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Billet de blog 15 juin 2015

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Londres se débarrasse des pauvres et des classes moyennes

Dans un excellent article écrit par Emmanuel Sanséau, et publié dans Bastamag, l'épuration de Londres est décrite au plus près. Le mouvement s'est accéléré après la crise de 2009: l’immobilier londonien a vu sa valeur augmenter de 55%, mais les forces irrésistibles du marché n'ont pas été freinées (c'est un euphémisme) par une volonté politique. Au contraire.

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Dans un excellent article écrit par Emmanuel Sanséau, et publié dans Bastamag, l'épuration de Londres est décrite au plus près. Le mouvement s'est accéléré après la crise de 2009: l’immobilier londonien a vu sa valeur augmenter de 55%, mais les forces irrésistibles du marché n'ont pas été freinées (c'est un euphémisme) par une volonté politique. Au contraire.

Par exemple, l’ancien quartier industriel, Carpenters Estate, comprenant trois austères tours HLM (« council houses ») conçues pour accueillir environ 700 familles, sont presque vides. À Londres, pourtant, environ 250 000 familles sont sur liste d’attente pour des logements sociaux.

« Ça devait être détruit pour les Jeux Olympiques de 2012, assure une voisine en pointant du doigt la tour Dennison, à une centaine de mètres. La plupart des habitants avaient été déplacés mais, allez savoir pourquoi, ça tient toujours debout et presque plus personne n’y habite. »

Dès l’élection de Margaret Thatcher, ces habitats disparurent du giron étatique. Sous les termes du « Right to Buy », « le droit d’acheter » son logement, mesure phare de sa révolte néolibérale, environ deux millions de logements sociaux étaient bradés au secteur privé à partir de 1980. Trente ans plus tard, les Britanniques en paient encore le prix : 5 millions d’entre eux languissent sur des listes d’attente pour décrocher un HLM.

À quelques encablures du lotissement fantôme, la rue commerçante de Stratford voit s’ébrouer une épaisse foule de passants multicolores. Ici, 27% des enfants grandissent en dessous du seuil officiel de pauvreté. C’est là que Hannah Caller pose son formulaire de pétition à l’attention du maire, Sir Robin Wales, et dégaine son micro branché à deux enceintes sur roulettes. « Les autorités de Newham expulsent des familles entières de Londres, s’écrie-t-elle. Elles sont envoyées de force à Birmingham, à Manchester. Arrêtons le nettoyage social de Stratford. Repeuplons le Carpenters Estate. »

La campagne Focus E15 co-dirigée par Hannah s’est formée en 2013, après l’expulsion de jeunes mères célibataires de leurs logements sociaux. À elles seules, elles sont parvenues à attirer l’attention de la presse nationale sur les pratiques, pour le moins brutales, de la mairie de Newham.

Toutefois, le Carpenters Estate n’est que le triste exemple d’un nettoyage social à la mesure de la capitale. Sous prétexte de « régénérer » des quartiers, les autorités locales de Londres, prises à la gorge par la fièvre austéritaire des conservateurs depuis 2010, vendent des blocs entiers de logements sociaux à des développeurs immobiliers privés. Tandis que les premières déplacent des centaines d’occupants loin du centre-ville ou en province, les seconds construisent de coquets appartements là ou le prix du mètre carré n’est pas encore trop exorbitant. Dans le quartier populaire de Elephant and Castle, par exemple, 3 000 logements sociaux ont été détruits. Le développeur immobilier LendLease, propriété du millionnaire australien Steve McCann, les a remplacés par 2 535 appartements «offrant un nouveau niveau de sophistication et de luxe informel ».

Au dernières nouvelles, les trois tours HLM du Carpenters Estate devraient être achetées par la prestigieuse University College London. « Les familles les plus touchées sont des mères célibataires lourdement dépendantes des allocations sociales, explique Hannah Caller. Les municipalités les forcent à déménager en province ou en périphérie au prétexte qu’il n’y a pas assez de place ici. Si elles refusent, les autorités considèrent qu’elles n’ont plus la responsabilité de les loger [en vertu d’une loi votée en 2011] et sont libres de les expulser. »

En avril dernier, le quotidien The Independent révélait qu’environ 50 000 familles ont ainsi été déplacées depuis 2011, dont 2 700 en dehors de Londres ces deux dernières années. Lorsqu’en janvier dernier, le cabinet Savills livrait son rapport sur le parc immobilier londonien au Financial Times, ses lecteurs ont sûrement avalé leur thé de travers : sa valeur atteint près de 1 500 milliards de livres (2073 milliards d’euros). C’est un quart de tout le marché immobilier britannique, plus que l’immobilier du pays de Galles, de l’Écosse et de l’Irlande du Nord réunis.

De fait, à la mort silencieuse du logement social se conjugue l’incontrôlable spirale du marché du logement privé. L’année dernière, son prix moyen enregistrait une hausse de près de 20%. Le problème ne touche pas seulement les habitants de logements sociaux. Même les Londoniens qui ont des emplois bien rémunérés sont progressivement exclus par des logements hors de prix. Il y a un fossé croissant entre les propriétaires, qui laissent dormir leur capital immobilier, et les locataires qui luttent pour payer leurs loyers.

Alors que le royaume voue un culte à l’accès à la propriété, les locataires londoniens déboursent en moyenne la moitié de leurs revenus dans leur logement.

Si la perspective d’un encadrement des loyers est enterrée depuis une trentaine d’années, le maire de Londres, Boris Johnson, a tout de même lancé en 2008 un projet de construction de 50 000 logements dits abordables – fixés à 80% des prix du marché, contre environ 50% pour les logements sociaux. Seulement, l’aspect «abordable» a vite été indexé sur les standards astronomiques de la capitale, d’autant que le budget de subvention a été amputé de moitié en 2011. Même la municipalité conservatrice de Westminster, l’une des plus riches de la capitale, a signalé que ses résidents de classe moyenne « ne pourront plus se permettre d’y vivre, ou seront perpétuellement dépendants d’aides au logement.» 60 000 jeunes ont fait leurs bagages pour la province ces deux dernières années.

Il y a aussi l'impact des réformes sociales. Comme le gouvernement réduit le montant des allocations et des aides au logement, les gens ne parviennent plus à payer leurs loyers et sont forcés de quitter Londres. De fait, David Cameron s’est distingué comme un chef de chantier radical de la démolition sociale : il s’apprête à supprimer (sous condition) les aides au logement des jeunes chômeurs et à amputer les dépenses sociales de 12 milliards de livres d’ici 2018.

En parallèle, 560 000 ménages londoniens sont frappés par la précarité énergétique – condamnés au dilemme du « eat or heat » (manger ou se chauffer) – dont un quart dépensent 20% de leurs revenus en énergie en raison de logements mal isolés.

« Je suis en faveur des riches. » Voilà ce que le maire de Londres déclarait courageusement à la BBC quelques semaines avant les élections législatives de mai dernier. La capitale compte plus de milliardaires qu’aucune autre ville au monde – une petite centaine, et environ 340 000 autres millionnaires. Pendant ce temps, la construction de HLM s’effondre : Londres n’y consacre que 5% de son budget réservé au logement.

Eu égard à une telle inflation immobilière, investir dans la capitale est bien plus rentable qu’un portefeuille d’actions à la City. En janvier dernier, l’agence Knight Frank assurait, dans une publicité pour ses nouveaux appartements de luxe, que le retour sur investissement londonien est « meilleur que l’or et le FTSE100 [indice boursier des grandes entreprises britanniques]. Ainsi, dans le quartier de Thameside, 80% des nouveaux logements sont détenus par des investisseurs étrangers. On estime que 22 000 de ces propriétés restent vides, comme les trois tours du Carpenters Estate, telles des actions en bourse attendant d’être revendues à prix d’or.

http://www.bastamag.net/A-Londres-l-epuration-sociale-touche-tous-les-non-riches

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