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Billet de blog 23 septembre 2015

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Grèce: la brèche est toujours ouverte

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Je partage un texte de Thomas Fazi que je viens de traduire. Adressé à nous tous, particulièrement aux révolutionnaires dans leur fauteuil (ou en pantoufles), il défend d'une certaine façon Tsipras, tout en définissant bien  l'étroitesse de la porte grecque (et, plus généralement, de la porte gauche). 

Je précise, comme toujours, que le fait de partager un texte ne signifie pas qu'on l'approuve totalement, mais qu'il apporte des éléments de réflexion intéressants.

Grèce: la brèche reste ouverte

THOMAS FAZI

"Quels que soient les défauts de SYRIZA, ils reflètent les faiblesses de toute la gauche européenne, de tous et de chacun d'entre nous."

Le 20 Septembre, en dépit d'un taux de participation faible (et parfaitement compréhensible), Alexis Tsipras a remporté une nouvelle victoire avec une assez bonne majorité, puis il a annoncé ses plans pour une coalition SYRIZA-ANEL 2.0. Contrairement à la première fois, cependant, il gouvernera avec le soutien d'un parti beaucoup plus uni (pour l'instant), après la rupture et le départ de la minorité de gauche anti-euro vers Unité populaire, qui a échoué à remporter un seul siège au parlement.

La victoire de SYRIZA est, bien sûr, une excellente nouvelle: la survie du seul gouvernement de gauche et anti-néolibéral sur le continent est un événement extrêmement important, vu les nombreuses tentatives faites par l'oligarchie politico-financière européenne pour le renverser, y compris par une stratégie brutale d'asphyxie financière (dont la BCE devra un jour répondre, à la fois juridiquement et politiquement). Cela dit, il est inutile de nier que la victoire est amère: nous savons tous que la marge de manœuvre du gouvernement est sévèrement limitée par les nombreuses lignes rouges du troisième protocole de Mémorandum.

Ces élections ont eu lieu dans ce qui est de fait un régime de «souveraineté limitée» - condition qui s'applique plus ou moins à tous les pays de l'UEM. Cela signifie que l'enjeu ne sera pas la poursuite ou non de l'austérité (comme SYRIZA l'avait, un peu naïvement, affirmé lors des élections de janvier), mais simplement le choix des méthodes d'administration et de distribution des mesures d'austérité à travers la société. Dans le même temps, il serait absurde (et plutôt infantile dans le sens de Lénine) de conclure - comme beaucoup de gens de la gauche européenne l'ont fait au cours des dernières semaines - que les élections étaient insignifiantes, qu'il n'importait pas que ce soit SYRIZA plutôt que la droite conservatrice du pays qui gagne, puisque «le sort de la Grèce est déjà écrit ailleurs» ( Bruxelles, Francfort et Berlin).

Tout d'abord, il serait naïf de croire que le sort de la Grèce est vraiment gravé dans la pierre du protocole d'accord. Le protocole - comme tout accord politique - est aussi fort que le statu quo politico-économique qui le soutient. Si le statu quo changeait, la légitimité du protocole d'accord serait modifiée. Dois-je rappeler à tous ceux qui imaginent une «fin de l'histoire», un scénario Fukuyama-esque pour la Grèce et pour l'Europe, que ces événements dramatiques font partie d'un processus historique plus large, dans lequel il n'y a pas de raccourcis faciles ("exit, dévaluation, le bonheur après »), et dont la fin n'a pas encore été écrite? Un processus dans lequel nous sommes - pourrions / devrions être - des participants actifs, et pas seulement des spectateurs?

Deuxièmement, parce qu'il existe une certaine marge de manœuvre, bien que très limitée. Au cours des négociations avec la Troïka, Tsipras (avec Varoufakis, dans les premiers stades de la négociation) a combattu résolument pour obtenir une redistribution de la charge de l'austérité des classes moyennes-inférieures aux classes supérieures. Bien sûr, la Troïka n'a guère répondu à ses exigences, mais - contrairement au duo PASOK-Nouvelle Démocratie - il a combattu, et nous pouvons nous attendre à ce qu'il continue à le faire tout au long de ce second mandat.

Cela ne signifie pas que, dans le contexte européen actuel, on doive différencier la notion dangereuse d'«austérité de gauche» par opposition à «l'austérité de droite». La logique du protocole d'accord est macroéconomiquement insoutenable et vouée à l'échec à moyen terme, ce dont Tsipras est sans doute bien conscient. Ceci doit être signifié le plus clairement possible. Dans le même temps, il serait intellectuellement malhonnête de prétendre que, dans le court terme, il n'y a tout simplement aucun moyen d'atténuer les souffrances des couches les plus faibles de la population grecque, même dans le cadre du Mémorandum. C'est tout simplement faux. En d'autres termes, cela fait une grosse différence que le protocole soit mis en œuvre par SYRIZA ou par Nouvelle Démocratie. Un point dont les Grecs - bien plus que ceux de la gauche non-grecque, apparemment - semblent être bien conscients.

Dois-je rappeler aux révolutionnaires dans leur fauteuil que le gouvernement Tsipras a mené une bataille incroyablement féroce et brutale contre certains des États et des institutions les plus puissants dans le monde, et qu'il a été totalement isolé : la social-démocratie européenne a regardé de l'autre côté, sans soutenir le gouvernement grec, les mouvements sociaux ont été incapables d'influencer le processus de manière significative, tout cela dans des conditions de pression politique et psychologique ahurissantes (The Guardian a écrit que lors du Conseil du 12 Juillet européen de 26 heures, Tsipras a été soumis à un "waterboarding mental" dans les réunions à huis clos avec Angela Merkel, Donald Tusk et François Hollande). Malgré cela, le Premier ministre grec a gardé ses nerfs, de la dignité et de la détermination, permettant au gouvernement d'une petite, faible (quoique fière) nation, élu sur la base d'une plate-forme social-démocrate très modérée, d'obtenir le plus par des moyens diplomatiques, compte tenu des circonstances historiques (ie, le niveau de la lutte de classe en Grèce et, plus important encore, les relations de pouvoir brutales sur lesquelles l'ordre européen actuel repose). En d'autres termes, quels que soient les défauts de SYRIZA, ils reflètent les faiblesses de toute la gauche européenne, de tous et de chacun d'entre nous.

Est-ce que cela signifie qu'il n'y avait pas d'alternative à un troisième protocole? Non, mais nous devons être clairs sur le fait que la seule alternative possible était une sortie de la Grèce de la zone euro (l'argument selon lequel il existait une «troisième voie», rester dans l'UEM tout en émettant une monnaie parallèle est pour le mieux très faible). À la fin, cependant, Tsipras a exclu un retour à la drachme. Était-ce une erreur, comme beaucoup à gauche - y compris de nombreux anciens camarades de Tsipras - le disent ? Je ne suis pas d'accord. Tsipras n'avait pas le mandat de sortir la Grèce de l'euro, ni celui de s'accrocher à l'euro à tout prix (à Dieu ne plaise). En fait, étant donné les circonstances, aucune des conditions qui auraient été nécessaires pour atténuer les effets désastreux d'une sortie n'était présente. Au niveau national, il n'y avait pas un niveau suffisant de mobilisation et la radicalisation de la population active et de la population générale en regard des conséquences nécessairement traumatiques de la sortie; il existait un gouffre entre le succès électoral de SYRIZA et son soutien populaire; le tissu productif grec est faible; le compte courant du pays est en déficit chronique, etc. Au niveau international , la Chine, la Russie ou les Etats-Unis n'ont pas montré la volonté d'offrir un soutien financier.

Tsipras a admis sa défaite face à la troïka, en reconnaissant que les termes du nouveau protocole etaient très durs, mais il a aussi noté que l'alternative - solitaire sortie de l'UEM ou, pire encore, l'expulsion par Schäuble - aurait été bien pire. Comme le politologue italien Michele Nobile l'a écrit, «les limites du gouvernement Tsipras sont les limites de l'état actuel de la lutte de classes, non seulement en Grèce, mais dans toute l'Europe».

Mais quoi qu'en disent les appels de colère pour le Grexit provenant de tous les coins de la gauche européenne, la responsabilité de changer l'équilibre du pouvoir en Grèce et en Europe - entre les classes ainsi que entre les pays - ne peut pas reposer uniquement sur les épaules de Tsipras. L'écrivain grec Alex Andreou a commenté: Révélateur du paysage politique en Europe est le fait que les rêves de socialisme de chacun semblaient reposer sur les épaules du jeune Premier ministre d'un petit pays. Ce dernier semblait porter la fervente croyance irrationnelle, presque évangélique, qu'un petit pays, noyé dans la dette, à bout de liquidités, mettrait en quelque sorte en déroute le capitalisme mondial, armé seulement de bâtons et de pierres.

C'est d'autant plus vrai quand on prend en compte - comme Nobile le souligne - que le problème de l'équilibre des pouvoirs en Europe est compliqué par une autre question. D'un côté, la régression post-démocratique des régimes politiques nationaux; de l'autre, la conception institutionnelle de l'Union européenne et de l'union monétaire, qui constitutionnalisent la post-démocratie à un niveau beaucoup plus élevé. Cela nous confronte à une situation sans précédent, qui redouble les défis posés par une victoire électorale de gauche: non seulement la lutte contre l'appareil national de l'Etat capitaliste, mais aussi celle contre un appareil de niveau supérieur, qui intègre le niveau inférieur dans un système supranational ou interétatique.

Je voudrais ajouter que ce système supranational ou interétatique s'étend au-delà des frontières de l'UE / UEM. Croire que la sortie de l'UE, de l'UEM ou des deux est suffisante pour échapper à la fureur de l'oligarchie prédatrice européenne et internationale est un leurre. Pour l'establishment, il est crucial de prouver qu'aucune alternative au néolibéralisme ne peut exister ni dans la zone euro, ni hors d'elle.

Pour conclure, je pense que nous devrions tous être reconnaissants à SYRIZA d'avoir relancé un nouveau cycle politique en Europe (que l'élection de Jeremy Corbyn au Parti travailliste au Royaume-Uni illustre aussi), mais nous devrions aussi être conscients que SYRIZA ne peut rien faire tout seul. C'est seulement au moyen d'une lutte de classe pan-européenne résolue, combattant à la fois la base et le niveau institutionnel / gouvernemental et coordonné au niveau continental - les niveaux auxquels le capital fonctionne -, que nous pouvons espérer renverser le paradigme économique. Aujourd'hui plus que jamais, il est crucial de comprendre que les défis posés par la crise et par la post-démocratie ne peuvent être résolus dans les limites des Etats membres individuels (à l'intérieur ou à l'extérieur de l'euro); ils doivent nécessairement être abordés dans le contexte d'un cadre transnational de transformation (à l'intérieur ou à l'extérieur de l'euro). Toute tentative restant en deçà de cette limite est presque à coup sûr vouée à l'échec.


https://www.opendemocracy.net/can-europe-make-it/thomas-fazi/greece-breach-remains-open

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