monique arcaix
Abonné·e de Mediapart

28 Billets

4 Éditions

Billet de blog 26 mai 2023

monique arcaix
Abonné·e de Mediapart

Cannes

Pourquoi les choses ne changent -elles pas ? Il y a dix ans , j' avais écrit ce petit texte d'énervement ; Je suis toujours autant énervée. ........................................................................

monique arcaix
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Pourquoi les choses ne changent -elles pas ? Il y a dix ans , j' avais écrit ce petit texte d'énervement ; Je suis toujours autant énervée.
........................................................................
     Cannes

L’ai-je bien monté ?

Mais pour qui tu te prends ? Tu parles d’une entrée !

…………………………………………………………

La Croisette contemplait toujours la Méditerranée. Mais les cameramen, les cinéastes, les producteurs étaient tous là, dos tourné à la mer, pour le rendez-vous incontournable de Cannes. Les photographes étaient  agglutinés au pied de l’escalier aux marches rouge-sang. Certains avaient même grimpé à des  palmiers et s’étaient  accrochés  grotesquement aux troncs comme des koalas perdus. Le crépitement des flashes, le chuintement  suave des zooms, le bourdonnement des moteurs , tout cela donnait à  Cannes une impression de fête.

Pour Rita Nuñez, (c’est elle qui venait de s’exprimer avec autant de délicatesse) les quelques marches à gravir, en souriant de son sourire le plus glamour, étaient un véritable Everest, une interminable ascension de quelques secondes , un passage obligé, une mission impossible : possible. Son avenir était là. Elle en était sûre.  Il se jouait, elle en était persuadée dans la façon dont elle allait négocier cette envolée. Elle s’était entraînée des heures dans sa tour HLM, montant et descendant les étages sans aucune raison .A la surprise de son entourage, elle était toujours prête à aller faire les courses. Tout était prétexte à étudier, à décomposer le mouvement apparemment banal qui vous fait passer d’une marche à une autre. La concierge avait fini par la regarder de travers et lui avait demandé ce qu’elle cherchait. Mais Rita avait ignoré les moqueries, elle avait persisté dans son entraînement stakhanoviste et maintenant, elle était au pied du mur. Cannes me voilà ! Elle le savait, tout allait se jouer dans son déhanchement de diva, dans le balancement de sa croupe que  sa robe noire qui moulait son corps comme une deuxième peau mettait en valeur. Elle allait faire un pas, un si petit pas mais un grand pas pour son futur. Tout s’était bien passé au début :

- Rita , un sourire s’il vous plait ! Rita, s’il vous plait ! Ne bougez  plus ! Là c’est parfait ! Les photographes la pressaient de toutes parts. Elle répondait encore difficilement à son nouveau prénom : Rita c’est mieux qu’Henriette ! Et puis Rita Nuñez, après Rita Hayworth cela s’annonçait bien !

Rita s’exécutait, obéissante et appliquée. Son sourire qui découvrait des dents étincelantes Ultra Bright répondait aux œillades pétillantes des flashes. C’est alors qu’un photographe un peu plus ambitieux ou très maladroit chercha à s’approcher d’elle, il joua des coudes comme un rameur. La foule autour de lui  résistait, compacte, dense…  Dans l’échange de gnons qui s’en suivirent, il fut éjecté comme un noyau d’olive par une force centripète qu’il ne maitrisa pas et il se retrouva plaqué le nez enfoui entre les seins en forme d’obus qui pointaient,  comme deux pains de sucre brésiliens du  décolleté généreux de Rita. La cohue était complète et la confusion pour lui, totale. Il se sentit emporter par la foule. Ses pieds ne touchaient plus terre. Son corps et celui de Rita ne faisaient qu’un. Il essaya bien de toutes ses petites forces qui l’abandonnaient, il le sentait bien, de se désolidariser mais la foule les avait soudés. Rita et lui, petites coquilles de noix ballottées sur un océan déchaîné, dansèrent pendant quelques instants une sorte de tango désordonné. Puis, Rita devint rouge comme une écrevisse, elle réussit à appliquer ses deux mains sur la figure de ce Bernard l’Hermite qui semblait vouloir la gober. Elle poussa de toutes ses forces pour se libérer.  Devant son impuissance à se dégager, elle sentit une colère incontrôlée qui la gagnait, qui montait comme une formidable envie d’éternuer et perdant toute retenue, elle hurla :

- Mais pour qui tu te prends ?

 Furieuse, Rita ramassa son sac en lamé or , chercha en claudiquant sa chaussure qui s’était perdue. Elle la passa, aucun prince ne l’aida. Le talon était cassé.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte