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Billet de blog 14 mars 2015

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Sortir de l’euro sans sortir de l’UE ?

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 Pour que vive la Grèce

Nous avons espéré, et continuons  à espérer, que la Grèce sorte du gouffre où elle ne cesse de s’enfoncer. Mais ce pays subit une grave hémorragie de liquidités qui risque de le laisser complètement exsangue.

En face d’elles, les dirigeants européens semblent observer la chute. Certains, tels MM. Schauble et Rajoy,   espèrent l’échec de Syriza, car selon eux l’Europe doit impérativement suivre le seul modèle ordo-libéral de l’Allemagne, en dehors duquel There Is No Alternative.

La plupart des autres dirigeants européens font le gros dos et regardent leurs chaussures bien cirées, attendant patiemment (ça va aller très vite) que le mauvais élève de la classe soit mis au coin de l’austérité ou définitivement chassé. Il pourra être ainsi remplacé par un bon élève semblable à eux, qui va achever le dépeçage de la Grèce, pour le plus grand bonheur des marchés financiers dérégulés et donc autorégulés pour leurs seuls intérêts.

Le gouvernement grec se bat comme il le peut. Confronté à la fuite des capitaux grecs (les « rats » quittent toujours le navire), à une diminution des rentrées fiscales, il rappelle avec justesse que non seulement l’Allemagne a des dettes de guerre envers la Grèce, mais que, en plus, elle a été grandement aidée après la fin de la guerre. Pourquoi un pays qui a vu émerger en son sein une telle barbarie a-t-il été aidé, et pourquoi la Grèce ne le serait-elle pas ? Pourquoi les dettes de la guerre entreprise par l’Allemagne ont-elles été effacées, et pourquoi  les dettes de la guerre économique dont est victime la Grèce ne le sont-elles pas ? La morale et la justice du monde sont branlantes, pour ne pas dire qu’elles sont totalement hors service.

Voilà aujourd’hui l’Allemagne et la Grèce face à face. Comment ne pas frissonner en entendant Manolis Glezos crier que l’Allemagne est en train d’achever en Grèce, par l’économie, la destruction qu’elle avait entreprise par les armes (1) ?

Quelles solutions pour la Grèce?

Jacques Sapir donnera une conférence à Athènes lundi. Probablement va-t-il dérouler son hypothèse du GREXIT qui prend de la force au fur et à mesure que le temps passe, que la situation se tend. 

Dans son article du12 mars 2015, Sapir réfute et déconstruit l’argument selon lequel une dissolution de l’euro affaiblirait l’Union Européenne, voire provoquerait sa dissolution. Il examine les liens tant juridiques que fonctionnels qui existent entre l’UE et l’Euro (l’EMU/UEM), avant de discuter des arguments qui concernent directement l’UE.

Il rappelle d’abord que l’Union Économie et Monétaire (la « zone Euro ») n’est pas l’UE. Un certain nombre de pays n’ont pas adhéré à l’UEM. C’est le cas du Danemark, de la Suède, du Royaume-Uni et, parmi les nouveaux membres de l’UE, de la Bulgarie, de la Croatie, de la République tchèque, de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie. On peut donc parfaitement être membre de l’UE sans l’être de la zone Euro. Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi une sortie individuelle de l’Euro ou une dissolution de la zone Euro, remettraient en cause l’Union Européenne.

Il rappelle également que deux conceptions se sont affrontées dès la constitution de l’UEM.

- La première, défendue par Jacques Delors et des économistes français (Pisani-Ferry, Aglietta) posait que l’ « Union » devait s’accompagner rapidement d’une union fiscale et d’une union sociale.

- La seconde, qui a prévalu, prévoyait un pacte de stabilité avec une surveillance multilatérale assez faible, la tâche de gérer les finances publiques et l’économie devant revenir à chacun des gouvernements.

Les gouvernements se sont opposés à la conception intégratrice de Delors pour diverses raisons. Le gouvernement allemand voyait bien les avantages de l’UEM  (qui le mettait à l’abri des dévaluations de ses partenaires, en garantissant un taux de change plus faible que celui du Deutschmark), mais il ne voulait nullement entrer dans la logique d’une Union de Transferts. La France et l’Italie s’y sont opposées pour des raisons essentiellement politiques.

La crise de 2008 a durci ces positions. L’Allemagne, plus que jamais opposée à une Union de Transferts, a réussi à imposer sa propre logique de gestion par les divers « pactes » de solidarité qui ont été signés depuis 2011 : ainsi, le « six pack », consolidé dans le TSCG signé en 2012,est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Ces traités renforcent les mécanismes d’austérité qui enserrent les économies européennes.

De ce point de vue, dit Sapir,  il faut considérer que seule une sortie de l’UEM, parce qu’elle invaliderait les différents traités, est susceptible de sortir un pays de l’ensemble des traités signés depuis l’origine. Mais, une sortie généralisée (ou une dissolution de l’UEM) mettrait fin aux règles décidant de la politique économique dans les principaux pays de l’UE.

On peut donc considérer que si l’Euro n’est pas l’UE, ce que l’on appelle actuellement « l’euro-austérité », soit l’ensemble des politiques mises en place dans les différents pays, est directement lié à l’Euro. La remise en cause de ce dernier entraînera nécessairement une remise à plat de ces politiques.

Sapir explore ensuite un autre argument qui hante les esprits de ceux qu’il appelle les ex européistes ou euro-réalistes: si l’on dissout l’Euro, ne risque-t-on pas de dissoudre l’Union européenne ? En fait, ces personnes reconnaissent les erreurs qui ont été commises lors de la conception de l’Euro et dans sa mise en œuvre. Mais elles ajoutent que l’éventuel remède risquerait d’être pire que le mal, car une dissolution de l’Euro risquerait d’entrainer celle de l’UE.

Or, précise Sapir, de nombreuses voix, qu’il s’agisse d’économistes ou de sociologues, disent aujourd’hui que c’est l’existence même de l’Euro qui met en péril l’Union européenne et qu’il faudrait abandonner la monnaie unique (Stefan Kawalec et Ernest Pytlarczyk, Brigitte Granville et H-O Henkel, Flassbeck et Lapavitsas Stefano Fassina,Wolfgang Streeck).

Sapir déplore les formules intellectuellement affligeantes telles que « l’Euro c’est la paix sur le continent européen » ou encore « l’Euro, c’est l’Europe ». Ce sont des injures à l’intelligence qui montrent un mépris de l’histoire et de ses réalités. La paix sur le continent européen tout d’abord n’est que partielle. On l’a vu dans les Balkans. Mais, si la paix est bien établie en Europe occidentale, on le doit à la combinaison de deux faits, la dissuasion nucléaire et la réconciliation franco-allemande, elle-même fruit du travail que les Allemands ont réalisé sur leur propre histoire. Rien de tout cela n’est lié, de près ou de loin, à l’Euro. Par ailleurs, n’oublions pas que tous les 27 pays de l’Union européenne ne font pas partie de la zone Euro. Une fois litière faite de ces contrevérités, on peut tenter une analyse dépassionnée de la question de la coopération et du conflit.

Coopération ou coordination ?

L’union monétaire est présentée comme une avancée dans la voie de la coopération entre États européens, ce qu’elle est indiscutablement. Mais elle n’est pas viable dans sa forme actuelle. Les pays de la zone Euro sont très loin de constituer une « zone monétaire optimale », quel que soit le sens que l’on donne à cette notion.

Les divergences structurelles entre les économies qui la composent, qui étaient déjà importantes au départ, se sont en fait accrues depuis 2002-2003. Il faudrait un effort budgétaire considérable de la part des plus riches pour harmoniser cette zone. Le maintien dans l’Euro est une politique qui porte en elle les ingrédients pour un renouveau du conflit franco-allemand mais aussi des divers conflits intra-européens. Au contraire, une sortie de l’Euro, qu’il s’agisse de la France ou de l’Allemagne ou des relations entre l’Allemagne et les autres pays (Grèce, Italie), permettrait de dédramatiser ces relations.

On tend souvent à confondre coordination et coopération. Or, il s’agit bien de deux concepts distincts. L’un indique une volonté consciente des deux parties d’obtenir un résultat commun. L’autre, l’idée que les effets de la politique menée séparément par chaque acteur puissent aboutir à ce résultat commun. La coopération, si elle touche à des questions fondamentales, implique une mise en phase des cycles politiques dans un grand nombre de pays, une occurrence fort rare. Elle n’est réellement possible que pour un petit nombre de pays et implique un niveau d’homogénéité élevé. La coordination repose, quant à elle, sur des présupposés beaucoup plus réduits. Elle suppose qu’un pays réagisse à l’action d’un autre et que, d’action en réaction, à travers des mécanismes largement implicites, puisse se dégager un but commun.

Retrouver la coordination impose de cesser de rêver à une impossible coopération. La volonté seule de coopérer ne suffit pas. Encore faut-il que les circonstances et le rapport de forces s’y prêtent. Or, un pays – l’Allemagne – bénéficie trop de la situation actuelle pour vouloir en changer. 

En réalité, l’obsession de défendre l’Euro est en train de faire éclater l’Union européenne. Ce processus avait été décrit il y a près de 3 ans dans le livre Faut-il sortir de l’Euro ? Il faut prendre la mesure de ce que cela implique. Plus longtemps nous resterons prisonniers de l’Euro et plus violents seront effectivement les soubresauts qui accompagneront la sortie de l’Euro. Le risque d’un nouveau conflit européen devient chaque mois qui passe de plus en plus évident. Si nous voulons préserver la paix en Europe il nous faut dissoudre l’Euro.

(1)  http://www.okeanews.fr/20150310-manolis-glezos-ce-que-lallemagne-nest-pas-arrivee-faire-par-les-armes-elle-la-reussi-par-leuro

(2) http://russeurope.hypotheses.org/3590

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