef Marzouki, ex-Président tunisien.

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Ex-Président de la Tunisie

Kais Saïd, le président putschiste fossoyeur de la première expérience démocratique en Tunisie et dans le monde arabe, vient de créer une crise sans précédent avec les pays frères du sud du Sahara.

En qualifiant la présence de certains de leurs ressortissants sur notre sol de complot contre l’identité arabo-musulmane de la Tunisie et en reprenant la phraséologie de tous les racistes sur les étrangers responsables de tous les crimes dont celui d’exister, il a donné le signal à une chasse aux Africains subsahariens sans précédent dans notre histoire.

Que l’association des étudiants et stagiaires nigériens publie le 22 février un communiqué appelant ses membres à ne plus sortir le soir et à éviter certains quartiers populaires en dit long sur l’atmosphère empoisonnée créée par la rhétorique d’un président supposé garant de la paix civile, du respect du droit et de la réputation internationale de son pays.

Par ses déclarations d’un racisme sans fard, par l’amalgame et les simplifications outrancières ainsi que par l’évocation d’un complot imaginaire, Kais Saïd a mis en danger la vie, la liberté et la dignité de centaines d’étudiants venus dans notre pays poursuivre des formations utiles à leurs pays et d’immigrés en situation catastrophique. 

Pour détourner les yeux du peuple du naufrage de l’économie, de la déliquescence de l’Etat de droit et d’une vague de répression sans précédent contre l’opposition démocratique, Kais Saïd s’est lancé dans une diatribe populiste de basse facture contre des ennemis imaginaires, supposés être responsables de la situation catastrophique du pays.

Ce faisant, il a porté un grave préjudice à la réputation de notre pays vis-à-vis d’un continent auquel nous, Tunisiens, sommes fiers d’appartenir.

Encore plus grave est la justification que le Président putschiste donne à tous les racistes européens pour s’en prendre à nos concitoyens en situation régulière ou aux malheureux, eux aussi obligés de recourir à l’émigration clandestine pour fuir la misère et la répression. L’accueil chaleureux de son discours par un certain Eric Zemmour en France en dit long sur l’impact de ses déclarations et sur l’usage délétère qui en sera fait.

En tant que premier président élu démocratiquement en Tunisie après le soulèvement populaire de 2011 et aussi en ma qualité de militant des droits de l’homme, je n’ai pas de mots assez sévères pour dénoncer le discours raciste et irresponsable de Kais Saïd.

Je me réjouis de la réaction immédiate d’une vingtaine d’associations de la société civile qui a condamné ce discours et a appelé à manifester son soutien à nos hôtes subsahariens. Tout aussi rassurante est la condamnation unanime dans tout le spectre politique. Cela suffirait-il à absoudre la faute d’un homme qui ne représente, depuis son coup d’Etat constitutionnel de l’été 2021, que lui-même et une partie de la population dont le soutien fond comme neige au soleil au fil des crises et des scandales ? Je l’espère et j’espère surtout que tous les amis de la Tunisie ne confondront pas un pays avec un régime putschiste aux abois et sans avenir.

Puissent tous nos frères et sœurs subsahariens accepter les excuses de nous tous Tunisiens et Tunisiennes si familiers de la douleur de la stigmatisation qui pèse sur tous les hommes et les peuples encore en lutte pour la justice et l’égalité.