L’eau du temps des fleurs.
La Grosse-Boule-Là-Haut le chauffait. Elle dardait impitoyablement ses rayons sur son dos, sur son ventre, elle versait sur lui, du feu. Elle le crucifiait sur la pierre plate, enserrée comme un trésor, dans les racines de la yeuse. Elle ne s’était pas beaucoup déplacée depuis qu’il avait choisi ce trône. Il surveillait son parcours et il savait qu’il avait encore du temps : elle n’avait pas atteint le sommet du grand pin. Sa gorge palpitait. Une ombre ! Il la sentit plus qu’il ne la vit. Immédiatement, la température changea. En un éclair, il fut à l’abri dans une anfractuosité de la pierre. Ce n’était pas pour rien qu’il s’appelait Lasco-le-vif. Ses petits yeux ronds ne perdaient pas une miette de ce qui se passait. Des gouttes énormes, lourdes comme des crachats tombaient. Elles assombrissaient peu à peu, le gris terne du calcaire. Bientôt, ce fut un déluge. Il avait déjà assisté plusieurs fois à cette métamorphose incompréhensible : le chaud faisant place au froid et le sec au mouillé. C’était son deuxième temps des fleurs.
Quand il sortit, la Grosse-Boule-Là-Haut était à mi-chemin. Il retourna sur la pierre plate qui fumait et contempla le monde du Patus. Une odeur de terre mouillée chatouilla ses narines, des senteurs multiples montaient depuis le grand champ qui ondoyait devant lui. Il n’y était jamais allé. C’était un territoire étrange, changeant, trop grand , trop vaste pour lui. Il aimait les lieux dégagés, secs, pierreux : Les chemins blancs, de thym rose, d’asphodèles, et de myriades d’aphyllantes. Seul Bouis-Le-Gris s’y sentait à l’aise. Il y avait son terrier et déjà deux fois, il en avait été chassé par les deux-jambes et leur drôle de monstre en fer qui éventrait la terre. Lui, personne ne venait le déranger. Il en concevait une grande supériorité et vu son expérience, il regardait avec un certain mépris tout ce qui n’était pas lézard. Il se rappellerait le jour où Bouis-Le-Gris, mourant de soif, s’était ridiculisé. De son pas sautillant, il s’était approché de la grande fontaine que les deux-jambes avaient disposée au bord du champ et qu’ils étaient les seuls à savoir faire fonctionner, il en avait fait le tour, plusieurs fois mais rien ! Lasco-Le-Vif observait le temps de l’eau avant que tout ne disparaisse. Il savait que les grands miroirs, sur les chemins, dans lesquels, les arbres, tout le monde d’en haut, se reflétaient à l’envers allaient bientôt disparaître. Il savait ! Les abeilles, les guêpes dansaient une ronde effrénée et désordonnée au dessus de leur masse liquide. Lasco-Le-Vif regarda la Grosse-Boule-Là-Haut. Elle avait dépassé le grand pin et elle s’était presque posée sur l’immense fleur en fer que les deux-jambes avaient construite. Le monde était compliqué et Lasco-Le-Vif ne comprenait pas tout. Cette grande fleur, bien plus grande qu’une fleur de pissenlit l’effrayait. Elle tournait quand le vent soufflait de derrière la grande montagne. Elle criait avec une voix terrible, monstrueuse. Tous les habitants de l’herbe se cachaient alors. Seule Babara, la buse, semblait ne pas la craindre. Elle tournoyait autour, de son vol lent et méticuleux. Elle brassait l’air comme un soufflet et elle se posait sur l’immense corolle. De la haut, elle guettait de son œil cruel, le monde d’en bas. Quand elle s’élançait dans le vide, déployant ses ailes, faisant planer des ombres de mort, le Patus retenait son souffle. Lasco-Le-Vif voulut profiter des derniers rayons de la Grosse-Boule-La-Haut. Non ce n’était pas le cri de la grande fleur, c’était autre chose. Lasco-Le-Vif n’eut pas le temps de se mettre à l’abri ; Deux griffes le plaquèrent sur la pierre et un bec crochu se planta dans son ventre et le déchiqueta. Tout à jamais prit fin.
Monique Arcaix