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Billet de blog 3 mars 2025

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ACCORDS DE 1968 : UNE HYPOCRISIE FRANÇAISE AU SERVICE D’INTÉRÊTS FLUCTUANTS

Les accords franco-algériens de 1968, établis pour répondre au besoin de main-d’œuvre en France, ont facilité l’installation et l’emploi des Algériens avec un cadre plus favorable que pour d’autres étrangers. Aujourd’hui remis en cause, non par souci d’équité mais par pur opportunisme, leur abandon reflète un cynisme diplomatique, porté par une classe politique où l’algérophobie reste manifeste.

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Les accords franco-algériens de 1968 constituent un cadre juridique unique régissant la circulation, le séjour et l’emploi des Algériens en France. Conçus à une époque où la France avait un besoin urgent de main-d’œuvre, ils ont permis à des générations de travailleurs algériens de venir s’installer et travailler en France avec des facilités administratives plus favorables que celles accordées aux autres étrangers. Aujourd’hui, ces accords sont remis en question par la France, non pas pour des raisons de justice ou d’équité, mais parce qu’elle n’en tire plus aucun avantage direct. Une volte-face qui témoigne d’un cynisme diplomatique et politique évident, poussée par une certaine classe politique manifestement xénophobe et algérophobe.

Un accord conçu dans l’intérêt exclusif de la France

Il est essentiel de rappeler que ces accords ont été voulu par la France elle-même en 1968. À l’époque, il ne s’agissait pas d’un acte de générosité envers l’Algérie, mais bien d’un arrangement pragmatique pour servir les intérêts français. L’industrie et le BTP français avaient besoin de bras, et l’Algérie, récemment indépendante, comptait une main-d’œuvre jeune, dynamique et familière du contexte français.

Certes, ces accords offraient des facilités aux Algériens pour venir en France, mais l’objectif était avant tout économique. La France voulait garder sous contrôle les flux migratoires tout en assurant un apport régulier de travailleurs, sans pour autant leur accorder une pleine reconnaissance sociale et politique. En clair, il s’agissait d’une main-d'œuvre bon marché et malléable dont la France pouvait disposer à sa guise.

Aujourd’hui, la situation a changé : la France, frappée par le chômage et l’évolution de son économie, n’a plus autant besoin de travailleurs algériens. Dès lors, ces accords deviennent un fardeau, un vestige du passé que l’on cherche à liquider, non pas par souci d’équité, mais par opportunisme pur et simple.

Une volonté de rupture ingrate et hypocrite

Alors que la France a profité pendant des décennies de ces accords, elle cherche aujourd’hui à y mettre fin en invoquant des prétextes fallacieux. Parmi les arguments avancés :

Un cadre trop favorable aux Algériens, alors même que ce cadre avait été volontairement mis en place par la France elle-même comme précisé ci-dessus.

Une immigration prétendument incontrôlée, bien que l’Algérie ne soit pas le principal pays d’origine des migrants en France. En 2021, les immigrés algériens représentaient 12,7 % des immigrés en France, soit environ 866 600 personnes, un chiffre comparable à celui des Marocains (12 %) et inférieur à d'autres groupes comme les Portugais (8,7 %), les Tunisiens (4,6 %) ou encore les Turcs (3,6 %). Ces données montrent que l'immigration en France est bien plus diversifiée que ne le laissent entendre certains discours alarmistes.

Un manque de coopération de l’Algérie sur la réadmission, accusent les autorités françaises, alors même que Paris ne respecte pas ses propres procédures légales en matière d’expulsion des ressortissants algériens. Ces procédures sont souvent exécutées au mépris de toute considération humaine, sans se soucier du fait qu’il s’agit d’êtres humains ayant construit leur vie en France, avec une famille, des attaches, et des liens sociaux profonds. L’expulsion devient alors un simple instrument de communication politique, ignorant la détresse de ceux qui se retrouvent brutalement arrachés à leur quotidien.

L’affaire Doualemn : un exemple frappant du mépris du droit par la France lorsqu’il s’agit d’un Algérien, dissimulant maladroitement une algérophobie structurelle.

L’expulsion d’étrangers en France est encadrée par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui établit des conditions strictes pour qu’un étranger en situation régulière puisse être expulsé. Elle n’est possible qu’en cas de menace grave pour l’ordre public ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. De plus, certaines catégories d’étrangers bénéficient d’une protection renforcée contre l’expulsion, en fonction de leur durée de séjour, de leur situation familiale ou de leur état de santé.

Dans l’affaire Doualemn, les autorités françaises ont cherché à contourner ces garanties en invoquant des arguments sécuritaires vagues et non justifiés, ce qui a conduit la justice administrative à suspendre la procédure.

Que s’est-il passé ?

  • Le 4 janvier 2025, Boualem Naman, alias Doualemn, publie plusieurs vidéos sur TikTok appelant à des actions violentes contre un opposant politique algérien (qu’il faut évidemment condamner).
  • Le 5 janvier, il est arrêté.
  • Le 7 janvier, le ministre de l’Intérieur signe un arrêté d’expulsion en urgence absolue, ainsi que le retrait de son titre de séjour.

Cependant, cette tentative d’expulsion précipitée et illégale a été bloquée par le tribunal administratif de Paris, qui a suspendu la mesure en estimant qu’elle ne reposait sur aucun fondement juridique valable. Avant son jugement, Doualemn a même été laissé en liberté, ce qui démontre d’une part l’absence de danger du personnage, et d’autre part l’incohérence et l’instrumentalisation politique de cette affaire.

Finalement jugé en France, il a été condamné à six mois de prison avec sursis pour "provocation non suivie d'effet à commettre un crime ou un délit", une peine qui ne justifiait en aucun cas une expulsion arbitraire.

Une instrumentalisation politique de l’expulsion

Cette tentative d’expulsion s’inscrit dans une stratégie idéologique claire, menée par un ministre de l’Intérieur proche des idées de l’extrême droite : Bruno Retailleau.

Retailleau, connu pour ses positions dures sur l’immigration, incarne la radicalisation de la politique migratoire française, où la loi devient un outil malléable au service d’intérêts électoraux. Faut-il rappeler qu’en septembre 2024, il avait affirmé que l’État de droit n’est "ni intangible ni sacré" ? Une déclaration inquiétante, qui trahit une vision opportuniste et restrictive du droit.

L’État de droit est pourtant le fondement d’une démocratie. Mais peut-être Retailleau rêve-t-il d’un retour au Code de l’indigénat ? Hier les juifs, aujourd’hui les musulmans : la logique d’exclusion se répète, sous de nouveaux prétextes. Faut-il également rappeler qu’en janvier 2025, lors d'une séance publique, M. Retailleau a salué le "combat" d'Alice Cordier, dirigeante du collectif Némésis, un groupe identitaire féminin d'extrême droite prônant des positions radicales sur l'immigration et la "remigration".

Cette politique ne vise pas à appliquer le droit de manière impartiale comme cela doit l’être dans toute bonne démocratie, mais à envoyer un message politique à la frange la plus radicale de l’électorat français. En manipulant les procédures d’expulsion, le gouvernement cherche à entretenir un climat de défiance envers les ressortissants algériens et, plus largement, à alimenter un discours hostile aux migrations.

Une politique du "je prends, puis je jette"

Ce revirement français illustre une politique utilitariste et cynique. Quand ces accords servaient la France, ils étaient justifiés et maintenus. Aujourd’hui qu’ils ne rapportent plus rien, on les dénonce sous couvert de "réforme migratoire".

Cette attitude révèle un mépris total pour les générations de travailleurs algériens qui ont contribué à la prospérité française. Elle démontre aussi une incapacité à assumer l’héritage colonial et post-colonial, préférant effacer d’un trait de plume un accord jadis signé par opportunisme.

En somme, ce qui dérange Paris aujourd’hui, ce n’est pas l’existence de ces accords en tant que tels, mais le fait qu’ils ne profitent plus directement à la France. Un revirement hypocrite et indigne d’une nation qui se prétend attachée aux principes de droit et de justice.

L’hostilité française vis-à-vis de l’Algérie s’exprime souvent sous une forme de paternalisme néocolonial.

Lorsqu’il est question de coopération entre les deux pays, le discours politique français adopte un ton condescendant, comme si l’Algérie était un partenaire subordonné, devant se conformer aux exigences françaises sans revendiquer sa propre souveraineté.

Ce mépris transparaît dans le débat sur la “coopération” en matière migratoire. Les responsables français réclament sans cesse qu’Alger soit “plus coopérative” dans le renvoi de ses ressortissants, comme si l’Algérie devait obéir aux injonctions d’un ancien colonisateur.

Les médias français relayent régulièrement cette rhétorique, évoquant une Algérie “réticente” ou “défiante” dans la gestion des expulsions, sans jamais remettre en cause l’attitude de la France elle-même.

Ce discours rappelle de façon troublante les méthodes d’antan, où Paris décidait unilatéralement du sort de ses ex-colonies. Or, l’Algérie est un État souverain qui agit selon ses propres intérêts, et non selon les attentes françaises.

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