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Billet de blog 6 octobre 2015

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Yanis Varoufakis : La Grèce sans illusions

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La Grèce sans illusions
Yanis Varoufakis

(Ma traduction)

On peut résumer le résultat de l'élection grecque du 20 Septembre en parlant du " plus petit remaniement gouvernemental dans l'histoire de la Grèce". En effet, à quelques exceptions près, les mêmes ministres ont regagné les mêmes bureaux dans le cadre d'un gouvernement soutenu par la même paire (inégale) de partis : le parti de gauche Syriza et le petit parti de  droite des Grecs Indépendants, qui ont eu à peine moins de voix que lors des élections précédentes.

Mais la continuité est trompeuse. Bien que le pourcentage des électeurs qui soutiennent le gouvernement soit relativement le même, 1,6 millions des 6,1 millions de Grecs qui ont voté lors du référendum du 5 juillet contre la poursuite de prêts ligotés par des chaînes d'austérité rigoureuse se sont abstenus. La perte d'un si grand nombre d'électeurs en un peu plus de deux mois reflète le changement dramatique d'humeur de l'électorat - de passionné à morose.

Le changement reflète le mandat que le premier ministre Alexis Tsipras a demandé et obtenu. En Janvier - j'étais alors avec lui - nous avons demandé aux électeurs de soutenir notre détermination à mettre fin aux plans de "sauvetage" qui avaient poussé la Grèce dans un trou noir et l'avaient exploitée comme modèle des politiques d'austérité en Europe. Le gouvernement qui a été élu le 20 Septembre a le mandat inverse: mettre en œuvre un programme de sauvetage, du type le plus toxique.

La nouvelle administration Tsipras le sait. Tsipras sait que son gouvernement patine sur la glace mince d'un programme budgétaire qui ne peut pas réussir et d'un programme de réforme que ses ministres détestent. Alors que les électeurs ont marqué une nette préférence pour lui et son équipe contre l'opposition conservatrice, la mise en œuvre d'un programme d'austérité que l'écrasante majorité des Grecs détestent permettra de tester leur patience.

Le gouvernement Tsipras s'est engagé à appliquer une longue liste de mesures de récession. Trois chiffres soulignent l'avalanche d'impôt qui les attend. Plus de 600.000 agriculteurs seront invités à payer des arriérés d'impôts supplémentaires pour 2014 et à payer d'avance plus de 50% de l'impôt estimatif de l'année suivante. Quelques 700.000 petites entreprises (y compris les travailleurs à bas salaires qui sont obligés de fonctionner en tant que prestataires de services privés) devront pré-payer 100% (oui, vous avez bien lu) des impôts de l'année suivante. Dès l'année prochaine, tous les commerçants feront face à une taxe de 26% dès le premier euro qu'ils gagnent - tout en devant prépayer en 2016 75% de leurs impôts 2017.

En plus de ces hausses d'impôts absurdes (qui comprennent également des augmentations substantielles des taxes de vente), le gouvernement Tsipras a accepté des compressions de retraite et la vente de biens publics. Même les plus réformateurs des Grecs rechignent devant l'ordre du jour imposé par la «Troïka» (la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne).

Tsipras tente d'ériger deux lignes de défense contre le tsunami de la douleur (afin de minimiser le mécontentement populaire). La première ligne consiste à rappeler à la Troïka sa promesse sur l'allégement de la dette, une fois l'ordre du jour de récession pleinement mis en œuvre. La deuxième ligne de défense est la promesse d'un ordre du jour «parallèle» visant à améliorer les pires effets du programme de la Troïka. Mais les deux lignes sont pour le moins poreuses, étant donné les dures réalités de la situation économique de la Grèce.

Il ne fait guère de doute que le gouvernement grec va obtenir un certain allègement de la dette. Une dette insolvable est, d'une façon ou d'une autre, une coupe de cheveux. Mais les créanciers de la Grèce ont déjà fait deux coupes de cheveux, d'abord au printemps 2012, puis en Décembre 2014. Hélas, ces coupes de cheveux, bien que substantielles, ont été trop insuffisantes, trop tardives et trop toxiques sur le plan financier et juridique.

La question qui se pose au gouvernement Tsipras est donc de savoir si la prochaine coupe de cheveux sera plus thérapeutique que la précédente. Pour aider l'économie grecque à recouvrer la santé, l'allégement de la dette doit être à la fois important et constituer un levier pour éliminer la plupart des nouvelles mesures d'austérité, qui permettent simplement un autre tour du cycle d'endettement et de déflation. Plus précisément, la réduction de la dette doit être accompagnée d'une réduction de l'excédent budgétaire primaire à moyen terme: de l'actuel 3,5% du PIB à un maximum de 1,5%. Rien d'autre ne peut permettre à l'économie grecque de récupérer.

Est-ce politiquement possible? Ce n'est pas certain si l'on considère un article du Financial Times, où Klaus Regling, le responsable du MES (le Mécanisme Européen de Stabilité), reprend la mantra de la Troïka selon laquelle la Grèce n'a pas besoin d'un allégement substantiel de la dette. Regling peut certes ne pas être un acteur majeur, mais il ne va jamais à l'encontre de la BCE ou du gouvernement allemand.

Bien sûr le FMI dit à qui veut l'entendre que la dette grecque doit être réduite d'environ un tiers, ou 100 milliards € (112 milliards $). Mais si le passé récent est un guide pour l'avenir proche, on peut s'attendre à ce que le point de vue du FMI ne soit pas suivi.

Tsipras reste donc avec sa seule deuxième ligne de défense: le programme «parallèle». Il s'agit de démontrer à l'électorat que le gouvernement peut combiner capitulation devant la Troïka et un programme de réformes, en luttant contre l'oligarchie afin de libérer des fonds et de diminuer l'impact de l'austérité sur les Grecs les plus faibles.

C'est un projet digne. Si le gouvernement arrive à le réaliser, il peut espérer changer le jeu.
Pour réussir, cependant, le gouvernement devra tuer deux dragons à la fois: l'incompétence de l'administration publique de la Grèce et l'ingéniosité inépuisable d'une oligarchie qui sait comment se défendre - y compris en forgeant des alliances fortes avec la troïka.

https://www.project-syndicate.org/commentary/tsipras-new-administration-maneuvering-room-by-yanis-varoufakis-2015-10#ySLWrogbHjcOR5x8.99

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