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Billet de blog 30 mars 2016

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De la démocratie en entreprise

Si l'on comprend bien, il est urgent d'imposer la loi travail parce que les pauvres entreprises étoufferaient sous le joug d'une législation trop contraignante. Ce qui reviendrait peu ou prou à réformer le Code pénal parce que les meurtriers le trouverait trop dissuasif…

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Ce serait donc — aussi — comme inverser les causalités et faire porter la responsabilité des dysfonctionnements du paradis capitaliste par ceux qui se font broyer (mais pas assez profondément ni assez vite) sous sa botte insatiable. Ce serait surtout faire semblant de ne pas voir, de ne pas savoir, que le Code du travail n'existe pour que tenter de préserver un bien précaire et bien fragile rapport de force entre exploiteurs et exploités, entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui n'ont que leurs compétences à louer pour prétendre survivre quelques jours de plus.

Parce que dans la réalité, de par sa structure, son organisation, l'entreprise est d'ores et déjà une machine à dominer les salariés, à les déposséder de leur citoyenneté l'essentiel de leur temps de veille.

Ce constat n'est guère une nouveauté comme en témoigne cet article que j'avais écrit en 2007 :


Si l’on considère l’entreprise comme un système politique (et à bien des égards, c’en est un) le citoyen moderne retourne chaque matin en féodalité : une hyperhiérarchisation des pouvoirs, des dirigeants imposés par le haut et non choisis par l’ensemble, le culte du secret, l’opacité des chiffres, les intrigues de cour et des stratégies externes essentiellement axées sur l’extension du territoire et la soumission des concurrents, c’est-à-dire un état de guerre permanent où tous les coups sont permis.

Bien sûr, des simulacres démocratiques ont fini par être mis en place afin de rassurer les troupes, comme les Comités d’Entreprise ou les délégués du personnel. Il y a même des élections prudhommales ! Mais dans les faits, plus de 50 % des entreprises n’ont pas la taille critique pour avoir un CE ou un délégué du personnel, et du point de vue du fonctionnement global de l’entreprise, leur impact est des plus insignifiants. Le CE fait plutôt figure d’agence de voyages et organisateur de loisirs à prix réduit. Quant au délégué du personnel, c’est déjà bien quand il n’est pas directement un proche de la direction.

(…)

Dans les faits, tous les salariés renoncent à exercer leur citoyenneté en signant un contrat de travail, lequel est lié dans la plupart des pays à la subordination à l’employeur. Autrement dit, même sans signer de notre sang, nous nous engageons à nous soumettre aux désidératas de l’entreprise et nous le faisons avec une bonne grâce consternante.

Cette soumission à l’entreprise va de pair avec la soumission à l’autorité, telle qu’elle est décrite par Milgram dans sa célébrissime expérience. Cette culture de la soumission est tellement prégnante dans le fonctionnement de l’entreprise féodale qu’elle est exceptionnellement, pour ne pas dire jamais remise en question, même quand les ordres sont de toute évidence absurdes.
Beaucoup de salariés acceptent de la part de leur employeur des intrusions dans leur vie privée, dans leur corps et leurs pratiques qu’il jugerait par ailleurs incompatibles avec la vie dans un État de droit. Ainsi, l’entreprise peut décider de votre coupe de cheveux, de la longueur de vos ongles, de celle de votre jupe, de limiter votre palette de couleur, de vous imposer un uniforme, de vous interdire le port de bijoux ou d’un simple bermuda alors que l’on serait bien en peine de justifier ces restrictions quant aux besoins concrets de l’entreprise. Il arrive aussi que l’on fasse comprendre aux femmes qu’elles doivent soumettre leur fécondité au besoin de l’entreprise d’avoir des salariés disponibles, c’est à dire sans enfant. Dans certains cas extrêmes, les ouvrières ont du se soumettre à un plan de stérilisation pour conserver leur poste au prétexte que les produits utilisés pouvaient endommager le génome d’éventuels futurs enfants, de la même manière qu’ailleurs des chefs d’équipes contrôlaient chaque matin la prise de pilule contraceptive par les salariées, y compris les cadres.

Si l’État cherchait à nous imposer ne serait-ce qu’un quart des contraintes que font peser les entreprises sur les épaules de leurs salariés, tout le monde crierait à la dictature insupportable et une large majorité appellerait à la révolution.
Mais que cela vienne de la hiérarchie opaque d’une entreprise essentiellement axée sur le profit maximum est tout à fait acceptable… en apparence.

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