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Billet de blog 3 janvier 2016

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Sérénade Chafik: Femmes et Islam

interview de Sérénade Chafik, femme égyptienne. Elle rend compte de l'abandon de la cause des femmes par la "révolution" et des coups de boutoir de l'Islam politique, notamment des Salafistes et des Frères Musulmans.

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 Femmes et Islam : A qui appartient le corps des femmes ?

Interview de Sérénade Chafik par Sporenda

S : Vous êtes née en Egypte et je suppose que vous y êtes revenue depuis l’arrivée au pouvoir du général Sissi. Comment la situation a-t-elle évolué en ce qui concerne les Droits des femmes ? Le fait que les islamistes ne soient plus au pouvoir a-t-il desserré un peu le carcan ?

SC : Je suis partie d’Egypte en 1992 ; pour moi ce n’était plus possible de vivre en Egypte, d’abord parce que j’y ai perdu ma santé : je pesais 39 kilos. Je ne supportais plus, j’étais trop atypique, trop montrée du doigt socialement. Deusio, il y avait les actions des terroristes islamistes qui posaient des bombes un peu partout. Une autre chose qui m’a vraiment décidée au retour, après avoir vécu 7 ans au Caire, c’est le comportement de mon fils : après avoir été dans une école bilingue franco-égyptienne où la maîtresse était voilée, il commençait déjà, à 5 ans, à me donner des ordres, à me dire de me couvrir les bras etc. Je me suis dit : ce n’est plus possible d’élever un enfant dans ces normes-là. Par contre, je suis retournée en Egypte pour participer à la Révolution, place Tahrir, où on a fait un sit in, une occupation de la place. Le 8 mars, on était place Tahrir, et c’est-là que j’ai compris que cette Révolution se serait pas aboutie. D’abord parce qu’il n’y avait aucune revendication jusqu’alors pour les droits des femmes, alors qu’on a un des Codes de la famille les plus rétrograde dans le monde–c’est l’ancêtre du Code de la famille algérien. Et on avait décidé, nous les femmes, de célébrer le 8 mars et de revendiquer des choses assez basiques—on n’allait même pas jusqu’au bout—et les camarades révolutionnaires nous ont abandonnées ce jour-là, on s’est retrouvés face à des bataillons de salafistes qui nous ont encerclées, qui nous ont menacées—on a du faire un cercle et placer les plus jeunes au milieu pour les protéger : c’était le début de l’utilisation du harcèlement sexuel comme arme contre les manifestantes. Et là je me suis dit : une révolution qui ne prend pas en considération la dimension des droits des femmes et ne reconnait pas les revendications féministes, ça ne peut pas marcher. Une démocratie sans les droits des femmes, ce n’est pas une démocratie aboutie. Et donc très vite les Frères musulmans nous ont abandonnées. Il faut dire qu’à l’appel initial du 18 janvier, ils avaient fait un communiqué de presse contre la révolution. Ils l’ont rejointe parce qu’ils ont trouvé des millions de gens dans la rue, par opportunisme. Et très vite, début mars, ils ont quitté la place et ont fait un pacte avec le Conseil suprême des forces armées, ils se sont alliées avec eux, ils ont applaudi les violences que les Forces armées ont exercées sur les manifestants, et on ne les a plus revus du tout sur la scène des manifestations , au contraire, ils ont utilisé des slogans islamistes contre nous : par exemple, au sujet du premier projet de réforme de la Constitution, qui était extrêmement rétrograde, ils ont dit : « celui qui vote non, c’est un apostat , un mécréant ». Et très vite, ils ont utilisé la religion contre la Révolution. Il y a deux courants islamistes en Egypte, le courant des Frères musulmans et le courant salafiste. Au gré de l’histoire de l’Egypte, ils s’allient ou se font la guerre, selon les alliances qu’ils font avec le gouvernement. A l’heure actuelle, Sissi promeut les salafistes pour taper sur les Frères musulmans—mais pas que, aussi sur les athées et le courant laïc qui existe en Egypte. Non seulement il existe en Egypte mais il est en train de pointer l’échec de l’islam politique.

 S : Et les femmes là-dedans, qu’est-ce qu’elles deviennent ?

SC : Pour les femmes, on est rentrées dans une longue phase de silence où toute la lutte des femmes se résume à une seule question : le harcèlement dans la rue. J’ai mon idée sur la raison pour laquelle on se concentre sur cette violence-là et pas sur d’autres violences : parce que le harcèlement de rue, comme le disait Ni putes ni soumises au début, permet de dénoncer une minorité agissante. Ce qui n’est pas vrai : le harcèlement de rue est la conséquence de l’existence du système patriarcal qui fait que les femmes et leur corps appartiennent au groupe. Et là-dessus, tout le monde adhère, y compris des camarades hommes, parce que ça ne remet pas le système en question, ça ne parle pas de la liberté de disposer de son corps. Le corps des femmes appartient à qui ? Il y a encore un silence sur la question de l’excision dans un pays ou 94% des femmes sont excisées.

 S : Sur cet accent qui est mis sur le harcèlement de rue : est-ce que ce n’est pas parce que c’est très visible, alors que les violences domestiques sont cachées ? Est-ce qu’ils ne mettent pas en avant le harcèlement de rue, les violences publiques, pour détourner l’attention des violences domestiques, des violences privées—qui doivent rester cachées ?

SC : Voilà, on dénonce l’étranger qui est dans la rue alors que 80% des violences ont lieu dans la cellule familiale ou par des proches …

 S : Oui, c’est toujours les Autres, c’est jamais eux…

SC : La question des violences sur les femmes a beaucoup à voir avec l’Etat dictatorial—parce qu’il a confisqué le pouvoir aux hommes dans un pays très machiste, très viriliste. Et pour leur laisser une soupape de défoulement, il leur laisse exercer des abus de pouvoir au sein de la famille et il ne légifère absolument pas pour protéger les femmes. Et ça augmente la tolérance envers les violences et ça maquille tout : les violences de l’Etat deviennent secondaires par rapport à des individus qui vivent quotidiennement des violences systémiques.

 S : Dans votre livre « Répudiation : femme et mère en Egypte », vous décrivez les multiples discriminations et violences dont sont victimes les Egyptiennes. L’une d’elles est l’excision, qui dans le Sud s’accompagne aussi de l’ablation des petites et grandes lèvres et de l’infibulation—source de souffrances atroces, d’infections et de décès. Une loi sur l’excision a été passée en 1997, mais a-t’elle vraiment réduit cette pratique sans laquelle les filles sont considérées comme « nagsas » (impures) et ne peuvent être mariées ?

SC : Il y a encore 94% de femmes excisées, et c’est le chiffre le plus optimiste. C’est le chiffre des ONG qui ont travaillé de près sur la question, mais on n’a pas de recensement, sauf celui officiel qui est de 97%, d’après le Ministère de la Santé. On a une loi qui n’est pas appliquée parce que l’excision se pratique partout : elle se pratique dans les cliniques privées, ou à la maison, selon le niveau social. Dans ma classe sociale, la bourgeoisie moyenne, on va exciser dans un centre hospitalier, pas un centre hospitalier d’Etat, parce que c‘est un des rares endroits où la loi est appliquée. Et encore, pas tous, parce que tout est possible, moyennant un pourboire. En fait, en 1997, quand la loi a été passée, ce sont les médecins qui ont saisi la justice contre l’Etat en disant : « l’Etat s’est agenouillé face à la pression occidentale, il veut enlever aux Egyptiens une coutume, un droit… »

 S : Ils ont vraiment parlé de droit ? De droit d’exciser les femmes ?

SC : Oui et ça a été repris quand Morsi est arrivé au pouvoir : le droit à l’excision. Et c’est là qu’on voit toute la manipulation : on va utiliser le « choc des civilisations » : il y a l’Occident et nous. L’Occident veut nous dicter des lois universelles, sauf que nous, nous avons nos traditions. Et puis l’utilisation du mot « droit » : les gens disent : c’est quand même mon droit, dans ma famille, de faire ce que je veux—d’autant que l’enfant n’a pas de statut à part en Egypte, il est propriété de la famille. La loi ne reconnait pas le viol conjugal, donne raison systématiquement aux hommes qui battent leur femme, etc. Donc on a là des médecins, qui en principe sont des agents de prévention, qui en fait font la promotion de l’excision voire même attaquent l’Etat qui essaie de mettre en place une loi prohibant l’excision—c’est le comble ! Sur qui se baser alors pour faire de la prévention : en général, on a recours à des professionnels de santé qui vont dire : l’excision est dangereuse. Si le corps médical lui-même la pratique et la défend, c’est très difficile. Ils la pratiquent parce que la santé en Egypte fonctionne sous le régime de l’ultra-libéralisme. Les cliniques privées, quand elles sont de très bonne qualité, ne dépendent ni du Ministère de la santé, ni de celui de l’hôtellerie et du tourisme.

 S : Donc pratiquer l’excision, c’est rémunérateur pour les médecins ?

SC : Oui, ils n’ont pas intérêt à ce que cette pratique disparaisse car pour eux, ce serait une source de revenus qui disparaitrait.

 S : Vous parlez dans votre livre d’une autre discrimination que vous avez subie de plein fouet, la répudiation telle que codifiée par la loi coranique : facile pour les hommes de répudier leur épouse, mais divorce presque impossible pour les femmes, et leurs enfants leur sont enlevés pour être confiés au mari en cas de répudiation ou de remariage. C’est ce qui est arrivé à votre fille, et c’est ce qui vous a amenée à l’« enlever » parce que son père à qui elle était confiée voulait la faire exciser. Mais alors que vous viviez en France et étiez remariée avec un Français, la justice française a décidé d’appliquer la loi coranique à Nantes et vous a poursuivie pendant des années pour vous obliger à rendre votre fille à son père. On voit de plus en plus des pays occidentaux tolérer –comme en Angleterre où les « sharia courts » se multiplient—que des tribunaux privés prennent des décisions concernant des femmes musulmanes au nom de la sharia—leur refusant ainsi les droits dont bénéficient les femmes dans une démocratie. Qu’en pensez-vous ?

SC : C’est la raison pour laquelle j’ai reçu beaucoup de soutien avec mon Comité de soutien : la juge a rédigé ses attendus en se basant sur une loi égyptienne qui dit que si une femme se remarie, si elle refuse d’être nonne, elle perd automatiquement la garde de l’enfant, elle perd son statut de mère. Oui, la loi égyptienne a changé—et c’est ça que je reproche à la majorité des féministes égyptiennes: quand j’essaie de parler avec elles, elles me disent : « oui mais maintenant on peut se séparer ». On a introduit en 2002 des modifications dans le Code de la famille : une femme peut demander la séparation mais à condition de renoncer à tous ses droits. C’est seulement si je suis riche et j’ai des revenus que je peux le faire et en plus, je dois donner un dédommagement à mon mari et il doit accepter la somme que je lui propose. Dans ce cas-là, j’achète ma liberté avec de l’argent et l’homme peut toujours demander plus. Il n’y a que les femmes ayant des biens qui peuvent faire ça—et en plus, dès le début de leur mariage, les femmes quittent leur travail à la demande de leur mari, donc elles n’ont pas de revenus. Comment payer la séparation quand on n’a pas de revenus ?

 S : Ce qui m’avait frappée dans ce que vous racontez dans votre livre, c’est qu’il y a un juge au tribunal de Nantes qui a appliqué dans son tribunal une loi égyptienne. C’est typique de ce qui est en train de se généraliser en Europe : il y a maintenant des gens qui considèrent comme normal qu’on applique dans leur pays des législations de pays étrangers. Qu’est-ce que vous pensez de cette pratique ?

SC : On sacrifie les droits des femmes, des droits universels, pour plaire à des communautés par clientélisme—ou même par j’menfoutisme. C’est du pur relativisme culturel, et de la xénophobie.

 S : Ça consiste à dire qu’il y a certains droits censés être universels qui seraient en fait réservés aux femmes occidentales ?

SC : Oui, vous et moi on n’aurait pas les mêmes besoins en tant qu’êtres humains. Moi ma condition en tant que femme d’origine musulmane, c’est d’être esclave de mon mari toute ma vie et même après le divorce, mais vous, vous avez accès à des droits et vous pouvez en discuter. Mais moi je n’ai pas accès à ces droits, et je ne peux même pas en discuter car ces lois sont dites d’origine divine—parce que ce sont des lois islamiques. C’est-à-dire que l’on introduit de la dictature dans la démocratie—et qu’il n’y a pas de négociation possible…

 S : La loi divine l’emporte toujours sur la loi républicaine ?

SC : La loi divine n’est pas dIscutable. Qui suis-je moi, pauvre mortelle, pour discuter avec Dieu ? C’est là le piège des lois musulmanes, et c’est là le racisme flagrant : on va donner des droits à des citoyens et pas à d’autres, et la différence entre les deux, c’est juste la naissance.

 S : Et ça crée une catégorie de sous-citoyens ?

SC : Voilà, et c’est inacceptable. J’avais mené une lutte avant même que Taubira soit ministre, je lui avais donné un compte-rendu sur les conventions bilatérales où je disais : on ne peut pas accepter dans ces conventions des dispositions qui restreignent les droits des femmes. Ces conventions bilatérales sont atténuées par une jurisprudence mais tout de même, elles sont toujours là, elles sont toujours discriminantes, et elles ont été signées avec des dictateurs. Il faut que la laïcité soit défendue comme droit et pas uniquement en tant que devoir : il faut être cohérent, on ne peut pas exiger des femmes de ne pas porter de voile dans un lieu public, dans un travail public, dans le service public et en même temps leur dire, pour ce qui concerne le droit privé, vous êtes des musulmanes, vous n’êtes plus des Françaises. Il faut être cohérent, sinon on discrédite non seulement la laïcité mais les fondements même de la démocratie.

 S : Vous racontez que si une femme vient demander le divorce devant un tribunal en Egypte, en justifiant cette demande par le fait que son mari la bat, la réponse du juge est : « mais qu’est-ce que vous avez pu bien faire à votre mari pour qu’il vous batte ? »–et on la forcera à rester avec un mari violent. Cela a été le cas pour vous mais des femmes qui ont fait une demande de divorce devant une « sharia court » en Angleterre ont obtenu la même réponse. Selon vous, la multiplication de ces sharia courts représentent-elles un risque pour la sécurité des femmes ?

SC : Les femmes victimes de violence en Egypte et dans le monde arabe ont beaucoup de mal à faire enregistrer une plainte. Je vais vous donner un exemple : ma tante est mariée avec quelqu’un qui est violent ; maintenant ils sont séparés mais sans le dire parce qu’en Egypte, être divorcé, c’est très compliqué : on ne peut plus marier ses filles, à cause de la réputation, etc. Elle est allée une fois au commissariat parce qu’elle a perdu son oreille, son audition, à cause des coups. Non seulement elle n’a pas réussi à porter plainte mais les policiers lui ont dit : « qu’est-ce que vous lui avez fait pour qu’il sorte de ses gonds? Vous l’avez certainement mérité ! » Et quand un juge dit à la femme : « de quoi vous vous plaignez ? Un bon père de famille qui tape son enfant par amour pour l’éduquer… » C’est dans un jugement de la cours de cassation en 1986 par exemple. Il y a deux choses là : la maltraitance parentale qui est tolérée par la loi—parce que c’est un représentant de la loi qui dit ça. Et la deuxième chose, c’est l’assimilation des femmes aux enfants : les femmes sont des mineures à vie. Il y a deux mois j’avais demandé à un ami égyptien, un avocat qui est un révolutionnaire, qui a pignon sur rue, qui est très connu, qui est dans tous les comités de défense des prisonniers politiques etc. Je lui ai demandé : « qu’est ce vous faites comme actions pour réformer le Code de la famille ? » Il m’a répondu : « les femmes égyptiennes ont beaucoup de droits ». Même chez les progressistes, on est dans la négation du problème.

 S : Donc les droits des prisonniers politiques sont reconnus et défendus, tandis que les droits des femmes sont niés, et rien n’est fait pour elles : les hommes progressistes ne se battent que pour les droits des autres hommes ?

SC : Voilà. Et ce paradoxe-là, on va le retrouver dans les formations politiques. Il y a deux difficultés en fait : d’abord, il n’y a pas de mouvement féministe en Egypte qui soit à la hauteur des enjeux, l’autre c’est l’UNICEF qui donne des subsides aux associations pour la promotion de la démocratie, et qui vide un peu ces associations féministes de leurs objectifs, qui finance des actions un peu tape-à-l’œil. C’est comme ça qu’on a en Egypte des associations qui se disent féministes qui ne font que des colloques –sur l’excision par exemple—mais au Sheraton ou au Hilton.

 S : Puisqu’on parle du féminisme en Egypte, qu’est-ce que vous pensez du féminisme islamique ?

SC : C’est un contresens complet. Déjà, l’expression « féminisme islamique », c’est politique, ça introduit un positionnement politique. Dans l’islam, on a deux sources, le Coran et les haddiths. Dans la sourate des femmes, il est dit clairement que « les hommes ont autorité sur les femmes etc ». Et il y a aussi le verset qui autorise les maris à reléguer puis à battre leurs femmes indociles. Mais les « féministes islamiques » ne disent même pas clairement : « il y a dans le Coran des passages qu’il faut réformer »–elles ne font aucune critique portant sur le dogme. Comment voulez-vous vous positionner comme féministe quand la question essentielle du corps des femmes comme champ de bataille n’est pas réglée ?

 S : Il y a tous ces textes—sur l’héritage des femmes, sur leur témoignage etc—qui codifient sans ambiguité l’infériorité des femmes dans l’islam …

SC : Pas seulement ça ; je suis en train d’écrire un texte sur l’islam. Dans les textes fondateurs, Adam est nommé, il a un prénom, Eve n’est jamais nommée. A part Marie, aucune autre femme n’est nommée, ça montre à quel point cette religion ne concerne pas les femmes. Deuxième point important, dans le paradis musulman, il n’y a rien pour les femmes. Tout ce qui leur est promis, c’est de redevenir des épouses fidèles–elles n’existent que pour les hommes, elles sont toujours définies par rapport aux hommes. Dire qu’on est féministe et se définir par rapport aux hommes, ça ne peut pas être du féminisme, c’est une usurpation.

 S : Vous signalez que personne en Egypte ne prenait les Frères musulmans au sérieux lorsqu’ils ont commencé à monter en puissance et que les gouvernements pensaient qu’il suffisait de leur accorder quelques mesures antiféministes pour les faire tenir tranquille. En France, certainEs critiquent le laxisme des hommes politiques, tant de gauche que de droite, sur les droits des femmes face aux exigences des islamistes (heures de piscines séparées, ségrégation des sexes, port de la burqa non sanctionné etc). Pensez-vous qu’il y a des similarités entre ce qui s’est passé en Egypte et ce qui se passe maintenant en France : que pour courtiser les religieux, on jette les femmes sous le bus et on réduit leurs droits ?

SC : En réalité, ce courant-là, les Indigènes de la République, la mouvance autour de Tariq Ramadan, le communautarisme, je le prends de plein fouet comme une trahison à ma propre lutte et au combat contre l’obscurantisme. Dans le passé, la gauche a combattu les obscurantistes, mais aujourd’hui on a une gauche qui leur tend les bras. Dans mon pays, les gens qui sont sur ces positions, on les appelle l’extrême-droite, ici, ce sont les associations anti-racistes—il y a comme un problème. J’ai une expérience de ces associations, et j’y ai été mise à mal : dès qu’il y avait une discussion sur le voile et que je prenais la parole, on me disait : « tais-toi, Sérénade, ce n’est pas le même voile en Egypte qu’ici ». Il faut revenir quand même à la signification du voile—et pourquoi on voile les femmes. On refuse de voir que le voile a une fonction, celle de contrôler des fillettes et les femmes. Il induit dans l’éducation qu’elles ne sont qu’un objet sexuel, qu’elles sont des tentatrices coupables, que leur corps représente le péché et que c’est pour cette raison qu’il faut le cacher. La fillette n’est plus un enfant, elle est objet du désir masculin. Quand on se dit de gauche, quand on se dit pour l’émancipation des femmes, on ne peut pas accepter des associations qui promeuvent le voile.
Il y a des associations, des formations politiques ou des personnalités de gauche comme par exemple Clémentine Autain, qui pensent que pour avoir les voix et le soutien des « Arabes », il suffit de les caresser dans le sens du poil, c’est-à-dire du cultuel ; c’est extrêmement xénophobe parce que ça part du préjugé que tout Arabe est forcément musulman. Il faut savoir qu’en Egypte, 30% des habitants sont athées, ce qui est plus qu’en Algérie. Et ils n’ont aucun droit et toute une législation contre eux, ils risquent la prison, des jugements d’apostasie avec la perte de leurs droits civils et civiques…

 S : Est-ce qu’on peut parler de persécution des athées en Egypte ?

SC : Oui et il y a deux choses qui ont été décidées par le régime: d’une part, mener la lutte contre l’athéisme, de l’autre de mettre en place un Comité pour l’observance de la morale. Ce qui nous rappelle les années 90 où des intellectuels ont été déclarés apostats et on les a divorcés de force. Tout habitant du Moyen-Orient ou du Maghreb n’est pas forcément musulman ou athée, il y a aussi des chrétiens et des juifs. Dans ce contexte, toute personne comme moi subit une injonction : tu es musulmane ou tu n’as plus d’origine, plus d’identité, tu n’existes pas hors du cultuel. Contrairement à ce que prétendent les Indigènes etc, les gens comme moi, les gens qui ont une origine étrangère, notre identité est menacée non pas parce qu’on ne nous reconnaît pas en tant que musulmans—mais au contraire parce qu’on nie notre diversité : je suis une féministe franco-égyptienne, cairote et parisienne. Cette identité multiple est la mienne et je refuse tout appauvrissement de ce que je suis.

 S : Vous tenez des propos très forts sur l’islamisme : « on ne compose par avec les islamistes, ils réclament l’application de la sharia et pour cela, il leur faut tout le pouvoir ». Pourtant en France des voix s’élèvent pour affirmer que l’intégration des populations de culture musulmane dans les démocraties occidentales n’est possible que si celles-ci consentent des « accommodements raisonnables » sur des principes démocratiques fondamentaux, comme l’égalité des sexes—et que c’est indispensable pour la paix sociale. Qu’en pensez-vous ?

SC : C’est le contraire de ce qu’il faut faire pour avoir la paix sociale, c’est de la ségrégation par excellence, parce qu’on va avoir des quartiers musulmans, des restaurants musulmans, des tribunaux musulmans, j’ai même trouvé du PQ musulman ! C’est extrêmement dangereux. L’identité de la France dont on parle tant, c’est une identité multiple, les vagues d’immigration qui se sont succédées se sont intégrées sans pour autant renier l’apport qu’elles ont ajouté –et ça a fonctionné. Moi je suis à cheval entre la première et la deuxième génération, dans cette génération, on est une majorité à avoir pratiqué la mixité : on a fait des mariages mixtes, on a eu des enfants mixtes–et ça a fonctionné. Aujourd’hui, le mouvement s’est inversé : on va vers la séparation, on veut des nourritures spécifiques, des lieux spécifiques, des tribunaux spécifiques etc. A la limite, il faudrait deux parlements, deux municipalités : un pour les musulmans, un pour les autres. Il y a là quelque chose qui relève du clientélisme, de la démagogie et de la paresse intellectuelle. J’ai travaillé à Grigny la Grande borne, à Aulnay-sous-Bois, j’ai travaillé à Bondy, donc je n’ai jamais travaillé dans des quartiers « faciles ». Et j’ai vu la politique des grands frères qui s’est mise en place : on a pris des caïds, des machos, qu’on a nommés et même embauchés en tant qu’éducateurs de rue, sans aucune formation préalable. Ca a donné encore plus de radicalisation, encore plus de machisme dans les cités. Aujourd’hui, par exemple à Aulnay-sous-Bois, dans la rue du quartier des 3000 où je travaillais dans une PMI, il y avait des barbus au début de la rue, des barbus au bout de la rue, qui regardaient, qui zieutaient , qui surveillaient et faisaient des rapports aux familles des filles qui passaient : les filles ne peuvent pas entrer comme ça dans un centre de planification au sein d’une PMI; c’était très difficile de travailler dans ces conditions eu égard au soucis de protection des jeunes femmes . Donc, cette politique, il va falloir vraiment que ça s’arrête. Il va falloir aussi qu’on arrête de promouvoir des Tariq Ramadan, Alain Gresh et compagnie…

 S : Gresh, c’est un homme, donc il y a une logique pro-viriliste à l’œuvre chez lui dans le fait de soutenir des islamistes. Mais Clémentine Autain qui vient du féminisme et qui promeut un homme comme Ramadan dont j’ai lu qu’il soutenait l’excision—à condition que la coupure ne soit pas trop grande?

SC : Frère Tariq n’est pas contre la lapidation non plus, il veut juste un moratoire. Pour avoir la paix sociale, il y a des choses simples à faire, comme de promouvoir des images positives : il y a des personnes qui sont dans l’intégration, dans la laïcité, qui ont réussi et qui peuvent donner de l’espoir aux autres, pourquoi les medias n’en parlent pas au lieu de parler de Tariq Ramadan ? Ca ne demande pas beaucoup de moyens pourtant ; les partis à droite et à gauche sont dans une lamentation et pas dans une construction. Donc arrêtons de pleurer, et essayons de résoudre le problème, car c’est notre problème à toutes et tous.

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