L’armée des ombres, le film de Melville, est passé jeudi soir. Je l’ai déjà vu cinq ou six fois et chaque fois je redécouvre quelque chose que j’avais oublié. Cette fois ci pourtant, je m’étais calée dans mon fauteuil et, comme l'enfant qui connaît par cœur l'histoire mais qui souhaite qu'on la lui raconte encore, j’attendais avec un impatient plaisir, la scène d’évasion , dans le long couloir de la prison et les silences immenses qui habitent de nombreuses séquences. Je me souvenais des regards échangés entre Mathilde ( Simone Signoret) et Gerbier ( Lino Ventura), du refus pathétique du Bison d’exécuter Mathilde, des Scènes de marché noir, de la police française, qui un couloir de gare en arrière, soumission oblige, arrêtait de la même façon que la police allemande, l’exécution à la Puig Antich du traître, le courage du petit peuple, incarné magnifiquement par Reggiani. Il n’avait pas eu de long texte à apprendre et pourtant quel rôle, quelle tension entre lui et Ventura.
Mais ce qui m’a interpellé cette fois ci c’est le personnage de Jean- François joué par Jean- pierre Cassel. Je me souvenais de son recrutement aléatoire dans la résistance, par l’intermédiaire de Félix qui était son ami. Il avait préféré, son goût de l’action aidant, se transformer en porteur de valise et terroriste plutôt que de rester avec la belle fille qu’il venait de rencontrer. Rien à voir pourtant avec l’engagement d’un Lucien Lacombe. La belle veste d’aviateur qu'il exhibait était alors le seul signe visible d’engagement. Jean- François était le frère de Saint Luc joué par Paul Meurisse. Jean François adorait ce frère qui aimait les livres, qui jouait de la musique mais méprisait affectueusement son côté rêveur, non engagé, plus préoccupé qu'il semblait par ses problèmes de confort et d' alimentation. Le personnage de Jean François est oublié dans la conclusion du film. On a tendance à le zapper parce qu’il ne fait pas partie de la liste officielle des héros. Il m’a fait penser au Romain Gary de « la promesse de l’aube », à son code de l’honneur exigeant. Pour prévenir son ami Félix qui est enfermé dans les geôles de la gestapo, Jean-François échafaude en secret un plan : il écrit deux lettres, une adressée à Mathilde et ses compagnons leur faisant croire à sa défection et à son abandon de l’action par manque de courage et une autre anonyme pour la gestapo dans laquelle il se dénonce. Après avoir subi lui aussi la torture, et devant les souffrances de Félix, il lui donne son unique capsule de cyanure. C'est le Commandant allemand, en militaire incompréhensif qui devant le mutisme de Jean François attire son attention sur l’anonymat, sur le fait qu’il allait mourir et que personne ne saurait jamais qui il était et ce qu’il avait fait. Un soldat accepte de mourir mais ne pas avoir une épitaphe glorieuse ,une médaille, une reconnaissance de l'action et du dévouement accompli est difficile à admettre. Tous les héros du film finiront exécutés même Saint Luc (Jardie). Jardie avait déjà été honoré et son engagement dans la résistance était la suite logique de sa vie d’avant guerre, il était le patron. Il avait pris des risques mais il était reconnu comme le patron, il avait un pouvoir de vie et de mort mais Jean François avec son côté dandy, son orgueil immense, accepte de disparaître dans l’anonymat le plus total, de n’être même pas une ombre, pour satisfaire son sens de l’honneur. Lui qui disait se sentir plus proche de Mathilde que de son frère n’obéissait à aucune idéologie, il n’appartenait à aucun parti , il n’était pas gaulliste, il voulait simplement être en accord avec lui-même. C’était lui la référence. Albert Jacquard disait un jour où il était seul dans le désert « pourquoi est ce beau, je suis seul à voir que c'est beau ? C'est beau parce que je suis là... » Si chaque individu pouvait avoir une conscience aussi pointue de son engagement que celle de Jean- François.