Ce n'est pas moi qui l'ai dit. C'est Baudrillard. Je ne sais plus où. Et il ajoutait avec humour qu'elle tombait aux emplacements prévus pour les stations de ski.
C'est vrai! La neige n'est plus un don du ciel. Seuls les enfants et les animaux savent encore utiliser gratuitement ces flocons qui tombent du ciel comme d'un vaste oreiller crevé. Les premiers jouent avec elle, à satiété, et ne l'abandonnent que repus, fatigués, soufflant sur leurs mains gelées, les joues et le nez rosis par le froid et l'émotion. Les petits oiseaux, rossignols et fauvettes, en sautillant sur leurs pattes-allumettes inscrivent comme avec des tampons, de minuscules sigles de la paix, messages silencieux, obstinés et éphémères qui se perdent sur l'étendue blanche.
J'ai lu le billet de Corinne N sur la neige à Fukushima. Cette neige qui ,autrefois, était source de vie est aujourd'hui menace. Elle va abreuver de sa sève empoisonnée les plaines lors du printemps japonais et les compteurs Geiger vont se mettre à grésiller et affoler les populations.
Chez nous, la neige n'est pas une menace mais elle est attendue de pied ferme. Pourvu qu'elle soit là! C'est ce qu'on entend à la télé qui se fait le porte -voix des hôtels de montagne et des offices de tourisme. La neige pour quelques privilégiés a intérêt à être là. Elle doit rapporter. Elle n'a qu'à bien se tenir. Elle doit tomber pour que les hôtels, les stations de ski puissent faire leur beurre. Pourtant, en mauvais élève, ou en vieille anarchiste, elle ne fait que rarement ce qui est espéré. Elle met la panique, elle bloque les routes, les trains...Elle tombe trop ,ou pas assez, ou pas là où il faut. Personne ne la regarde comme une cape d'invisibilité qui recouvrirait provisoirement le monde, sur laquelle on s'amuse à fabriquer à chaque nouveau pas, un chemin qui avance silencieusement derrière soi.
Autrefois, j'avais un voisin paysan qui me disait, les yeux gourmands, que la neige qui restait quelques jours sur une terre équivalait à une fumure. On était content qu'elle tombe, on la laissait faire son travail et on patientait. Maintenant que l'argent est roi, elle est une manne ou un ennui. Quand elle a le toupet de trop se répandre, on lui balance de la dynamite dans les flancs pour purger(oh le vilain mot) les poches où elle s'est trop amassée. Quand elle fait la grève, la vilaine, et qu'elle ne remplit pas son contrat, on la remplace par de la "jaune". On la propulse alors militairement dans des canons à neige et on arrose ainsi les pistes d'une neige artificielle ,sans ménagement comme le font les paysans bretons dans leurs champs pollués, avec le lisier de leurs cochons. On l'écase ensuite avec des engins à chenilles. C'est la guerre, je vous dis. On ne la respecte plus . On ne la voit plus.
Il y a un livre de Joubert que j'ai lu autrefois et qui s'appelle "Les enfants de Noé" dans lequel toute une famille survit des mois ,dans une maison ensevelie sous la neige, à la suite d'un cataclysme. Cette famille malgré les difficultés qu'elle traverse, retrouve le sens des choses. Plus que de l'histoire, je me souviens du plaisir que j'ai éprouvé dans cet enfouissement que j'ai partagé, un peu comme un animal qui hiberne dans son terrier.