Quelque mot pour vous présenter aux lecteurs et lectrices qui ne vous connaissent pas ?
Michelle Cloos : Je m’appelle Michelle Cloos, je travaille à l’OGBL. Je suis responsable pour le syndicat aviation civile où je suis en contact avec les délégations du personnel et je négocie les conventions collectives.
Comment expliquer le déclenchement de cette grève à Cargolux ?
Michelle Cloos : Je pense que ça a été un long processus. Il y a un contexte un peu spécial. Les salariés de cette entreprise étaient en toute première ligne lors de la pandémie. Ils ont travaillé comme des malades jusqu’à 12h par jour. La loi sur le travail avait été adaptée pour qu’ils puissent travailler plus. Parallèlement la société a aussi fait des bénéfices mirobolant et ça a légitimement crée des attentes. Il y a eu de très longues négociations salariales, mais du côté du patronat on a tout fait pour gagner du temps et donner le moins possible. En mars nous nous sommes retrouvés devant l’Office National de Conciliation car il n’y avait pas de réponses claires par rapport à nos revendications. On voyait que ça n’avançait pas. Là les négociations ont vraiment démarré et nous avons trouvé des accords sur des questions qualitatives comme le droit à la déconnexion, le compte épargne temps ou le temps de travail. En revanche là où ça butait vraiment c’était le volet financier. En juillet nous sommes arrivés à 16 semaines de conciliation et nous avons reçu une proposition financière qui a été rejetée à environ 90% par les membres du personnel des deux syndicats (OGBL et LCGB). Nous avions alors déjà le droit légalement de déclarer la non- conciliation de manière unilatérale et de déclencher la grève. Malgré ça nous avons encore attendu. Nous avons essayé de trouver des solutions. Nous avons eu une dernière réunion avec l’ONC puis avec le patronat. Il n’y a eu aucune avancée et nous avons donc appelé à la grève.

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Quel est le taux de syndicalisation à Cargolux ?
Michelle Cloos : Il y a deux syndicats. Il y a très fort taux de syndicalisation chez les pilotes et la maintenance. Il est plus bas dans les bureaux. En revanche les gens qui font le chargement des avions travaillent pour Luxair, ils ne sont pas couverts par la convention collective. Le taux de gréviste a été de quasiment 100% chez les pilotes et dans la maintenance. Les seules personnes qui n’ont pas fait grève sont les stagiaires qui n’ont pas le droit, et les management pilots qui sont plus managers que pilotes. Là où nous ne savons pas exactement c’est le taux de grévistes dans les bureaux.
Lors de votre discours le 1er jour de grève vous avez parlé du rôle joué par le personnel de l’aviation pendant la pandémie. Pourriez-vous détailler la manière dont les travailleurs et travailleuses de votre secteur ont agi pendant le covid ?
Michelle Cloos : C’était une situation extraordinaire. Ils ont volé plus que jamais. Tout le monde a été très flexible. Le personnel a bien compris qu’il fallait faire un effort. Il y avait une très grande intensité de travail. Personne n’a été en chômage partiel, le personnel a été déclaré essentiel. C’est grâce aux travailleurs et travailleuses de Cargolux que nous avons eu les vaccins, les masques et les médicaments. Au tout début de la pandémie nous avons envoyé du matériel médical en Chine par solidarité. Il y a eu un retour d’ailleurs puisque via Cargolux la Chine nous a renvoyé des masques quand nous avons été touché.
Quelles leçons votre section de l’OGBL a-t-elle tiré de cette pandémie ?
Michelle Cloos : La pandémie a montré l’importance notre secteur. Ça a aussi montré l’importance de récompenser ce travail.
La pandémie a montré que l’état pouvait organiser une garantie de l’emploi, par exemple pour le personnel de Luxair. Plus de 600 personnes de cette entreprise en chômage technique ont été transféré à la direction de la santé où il y avait un besoin urgent de personnel. Cela nous amène à conquête sociale appelée garantie emploi vert, qui protège et garantit une reconversion au même niveau de salaire aux employé.e.s au cas où leur activité est trop polluante et doit se réduire. Pourquoi ne pas avoir négocié la garantie emploi vert avec Cargolux dans la mesure où le secteur aérien est susceptible de devoir réduire drastiquement son activité dans les années à venir ?
Michelle Cloos : Je ne pense pas qu’il y a une alternative au fret aérien pour le moment. La pandémie l’a montré. Le Luxembourg à l’heure actuelle ne pourrait pas s’approvisionner uniquement par le train. Si on reçoit les médicaments par fret aérien c’est parce qu’on ne les produit pas en Europe. Pour les vols commerciaux c’est une autre discussion. Ça n’a pas été facile de dire aux gens de changer d’emploi pendant la crise sanitaire car les gens sont émotionnellement liés à leur entreprise. Si vous allez voir les gens et que vous leur dîtes maintenant vous allez changer d’emploi ils ne vont pas beaucoup vous aimez. Il faut voir ce que la technologie peut apporter, il y a des solutions en développement. Mais s’il faut faire quelque chose, alors il faut le faire au niveau européen. Si Air France ne vole plus des lignes courtes, Easy Jet va reprendre le créneau. Il faut donc lutter contre cette règle de libre concurrence. Les règles européennes qui poussaient les avions à voler à vide par exemple c’est dramatique. Car si les avions n’effectuaient pas ces vols ils perdaient leurs créneaux. Ces règles ont été changées mais pas assez. D’autres compagnies comme Ryanair ont gardé leurs avions au sol, licencié tout leur personnel, empoché l’argent des aides, et réembauché du personnel au niveau junior pour baisser les coûts de personnel. La seule manière de trouver des fonctionnements plus écologiques pour le secteur c’est d’agir sur les règles européennes.
Revenons à votre grève victorieuse. Les représentant.e.s des partis politiques ne se sont pas bousculé.e.s pour venir vous soutenir. Hormis Déi Lénk et le KPL, la plupart des partis ont observé un silence poli, quand ça n’a pas été des critiques ouvertes comme le Parti Pirate. Après cette séquence sur quels partis le monde du travail peut-il compter en tant qu’alliés dans la prochaine législature ?
Michelle Cloos : Nous ne faisons pas de recommandation de vote. Nous avons observé un certain silence politique. Mais ça a été surtout un silence gouvernemental. L’état luxembourgeois est actionnaire directement et indirectement de cette société. Le ministère du transport de François Bausch a refusé de prendre position, et nous n’avons pas été très contents lorsque nous avons entendu son intervention à la radio. Il aurait du. Il est évident que nous sommes aussi en désaccord complet avec le député du parti Pirate qui a dit qu’il faut faire moins de grève. Ça montre une incompréhension de ce que c’est que la grève. Au Luxembourg nous n’utilisons pas la grève à tort et à travers. Même la veille de la grève nous étions convaincus que nous n’allions pas devoir aller jusqu’au bout. Mais le patronat a voulu voir si nous bluffions, c’est un jeu un peu dangereux. Nous avons montré que nous ne bluffions pas. Notre priorité c’est d’être à la table des négociations, mais si ça ne marche pas c’est notre job de prendre notre responsabilité et de garder les avions au sol. On ne peut pas le faire moins, sinon nous n’avons aucun impact. Il n’y a que l’arrêt du travail qui permet de mettre la pression.
Une grève victorieuse renforce la confiance des classes travailleuses dans leur capacité à défendre ses intérêts contre ceux du patronat. Quelle importance cette victoire a-t-elle alors que le patronat luxembourgeois a fait plusieurs appels du pied pour repousser l’âge de départ à la retraite dès 2024 ?
Michelle Cloos : Il y a plusieurs leçons. La première c’est l’importance de l’unité du personnel entre les départements. S’il n’y avait que la maintenance, ou les pilotes ou les bureaux ça n’aurait mené à rien. La deuxième leçon c’est la force des salariés. Les gens ont tendance à dire « on va devoir accepté, on n’a pas le choix ». Mais en fait si on a le choix. Et dans le secteur de l’aviation c’est très visible. Quand les avions ne volent pas ça se voit et l’impact et total et tout de suite.
En France nous avons battu pavé pendant des mois pour éviter une telle réforme. Malgré une mobilisation historique, à laquelle l’OGBL a participé à Metz, nous avons quand même perdu. Si la situation se reproduit au Luxembourg, comment gagner dans la mesure où, par exemple, dans la défense de l’index il n’y a pas eu d’unité syndicale avec la LCGB ?
Michelle Cloos : Ce que nous avons toujours dit c’est que du côté de l’OGBL on n’acceptera pas un recul de la retraite. Notre position est claire et nous n’allons pas bouger là-dessus. L’unité syndicale est importante, on a réussi à l’avoir à Cargolux, mais ce n’est pas que le choix de l’OGBL. Même si une de nos grandes lignes programmatique c’est de construire un syndicat unique. Et quand le gouvernement a voulu remettre en cause l’indexation des salaires en 2022 nous avons gagné même en l’absence d’unité syndicale. Nous avons montré que cette idée que les syndicats ne savent plus mobiliser est fausse. Nous avons montré que nous pouvons mobiliser nos membres et les gens, et à aucun moment nous n’avons regretté de ne pas signer la proposition tripartite (gouvernement/syndicat/patronat) du gouvernement. Si c’est le cas pour les autres syndicats il faut leur poser la question.
La grève a Cargolux a illustré que la lutte des classes est encore bien réelle, y compris au Luxembourg. Le monde du travail a gagné cette manche. Cependant une lutte des classes plus intense a démarré avec la crise environnementale. La contraction dans l’accès aux ressources, pertes de récoltes, pertes de réserves d’eau, pertes d’énergie etc…a mené des syndicats français à rejoindre les Soulèvements de la Terre pour désarmer des infrastructures dangereuses. Comment le positionne l’OGBL face à ces évolutions ?
Michelle Cloos : Notre position est celle de la confédération européenne des syndicats qui est qu’il faut une transition juste. Il faut laisser un monde vivable aux générations futures. Mais il faut que ça soit fait de manière sociale. Si on ne prend pas les gens avec, si les gens ne comprennent pas l’utilité des mesures, ça va créer de gros problèmes politiques. Si les gens sont face à des peurs existentielles ou de dégradation sociale pour eux et leurs enfants. C’est pour ça qu’il faut mettre en place certains instruments pour qu’il y ait un filet de sécurité pour tout le monde. Pour l’instant nous n’avons pas de mouvement type « Soulèvement de la Terre » au Luxembourg donc c’est un peu difficile de répondre. Nous avons participé aux grèves du climat des jeunes par le passé. Nous sommes toujours solidaires des mouvements qu’il y a s’il y en a. Mais c’est vrai qu’en ce moment il n’y en a pas.
Mais quelles actions menez-vous en interne pour préparer spécifiquement votre section ? Pour que vos membres puissent se mettre en action de manière conscientisée ?
Michelle Cloos : Dans l’aviation c’est dans des discussions au niveau européen que la transition est mise en débat. On sait que l’aviation va être face à de grands défis. Le problème c’est qu’à l’heure actuelle personne ne sait comment et quand. Le problème c’est qu’à l’heure actuelle personne ne sait comment et quand. Il faudra qu’on soit prêt à défendre l’intérêt des gens. On a montré avec la pandémie, tant pour Luxair que pour Cargolux, que nous avons la force pour le faire. C’est des discussions difficiles. Les gens sont passionnés par leur boulot. Il faut garder ça en tête. Il faut voir quelles solutions la technologie va apporter. Il faut aussi voir quelles solutions peuvent-être trouvées au niveau européen.
L’OGBL souhaite atteindre une société dans laquelle l’exploitation de l’humain par l’humain est impossible mais ceci uniquement dans le cadre parlementaire. Or le capitalisme aujourd’hui se raidit de plus en plus et au Luxembourg 74% de la population active n’a pas accès au droit de vote. Comment résoudre ces contradictions en restant dans le cadre parlementaire quand il a fallu une révolution avortée en 1918 pour obtenir le suffrage universel ?
Michelle Cloos : Nous sommes un syndicat. Notre action est avec nos membres sur le terrain. Nous sommes par définition dans une action réformiste. Nous agissons pour l’intérêt des salariés. C’est vrai que le droit de vote est un problème car nous avons beaucoup de membres qui ne peuvent pas voter. Voilà pourquoi nous étions très engagés pour le droit de vote lié à la résidence. Malheureusement le résultat du référendum a été clair. C’est la raison pour laquelle la Chambre des salariés est très importante pour nous. C’est la seule structure dans laquelle chaque personne qui travaille au Luxembourg et paie ses impôts ici a une voix au chapitre. C’est important de mieux faire comprendre son rôle. La Chambre des salariés fait un travail d’analyse, de conférences, elle fait mêmes de propositions de loi pour défendre l’intérêt des salariés. Notre plus grand défi maintenant c’est d’organiser les gens dans les métiers à bas salaire. On voit des tendances dans le commerce où nous avons réussi à signer beaucoup de conventions collectives dans les dernières années. C’est pas avec une convention collective qu’on va tout changer, mais c’est un premier pas. Notre grand handicap pour défendre ces membres là c’est que la loi sur la convention collective au Luxembourg est faible. On ne peut pas négocier par branche sans volonté des patrons, et évidemment ils ne veulent pas. Notre priorité est donc de donner plus de moyens aux gens pour s’organiser et pour négocier pour eux-mêmes.