Après huit longues années passées à fuir les attentats perpétrés par Daesh en Irak, à risquer sa vie en traversant des dizaines de pays, à endurer des délais d’attente ahurissants pour tenter d’obtenir l’asile en Europe, Monsieur M* est épuisé. Lui qui espérait reprendre son métier de boulanger ici, en France, il peine à garder espoir et voit sa santé mentale se dégrader. Le Comede, association agissant en faveur de la santé et des droits des personnes exilées en France, a recueilli son témoignage**.
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Monsieur M est irakien. Nous l’accompagnons au Comede depuis plus de quatre ans pour lui fournir un accès aux soins et l’aider dans sa demande d’asile qui peine à aboutir. Il souhaite aujourd’hui témoigner de son parcours d’exil depuis Mossoul, qu’il a quittée en 2015 pour fuir Daech jusqu’à Paris.
En 2014, l’État islamique s’empare de Mossoul en Irak, entraînant la fuite de milliers de personnes vers le Kurdistan et Bagdad. L’année suivante, les milices chiites lancent une offensive pour reprendre la ville, soutenues ensuite par une coalition internationale à laquelle la France prend part. Cette reconquête entraîne une escalade de violences, des attentats et se paie au prix de milliers de vies parmi la population civile.
« Mon pays est détruit, ma ville est détruite.
J’ai perdu ma famille. C’est très difficile. »
C’est dans ce contexte que Monsieur a été contraint de tout quitter pour tenter de trouver refuge en Europe, laissant derrière lui toute sa vie, une ville en ruine, sa famille et son travail de boulanger.

En 2014, alors qu’il est surpris par des membres de l’État islamique en train de fumer dans la boulangerie qu’il tenait, il est enlevé, séquestré et torturé pendant des jours entiers. Il n’est libéré qu’un mois plus tard en contrepartie d’une importante somme d’argent. En 2015, il doit se rendre à Kirkouk pour chercher les médicaments dont sa mère a besoin. Toujours sous la surveillance des membres de Daech, ces derniers acceptent que sa mère et lui se rendent à Kirkouk à la condition qu’ils leur cèdent leur voiture et leur acte de propriété. Ils acceptent. Désormais, ils ne possèdent plus rien, ils ont tout perdu.
Une fois arrivé à Kirkouk, il retrouve des amis de son père qui l’aident à se rendre jusqu’à Bagdad. Il est ensuite hébergé pendant plus d’un mois chez des amis à Nadjaf, au sud de Bagdad. Des membres de Daech se rendent à deux reprises dans cet appartement pour le retrouver. À chaque fois, il réussit à échapper à leurs contrôles en se cachant. Ses amis l’aident à fuir, seul, vers la Turquie.
« Pour moi, l’Irak est une page brûlée.
C’est fini, il n’est plus possible d’y retourner… »
S’ensuit alors un long périple. Après avoir traversé plus d’une dizaine de pays, être passé par la Serbie, la Hongrie, le Danemark, il arrive en Finlande en 2015 où il demande l’asile. Il y restera trois ans. Trois longues années, sans pouvoir vraiment envisager une nouvelle vie. Car après de long mois d‘attente, sa demande d’asile est rejetée. Son parcours continue et il décide donc de quitter la Finlande pour tenter sa chance en France.
Il passe par la Suède, le Danemark puis l’Allemagne avant d’arriver, enfin, en France en janvier 2018. À son arrivée, il est pris en charge par la Croix Rouge qui l’accompagne dans ses démarches administratives.
« Il faut que les autorités compétentes qui s’occupent des personnes immigrées prennent plus en compte la situation des pays en guerre, comme en Irak, au Yémen ou en Syrie. Ces pays sont détruits, les guerres continuent et les personnes qui fuient ces pays devraient être mieux accueillies ».
Étant initialement passé par la Finlande et l’Allemagne, lorsqu’il est convoqué au guichet unique de la préfecture en janvier 2018 pour y déposer sa demande d’asile, il est placé en procédure Dublin au titre de règlement européen « Dublin III ». Ce règlement énonce qu’un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile dans l’Union européenne. Il prévoit des critères examinés les uns après les autres qui permettront à la France, par exemple, de déterminer l’État responsable de la demande d’asile.

À titre d’exemple, il peut s’agir de l’État qui a accordé un visa ou un titre de séjour, ou de celui par lequel la personne exilée est entrée sur le territoire de l’UE et dans lequel elle a été contrôlée en premier. Cette responsabilité de l’État membre prend fin à l’expiration d’un délai de procédure de transfert. Si les empreintes de la personne sont trouvées dans le fichier « Eurodac » ou si la préfecture trouve un autre indice de son passage dans un autre pays européen, celle-ci sera placée en procédure « Dublin » et ne pourra donc pas demander l’asile en France durant le temps de cette procédure. Il lui sera notifié un arrêté de transfert vers le pays responsable de sa demande d’asile.
Ici, Monsieur M doit attendre les délais de réponse et de transfert vers les autorités finlandaises, c’est-à-dire 9 mois, pour pouvoir déposer enfin sa demande d’asile en France. À la suite de ces neuf mois, il dépose sa demande d’asile en France en procédure normale en octobre 2018. Il attend juillet 2020 pour être convoqué à l’OFPRA, soit presque deux années pour être entendu par l’OFPRA, lorsque la loi dispose que le délai réglementaire devrait être de 6 mois pour le traitement de la demande (article R.723-3 du CESEDA).
En août 2020, l’OFPRA refuse de lui accorder la protection internationale. Il décide de faire un recours à la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, contre cette décision de rejet de la protection internationale. Aujourd’hui, cela fait deux an et demi qu’il attend son audience à la CNDA et au total cinq années passées en France depuis l'enregistrement de sa demande d'asile.
« J’étais très fatigué, surtout moralement.
Je ne pouvais rien faire, pas même travailler. »
Comme beaucoup de personnes en exil, Monsieur M a vu sa santé mentale s'aggraver en Europe. Aux traumatismes subis en Irak et lors du parcours migratoire viennent s'ajouter des violences administratives à répétition. Ces personnes vivent alors la violence de la désillusion, dans un territoire qu'ils pensaient être une terre d'asile. L'attente, l'incertitude, l'invisibilisation, l'impossibilité de travailler, de se projeter, génèrent une angoisse massive qui vient aggraver une santé mentale déjà mise à mal.
« C’est difficile de vivre dans l’attente,
cela fait huit ans que je suis un étranger en situation irrégulière […]
Je suis un humain avant tout ! Et c’est très difficile de vivre comme ça. »
Aujourd’hui, après avoir passé des années à traverser des dizaines de pays, à risquer sa vie pour fuir les atrocités perpétrées en Irak, à supporter des délais d’attente excessivement longs pour avoir une réponse à sa demande d’asile, il est épuisé. Après toutes ses désillusions, il peine à entrevoir un avenir, ce qui pèse beaucoup sur sa santé mentale. Il souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique et d’un syndrome dépressif sévère.
« J’étais boulanger en Irak. Je sais que le métier est différent en France, alors je pourrais faire une formation pour apprendre la manière de travailler ici, pour ensuite lancer mon projet de boulangerie. Mais pour le moment je ne peux pas, j’attends mes papiers… »
Monsieur M voudrait se faire une place en France et commencer à retrouver une vie normale. Il rêve de suivre une formation pour redevenir boulanger comme il le faisait à Mossoul. Mais ses rêves ne sont pas envisageables sans un statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.
En attendant il tient comme il peut. Soutenu par son médecin traitant au Comede, il fait tout pour se prendre en main et garder le moral. Depuis quelques mois, il enchaîne les petits boulots dans le bâtiment et, quand il n’a pas de travail, fait du sport pour ne pas rester seul chez lui. Cela l’aide, un peu, à tenir le coup. Mais l’angoisse et l’incertitude restent bien présentes tant que la CNDA n’aura pas rendu son verdict. Il craint que la Cour ne rejette à nouveau sa demande d’asile. Dans ce cas, il n’aurait qu’une solution : partir et trouver un autre pays dans lequel il tentera, une fois de plus, de déposer une demande d’asile.
« Si la réponse de la CNDA est négative qu’est-ce que je peux faire ?
Je ne peux pas retourner en Irak, tout est détruit ! Ma seule solution serait de trouver un autre pays et de tout recommencer… »
*Le prénom a été changé
**Propos recueillis par Emma Zirotti