Il est des livres qui sont des rencontres exceptionnelles. Désormais dans la pile de livres, qui encombre mon chevet, pile qui s’effondre périodiquement comme un glissement de terrain , que je recompose aléatoirement, la brassant comme un jeu de cartes, mettant anarchiquement celui ci par dessus, celui là par dessous, et inversement ,cela pour respecter une égalité de traitement, il est désormais, une strate supplémentaire. C’est le livre de Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie. Pour moi qui aime les livres de voyage et qui connaissait un peu le passé de grand voyageur de Tesson, ce livre allait, me semblait-il, m’entraîner dans un voyage sans avoir à sortir de chez moi.
Première surprise, en feuilletant les premières pages, deux « cartes » plus exactement deux croquis. J’ai pensé au dessin du Mordor dans Tolkien ou à celui dela Contrée. Aucune indication précise pour vous amener quelque part. Peut-être que le but du livre n’était pas le voyage.
C’est le journal quotidien tenu par Tesson de Février à Juillet 2010. Période pendant laquelle, il décide de vivre en ermite sur les bords du lac Baïkal , sorte de mer intérieure russe, perdue dans des océans de forêts, par des températures allant jusqu’à –30°C, dans une cabane de4 mètres sur 3, à plus de cent kilomètres du premier village.
« J’y ai emporté des livres, des cigares et de la vodka dit-il. Le reste (l’espace, le silence et la solitude) était déjà là ».
J’ai lu le livre sans interruption, toute une nuit, entraînée par le défilé inexorable des jours. Cela faisait longtemps que je n’avais plus ressenti cette soif de lire.
Outre le plaisir immense, éprouvé à la lecture( Tesson est poète,il sait nous faire partager son Baïkal : écouter la glace qui craque, la tempête, les éléments déchaînés, croiser le regard d’un phoque qui replonge dans ses profondeurs persuadé de la supériorité de son monde sur celui d’en haut, suivre le vol des canards dont il regarde les démonstrations aériennes ,assis à sa table ,comme un juge de patinage artistique, prêt à lever sa pancarte, apprivoiser les mésanges ses amies du petit jour, éviter les ours. Même les insectes sont ses amis et sont regardés avec le même amour que la forêt, ses chiens, l'eau des torrents et les nuages. « L’amour vrai ne serait-il pas d’aimer ce qui nous est irrémédiablement différent ; il y a dans l’humanisme un parfum de corporatisme reposant sur l’impératif d’aimer ce qui nous ressemble….Aimer un papou, un enfant ou son voisin rien que de très facile. Mais une éponge ! un lichen !Voilà l‘ardu : éprouver une infinie tendresse pour la fourmi qui restaure sa cité. »
Le temps n’existe plus comme angoissant dans son défilé inexorable mais comme plus « trépidant que l’abattage des kilomètres »).
Après cette lecture, J’ai ressenti une double injustice : Pour la première fois de ma vie ,j’ai regretté de ne pas être un homme . L’abattage du bois pendant des heures malgré la technologie moderne, me paraît complètement impossible. Et la peur des ours ! « Les russes sont formels : en cas de rencontre , ne pas s’enfuir, ne pas regarder la bête, ne pas faire de mouvements brusques, se retirer sur la pointe des pieds en murmurant des choses rassurantes. ». Est -ce -qu’il a existé des ermites femmes. ? Quelques femmes sont présentes et pas des moindres. Une d’elles a chassé les loups trop proches avec des galets. Mais le monde du Baïkal reste essentiellement lorsqu’il est habité, un monde d’hommes.
Si la pêche comme moyen d’améliorer l’ordinaire, la vodka à doses gargantuesques, les cigares ne me font pas rêver, j’ai éprouvé une jalousie terrible devant tout ce temps consacré à lire des tonnes de livres. Tesson est parti dans sa cabane Sibérienne avec une centaine de livres : Robinson Crusoé bien sûr mais aussi, le pavillon d’or de Mishima, la promesse de l’aube de Gary, l’histoire de ma vie de Casanova, vie de Rancé de Chateaubriand…..etc etc
« J’ai quitté un caveau des villes et vécu six mois dans l’église des taïgas. »