PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS....
Après un été sans avoir bougé de la maison , une envie de quelques jours ailleurs m’est tombée dessus, doucement, comme les feuilles de ma vigne vierge que le vent détache et fait virevolter avant de les coucher sur ma terrasse. Quelques jours, deux ou trois, feront l’affaire, pas besoin d’aller très loin. La Lozère reste pour moi un pays de vacances même si je sais combien la vie de ses habitants y est rude. Pendant des années, j’y allais camper, appréciant l’authenticité de ce territoire, ses marchés, ses produits, la solitude, les grands bois sombres comme autour de Saugues où le souvenir de la Bête du Gévaudan est toujours présent. D’ailleurs ce fantasme, sans cesse mis en avant par les offices de tourisme de multiples façons notamment par les statues de la Bête érigées sur les places de Marvejols, du Malzieu, d’Aumont n’est-il pas sur le point d’être remplacé aujourd’hui par la peur du vrai loup qui lui, s’attaquerait aux troupeaux de brebis ? La Lozère, c’est un pays où le tourisme existe mais raisonnablement comparé à la dysneylandisation actuelle du monde,un pays qui pourtant n’est pas facile à vivre au quotidien. La population de toute la Lozère est inférieure à cent mille habitants et ses « villes » sont de simples bourgades ce qui entraîne un isolement rendu encore plus difficile par la rigueur du climat. Pour aller au cinéma, il ne faut pas craindre de faire des kilomètres…. La dureté de la vie pour cette population essentiellement rurale est terrible ; encore plus dure pour des femmes de paysans. Je me souviens de Janine qui me racontait combien sa vie avait été rude il y a quarante ans lorsqu’elle s’était mariée . « Tu ne peux pas savoir comment il pouvait être difficile de faire comprendre à un homme qu’on ne voulait pas du tas de fumier devant la porte mais des fleurs… » Et le déplacement du tas de quelques mètres avait été une vraie conquête.
Une fois passé le viaduc de Millau, la Lozère méridionale, j’aime ce moment où le causse laisse la place à la forêt de feuillus. Les fermes isolées, au lourd linteau de granite que les Incas n’auraient pas critiqué, austères sous leur toit de lauzes grises, semblent perdues dans l’immense vallonnement vert des prés où les vaches Aubrac aux yeux délicatement maquillés de noir paissent tranquillement. Arrivée à Aumont –Aubrac, pas besoin de lire la pancarte vous informant de l’altitude pour sentir combien l’air est vivifiant et frais. On entre dans un nouveau monde.
Sur place, les journaux locaux avaient relayé l’info : après deux ou trois années de pénitence, de nouveau, il « sortait » une abondance de champignons. Les pluies, le soleil de suite derrière, les températures douces, tout était propice à la sortie de ces champignons. Que voilà une destination toute trouvée : promenade et éventuellement cueillette. Un panier au bras, un petit foulard sur la tête, me voilà devenue un chaperon rouge moderne arpentant les chemins qui s’enfoncent dans la voûte des bois ou qui suivent les barrières de fils de fer barbelés qui clôturent les prés. C’est vrai que l’année était exceptionnelle. Pas besoin de se baisser énormément ! Les coulemelles déployaient ostensiblement leur parapluie à borrowers et étaient visibles même depuis le bord de la route. Les rosés des prés ponctuaient l’herbe de leur rotondité blanche comme de gros cailloux et fabriquaient d’étranges chemins. Le plus merveilleux, ce fut, le long d’un talus tout moussu et humide, une procession d’amanites tue-mouches d’un rouge éclatant. Le chapeau des plus jeunes soulevant timidement l’humus sans le perforer, comme si on assistait en direct à leur naissance, à leur éclosion. Dans certains pays ces champignons sont consommés après en avoir enlevé la peau qui contient des produits hallucinogènes. On dit même que, ailleurs, certains ne consommeraient que cette peau ! Tous les goûts sont dans la nature. Je me suis contentée, quant à moi, de les prendre en photos. Un peu plus loin, d’autres amanites avaient trouvé, elles, des assassins qui leur avaient carrément coupé la tête. Elles gisaient la face retournée, hachées, éparpillées à coup de bâton. Au bout d’un chemin, j’eus la surprise de tomber nez à nez avec plusieurs campings-cars garés. J’ai pensé, je ne sais pourquoi à un campement de Roms. Mais non, ce n’était pas le cas. Le soir même, dans la Lozère Nouvelle, le journal hebdomadaire du coin, je lisais que l’on avait constaté une véritable ruée des « champignonneurs », qu’il en venait de partout, qu’ils s’installaient sur place pour cuisiner et stocker dans leurs camping-cars les précieux bolets, qu’il leur arrivait même de se battre entre eux (certains revendiquant une priorité sur le lieu), ou bien avec les propriétaires des champs ou des bois, ces derniers étant apparemment excédés par les comportements de ces nouveaux squatters, conquérants illicites d’un espace qui ne leur appartient pas. Des tours-opérateurs organiseraient même des « séjours-cueillettes », lâchant ainsi de véritables « hordes » sur zone. La gendarmerie serait mobilisée, mais surtout pour retrouver tous ceux qui se perdaient dans les bois. Rumeur ou pas ? Le lendemain, à Saint Chély d’Apcher mais aussi au Malzieu, j’ai pu voir des ramasseurs-cueilleurs modernes en 4/4 flambants neufs déverser leur production par caisses entières auprès des boutiques qui leur rachètent l’intégralité de leur collecte. Les girolles, les coulemelles, les mousserons, chaque espèce dans sa caisse, bien rangée. Ces points d’achat de champignons se sont peu à peu installés, constituant ainsi de véritables points intermédiaires de revente et de distribution. Au milieu de tout ça, quelques autochtones se présentaient avec un simple petit panier pour vendre aussi leur cueillette, bien modeste en comparaison. Deux visions du monde : d’un côté, ce qui s’apparente à une sorte d’exploitation avide du milieu naturel et de l’autre, une économie vivrière qui a du mal à exister. Je me suis dit que la prochaine fois, j’irai en Lozère à une autre période mais il paraît que c’est pareil au moment des myrtilles, des framboises, des jonquilles...
Promenons nous dedans le bois tant que le loup il n’y est Pas !