En dehors de Delphine Ernotte qui semble bien décidée, faute de propositions de poste gouvernemental, et sortie du jeu pour la présidence d’Orange début 2022, à s’incruster par défaut dans l’histoire de l’audiovisuel public, on a du mal à imaginer quel·le candidat·e sérieux·se à la présidence de France Télévisions pourrait sortir du bois dans un peu plus d'un an.
Avec la perspective de la présidentielle de 2027 et de l’hypothèse « sondagière » de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National, qui osera quitter son job pour risquer de se faire démettre au bout de deux ans et devenir martyr du service public jusqu’à la fin de ses jours ?
Néanmoins, explorons …
Bruno Patino, président d’Arte, pourrait être un excellent choix. Sa chaîne est respectée, regardée, jamais pointée du doigt pour ses dérives éditoriales, et sa plateforme numérique est citée en exemple. Il incarne aujourd’hui le meilleur « rapport qualité-prix »de l’audiovisuel public et coûte 300 millions d’euros aux citoyens français (hors financement allemand). Comparés aux 2,4 milliards de France Télévisions, cela semble irréel. Bruno Patino choisira-t-il de quitter Arte, service public protégé par son financement bicéphal, pour aller se faire virer de France Télévisions deux ans plus tard ?
Plus largement, quel·le candidat.e légitime se lancera dans la course ?
Le nom de Justine Planchon, aujourd’hui présidente du groupe Mediawan, plus gros fournisseur de contenus de France Télévisions, est lui aussi intéressant. On pourrait avoir le sentiment d’une présidence de contenus, pas une mauvaise nouvelle, mais il faudrait également se préparer à un accueil sanglant du syndicat majoritaire de FranceTV. Justine Planchon accepterait-elle de quitter un job en or (aux sens propre et figuré) pour une fonction à risques majeurs ? Ceci dit, si on est perfide, connaissant la proximité entre Mediawan et la présidence de France Télévisions, ne pourrait-on pas imaginer une tentative de jeu de chaises musicales, avec un Stéphane Sitbon Gomez beaucoup trop politique chez Mediawan et une Justine Planchon à France Télévisions ?
J’ajoute un nom à la liste. Il s’appelle Thierry Langlois. Son parcours est complet. Dirigeant à France Télévisions, puis au CNC, puis chez Lagardère et Mediawan avant d’intégrer la société de production Morgane, il a une vision à 360, une vraie légitimité et c’est un homme de contenus. Son seul défaut ? Ne pas être au courant que je le cite aujourd’hui … Peut-être surtout n’en a-t-il, lui non plus, pas envie du tout.
Gérald Brice Viret, patron de Canal +, aurait lui aussi les épaules, l’expérience et peut être l’envie. Dans son parcours, il est passé par France Télévisions et aime l’entreprise, mais c’est un lieutenant de Vincent Bolloré. Grâce à lui, il pourrait bénéficier d’un totem d’immunité face à un RN tout puissant s’il venait à emporter la présidentielle. Sa nomination par l’Arcom reste extrêmement peu probable.
Enfin, on aurait pu imaginer la PDGère de Banijay aux commandes d’un service public conquérant, mais Alexia Laroche-Joubert a peut-être d’autres stock options à fouetter.
Un nom revient régulièrement, celui de Marc-Olivier Fogiel, actuel dirigeant de BFM. Il a, en plus d’une vraie culture programme télé et radio, une carte de presse qui lui permettrait de s’attaquer à un vrai sujet, le pluralisme dans l’information de France Télévisions. A mon avis, le départ du président Macron en 2027 ne l’arrange pas, et il serait une cible de choix pour une présidente RN.
Enfin Sybile Veil, la présidente de Radio France pourrait tenter sa chance dans la perspective d’une gouvernance commune et permettrait à la radio de ne pas avoir le sentiment d’être dirigée par la télé (complexe historique). Son bilan à Radio France est bon à quelques petites exceptions près, et sa plateforme est un énorme succès. Sur le papier elle coche de nombreuses cases, dont celle d’exercer déjà dans le calme une présidence difficile.
J’arrête là ma liste, qui au lieu d’être perçue comme un hommage à quelques vrais professionnels risque de les contrarier.
Je présente également des excuses à celles et ceux que je n’ai pas cité et qui auront peut être le job en 2025. Il est vrai que mes options portent surtout sur des femmes et hommes de télévision. J’ai tendance à penser que cela peut aider, après une présidente ingénieure ex-directrice exécutive d’Orange.
Allez hop tant pis je lance un dernier nom, celui d’Audrey Azoulay, passée par le CNC et le ministère de la Culture, brillante, issue d’une famille de journalistes, et passionnée de cinéma. Après tout, l’actuelle Directrice Générale de l’Unesco n’a t elle pas, avant l’ENA, fait ses études à Sciences Po dans la section « service public »?
Et puisque je ne tiens aucune promesse et que nous sommes dans la sphère des hauts fonctionnaires, j’enchaîne avec Fabrice Bakhouche, ancien dircab de Fleur Pellerin, qui vient de quitter le Hachette de Bolloré où il était Directeur Général, Frédéric Mion, énarque, ex secrétaire général de Canal+ et ex-directeur de Sciences po Paris, et Martin Adjari, ex candidat à la présidence de Radio France, ex dirigeant de France Télévisions, précédemment patron de la toute puissante DGMIC au ministère de la culture et directeur adjoint de l’Opéra de Paris.
A mon avis, les velléités ne manquent pas, mais la question de la pérennité du job reste cruciale.
Je terminerai sur le sujet par lequel j’aurais du commencer : le projet.
Quel·le que soit la personne qui incarne la présidence de France Télévisions en 2025, elle ou il devra revenir aux sources du service public. Sur le papier c’est simple, mais c’est un travail gigantesque :
1/ S’adresser à tous les Français, au-delà des seniors et des personnes âgées, sur tous les supports.
2/ Instaurer une transparence totale de l’entreprise, notamment sur les salaires et les dépenses.
3/ Garantir l’indépendance et le pluralisme de l’information, en créant une instance de contrôle indépendante.
4/ Ecouter sur l’ensemble du territoire les citoyens qui financent le service public, partout sur le territoire.
Mais cela fera l’objet d’un autre billet …