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Billet de blog 27 mars 2013

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L'effroyable imposture de l'effroyable imposture

Le 21 Février dernier est sorti « L'effroyable imposture du rap », présentée par les éditeurs comme un livre noir du rap. LE livre noir du rap. Un pavé dans la mare, un tchernobyl des ipods où tout le monde en prend pour son grade. Rappeurs, français ou ricains, producteurs, DJs, maisons de disques... tout le monde vous dis-je ! Oui mais non. D'abord, le livre n'est pas noir mais plutôt bleu blanc rouge.

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Le 21 Février dernier est sorti « L'effroyable imposture du rap », présentée par les éditeurs comme un livre noir du rap. LE livre noir du rap. Un pavé dans la mare, un tchernobyl des ipods où tout le monde en prend pour son grade. Rappeurs, français ou ricains, producteurs, DJs, maisons de disques... tout le monde vous dis-je ! Oui mais non. D'abord, le livre n'est pas noir mais plutôt bleu blanc rouge.L'éditeur, Kontre Kulture, n'est autre que la collection créée par Alain Soral – ex-militant FN qui s'est engagé aux côtés de Dieudonné dans la liste anti-sioniste et grand propagateur de théories du complot (une sorte de Fox Mulder crypto-stalino-facho en gros) – au sein de la maison d'édition Blanche, spécialisé dans les romans érotiques. Quant au pavé dans la mare, Cardet, l'auteur, a plutôt mis le pied dans une flaque d'eau. Il empile les arguments d'autorité (aucune information n'est sourcée, pas de note de bas de page, que dalle) et les erreurs crasseuses (non, « Wu-Chronicles » n'est pas le deuxième album du Wu-Tang, loin de là).

L'auteur commence par un historique improbable des mouvements sociaux noirs aux Etats-Unis qu'il a le culot de présenter comme « l'histoire officielle ». On y apprend que Martin Luther King est gentil et que Malcolm X est méchant. Le Ku Klux Klan et la Nation of Islam se retrouvent dans le même sac et toute la culture noire des années 60 serait née d'un vaste complot capitalo-marxiste vaguement lié au FBI dont le but est de rendre la subversion inoffensive en l'intégrant à l'industrie capitalo-bourgeoise-gauchiste du divertissement. Putain que c'est beau ! Peu importe qu'un tout petit coup d’œil sur l'histoire des rapports entre le pouvoir et le Marxisme aux USA rende ces allégations plus qu' hasardeuses. L'auteur ne donne aucune référence documentaire et semble partir du principe que le lecteur (à l'image du public rap) est un peu bas de plafond. Toi tu ne sais pas mais Cardet sait, et il va t'apprendre. C'est long, ça prend presque un tiers du bouquin et on se demande où il veut en venir. Et puis on comprend, il veut nous montrer l'étendu du complot, à quel point nous, les fans de rap, on s'est fait baiser... même si plus pragmatiquement l'auteur semble plutôt mettre en place la terminologie qui remplacera les réels arguments pour le reste de la démonstration.

Lorsqu'on en vient finalement au vif du sujet les choses deviennent un peu plus drôle pour le lecteur. Deux pages sur la naissance du mouvement Hip Hop en tant que tel. Pas plus. Les blocks party, la danse et le graffiti ne sont que vaguement mentionnés. Pourquoi ? Mais parce que tout ça c'est de l'enfumage, ça a peut-être eu lieu mais ce qui est important c'est qu'une méchante oligarchie (de sales gauchistes) a fait en sorte de promouvoir le rap pour mieux abrutir les gens. Il parle d'ailleurs extrêmement peu de musique et sa définition du rap n'arrive que dans les dernières pages : « (…) Grosso modo un assemblement d'associations de mots plus ou moins rythmé ». Ma grand-mère n'aurait pas fait mieux. Quant au fan de rap lambda, c'est à dire « issu des quartiers populaire », il est qualifié par l'auteur d' « auditard ». Tu sens ? Oui oui, c'est bien du mépris. Et, DJ Cardet adore les néologismes, il en use et en abuse. Donc forcément, la religion de « l'auditard », c'est la «muslimerie », c'est à dire un Islam « sheitanisé » mais adepte du « parfaitisme », à l'opposé du « bourgeoisard » qui lui... heu... j'ai perdu le fil à un moment donné.

Mais ce n'est pas tout. Oh non. On avait pas encore parlé des juifs. Parce que oui, il y a les hommes d'affaires juifs qui ont récupéré le mouvement pour s'en mettre plein les poches. Oui parce qu'ils sont partout les juifs. Avec les libéralo-hédonisto-marxisto-capitalistes c'est eux qui contrôlent les ficelles du rap. J'imagine que si quelqu'un mentionne l'antisémitisme de l'auteur il répondra qu'il est anti-sioniste et que c'est pas pareil (j'ai déjà vu ça quelque part). Oui, et le fait que la seule référence littéraire sérieuse du bouquin soit Céline n'a sans doute rien à voir.

Entendons-nous bien. Critiquer la manière dont le mouvement hip hop a été récupéré par l'industrie capitaliste et la politique est une intention plus que louable, je dirais même nécessaire. Pointer du doigt la façon dont certains acteurs de ce mouvement (j'insiste sur le mot mouvement parce que Cardet prétend qu'il s'agit d'une religion et je n'ai pas eu le temps de faire ma prière à base popopopop ces derniers jours) se sont fait des couilles en platine , en fonçant la tête la première dans le système qu'ils prétendent combattre, me paraît essentiel. Dénoncer le machisme, l’intolérance, l'apologie de la violence, le narcissisme, l'homophobie, l'usage de drogue ou la béatification du gangstérisme serait également d'utilité publique à la fois pour la survie de cette musique et l'exemple sur les plus jeunes. Seulement voilà, il s'agit d'une partie émergée de l'iceberg. Oublier ceux qui se battent en sous-sol et qui ne passent ni sur Skyrock ni sur MTV démontre que l'on n'a pas affaire à un travail de recherche sérieux mais à un ratissage de surface gavé jusqu'à la glotte de préjugés et d'idéologie (même si j'ai pas bien compris laquelle).

Bizarrement, le livre aurait été présenté comme une parodie de critique, j'aurai adoré. Mais non, si l'auteur est expert en quelque chose ce n'est certainement pas en rap. Trop d'approximations (beaucoup de soi-disant citations sortent de nulle part), de raccourcis (Joey Starr = égérie Jean-Paul Gautier), de contresens (un Yalta du rap ? Sérieux?) ou d'oublis (Eric B & Rakim ? Tommy Boy ? Rawkus?) pour être pris réellement au sérieux. Il finit même par se couper lui même l'herbe sous le pied. Pas à un paradoxe près, un avertissement au lecteur arrive à la fin du bouquin. Il est précisé que certains artistes sont restés authentiques (notamment Gangstarr et KRS-One) et qu'il les a écarté volontairement pour ne s'attarder que sur les impostures. C'est problématique pour son raisonnement très essentialiste. «La rap a été fait par... dans le but de… », dans ce cas pourquoi les artistes authentiques seraient-ils meilleurs que les autres ? Si on suit la logique développée dans ces pages, Kenzy du Secteur Ä qui s'est toujours revendiqué de droite est bien plus authentique que KRS-One. Non ? Non bien sûr, et la mauvaise foi est tellement flagrante de la première à la dernière ligne qu'il serait difficile d'être exhaustif. Il critique les rappeurs « ouin-ouin », parlons des écrivains « ouin-ouin » alors : « La Fouine et Booba ils sont méchants, ils disent rien que des gros mots ». T'inquiète pas mon grand, tonton Vasquez va te consoler en te chantant des chansons sur Faurisson.

 En définitive, le rap serait donc une addiction meurtrière, comme la clope ou les drogues dures (la connerie c'est une addiction ou pas?). Sa conclusion est d'ailleurs plutôt radicale puisqu'il prétend qu'un fan de rap honnête devrait se tirer une balle dans la tête. Comme il dit lui-même être un fan de rap repenti mais pas soigné j'ai envie de lui dire : toi d'abord et qui t'aime te suive, moi je vais me réécouter Hell On Earth.

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