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Billet de blog 14 février 2025

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LE COLONIALISME N’EST PAS MORT, IL A JUSTE MUTÉ

Derrière l’illusion de la décolonisation, les mécanismes d’exploitation et de domination persistent sous d’autres formes. De la violence coloniale à l’empreinte économique post-indépendance, cet article décrypte comment le passé colonial continue de façonner le présent, entre refoulement historique et dépendances entretenues.

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I. Aux origines du colonialisme : un projet de domination raciste sous couvert d’intention civilisationnelle

L’occupation française de l’Algérie débute en 1830, lorsque les troupes françaises débarquent à Sidi-Ferruch, sous prétexte de répondre à l'affaire du "coup d’éventail" de 1827, soit trois ans après, 36 mois plus tard. Ce casus belli dissimule en réalité une volonté expansionniste motivée par des raisons économiques, politiques et stratégiques. La monarchie de Charles X, en difficulté sur le plan intérieur, cherche à détourner l'attention en lançant une campagne militaire en Afrique du Nord. Dès lors, la colonisation se met en place sous le prisme de la violence, du pillage et de la dépossession.

Contexte politique et économique de la France avant 1830

À la fin des années 1820, la France est confrontée à une crise économique majeure, marquée par une dette publique colossale et un mécontentement social grandissant. L’industrie est en stagnation, les récoltes mauvaises et le chômage en forte hausse. Politiquement, Charles X fait face à une opposition libérale qui critique son absolutisme et réclame des réformes démocratiques. L’expédition en Algérie est alors perçue comme une diversion utile, permettant de restaurer le prestige du régime et de détourner l’attention des tensions internes. En outre, les milieux d’affaires voient dans la conquête de nouvelles terres un moyen de revitaliser l’économie en ouvrant des marchés et en s’appropriant des ressources agricoles et minières.

Le mythe de la "mission civilisatrice" est immédiatement utilisé pour justifier la conquête. Pourtant, les méthodes employées contredisent totalement cette prétendue bienveillance. L’armée française applique une politique de terre brûlée, comme en témoigne le général Bugeaud, qui prône "la guerre totale", incluant l'extermination des populations rebelles et la destruction systématique des villages.

La brutalité de la répression : un précurseur des crimes modernes ?

Les enfumades de Dahra (1845), où des centaines d’Algériens sont asphyxiés dans des grottes par les troupes du colonel Pélissier, illustrent l’extrême brutalité de la répression. Ces pratiques, qui consistent à bloquer les issues des grottes où se sont réfugiés hommes, femmes et enfants avant d’y allumer des feux pour les asphyxier, rappellent des méthodes d’extermination bien plus tardives. Les enfumades de Dahra (1845), où l’armée française a utilisé des méthodes d’extermination comparables à celles du XXe siècle, sont l’un des épisodes les plus brutaux de cette période. De telles opérations ne sont pas isolées : d’autres massacres de grande ampleur ont lieu, notamment à Laghouat en 1852, où la ville est rasée et une grande partie de sa population massacrée. La terreur est une arme utilisée de manière systématique par l’armée coloniale pour soumettre les populations indigènes.

Durant les premières décennies de la colonisation, le bilan humain est catastrophique : pas loin d’un million d’Algériens ont été massacrés par l’armée française entre 1830 et 1870, en raison des combats, des massacres, des famines orchestrées et des épidémies provoquées par la destruction des cultures vivrières. Les terres les plus fertiles sont confisquées et redistribuées aux colons européens, poussant la population indigène vers une misère extrême et à une mort lente sur leurs propres terres, celles qu’ils avaient cultivées depuis des siècles.

L’idéologie raciale du colonialisme

La colonisation française en Algérie ne s'est jamais faite pour "élever les peuples" mais pour exploiter, soumettre et piller. Dès 1848, l’Algérie est divisée en départements français, mais les Algériens musulmans restent des sujets sans droits. Le Code de l’indigénat (1881) institue un système juridique d’apartheid où les autochtones sont soumis à des taxes spécifiques et à des restrictions arbitraires, tandis que les colons bénéficient d'une pleine citoyenneté.

Jules Ferry, dans son célèbre discours du 28 juillet 1885, expose sa théorie des races en déclarant : "Les races supérieures ont un droit sur les races inférieures" et justifie la colonisation comme un "devoir civilisateur" de la France. Cette vision paternaliste et raciste légitime aux yeux de l’élite politique et intellectuelle les violences commises en Algérie.

De son côté, Alexis de Tocqueville, pourtant perçu comme un penseur libéral, adopte une position radicale sur la guerre coloniale. Dans son rapport de 1841 sur l’Algérie, il recommande des mesures extrêmes : "Je crois que la destruction totale des tribus arabes est le seul moyen de pacifier durablement le pays". Pour lui, la colonisation passe nécessairement par l’expropriation, la répression brutale et la destruction des structures sociales indigènes. Ces théories ne sont pas de simples justifications idéologiques, mais elles se traduisent par des politiques d’extermination de grande ampleur.

Après la guerre de libération de l’Algérie (et non la guerre d’Algérie tout court) contre la tentative de maintien sous domination raciale et d’apartheid de la France, l’indépendance n’en était pas réellement pleine et entière.

II. Une indépendance sous contraintes : la continuité du pillage colonial

Si l’Algérie obtient son indépendance en 1962 après huit ans de guerre et des centaines de milliers de morts, les structures mises en place par la colonisation ne disparaissent pas pour autant. Les Accords d’Évian, bien qu’ils aient reconnu l’indépendance algérienne, incluaient des clauses garantissant à la France des privilèges économiques, notamment l’exploitation des hydrocarbures du Sahara jusqu’en 1971, date de la nationalisation par le gouvernement algérien sous Houari Boumediene. De plus, la France conserve une influence militaire jusqu’en 1967 et maintient son emprise à travers des élites locales formées dans l’administration coloniale. Cette dépendance post-coloniale est renforcée par des accords commerciaux déséquilibrés et des pressions politiques visant à empêcher l’Algérie d’adopter une politique économique totalement indépendante.

Ainsi, bien que l’Algérie ait recouvré sa souveraineté, elle reste piégée dans un système de domination néocoloniale qui perpétue, sous d’autres formes, les logiques d’exploitation mises en place sous l’occupation française.

La fin officielle du colonialisme ne signifie pas pour autant la fin de l’exploitation. En effet, le retrait de la France s’accompagne de la signature d’accords qui maintiennent une relation de dépendance. L’Algérie, en quête de reconstruction après une guerre qui a dévasté ses infrastructures et son économie, doit composer avec des engagements hérités du colonialisme, freinant son développement autonome.

Les Accords d’Évian : une indépendance sous conditions

Parmi ces accords, les Accords d’Évian (1962) prévoient la coopération économique et militaire entre les deux pays. L’Algérie doit garantir aux entreprises françaises l’accès à ses ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz du Sahara, en échange d’une reconnaissance de son indépendance. Ces ressources, vitales pour l’économie française, restent sous exploitation française pendant plusieurs années après l’indépendance. De plus, les infrastructures énergétiques et minières stratégiques demeurent sous contrôle français, assurant à l’ancienne puissance coloniale un levier économique sur l’Algérie.

Les bases militaires françaises restent présentes jusqu’en 1967, garantissant à Paris un contrôle stratégique sur la région. Les essais nucléaires français se poursuivent dans le Sahara jusqu’en 1966, avec des conséquences dramatiques sur l’environnement et la santé des populations locales, exposées aux radiations sans aucune protection ni reconnaissance officielle des dommages subis. Des centaines de milliers d’Algériens vivant dans les zones concernées souffrent encore aujourd’hui des effets des radiations et des maladies provoquées par ces expérimentations militaires.

Un néocolonialisme économique structuré

Sur le plan économique, l’Algérie, comme d'autres anciennes colonies, est intégrée dans un système de néocolonialisme où l'ancien colonisateur impose des accords commerciaux asymétriques. L’industrie algérienne naissante doit composer avec une dépendance technologique et financière à la France. Les banques françaises conservent une influence majeure sur l’économie algérienne à travers des investissements et des mécanismes de prêts qui limitent la souveraineté économique du pays.

L’accès aux technologies et aux brevets industriels est restreint, ce qui freine le développement autonome de secteurs stratégiques tels que l’agriculture, l’énergie et les télécommunications. L’Algérie doit importer massivement des équipements et du savoir-faire depuis la France et de l’Europe, ce qui maintient une dépendance structurelle et limite la capacité du pays à moderniser son économie.

La question du franc CFA et du contrôle économique

Le franc CFA, toujours en vigueur dans plusieurs pays africains, est un autre exemple criant de cette tutelle économique. Bien qu’abolie en Algérie après son indépendance, cette monnaie demeure un outil de contrôle pour les pays de l’Afrique subsaharienne, garantissant à la France un accès privilégié aux ressources africaines. Cette monnaie permet à la France de fixer les politiques économiques des pays qui l’utilisent, en régulant leur masse monétaire et en limitant leur capacité à mener des politiques monétaires indépendantes. Ainsi, malgré leur indépendance politique, ces pays restent prisonniers d’un système économique conçu pour favoriser l’ancienne métropole.

Une inégalité technologique entretenue révélatrice de la volonté de domination

Un indicateur frappant de cette inégalité est, par exemple, la distribution mondiale des technologies nucléaires. L’ensemble du continent africain, qui compte plus de 1,4 milliard d’habitants, ne possède que deux centrales nucléaires civiles en activité : une en Afrique du Sud et une autre en Égypte. En revanche, un petit pays européen comme la Belgique, avec à peine 11 millions d’habitants, dispose de sept réacteurs nucléaires. Cette disparité illustre la volonté de l’Occident de maintenir les anciennes colonies et les pays du Sud en général dans une dépendance technologique, en restreignant l’accès aux savoirs et aux infrastructures énergétiques de pointe. En empêchant ces pays d’acquérir des moyens de production autonomes, les anciennes puissances coloniales perpétuent un système où elles conservent le monopole des technologies avancées, consolidant ainsi leur position dominante.

Ainsi, bien que l’Algérie ait obtenu son indépendance politique en 1962, elle demeure soumise à des formes modernes d’exploitation et de domination, illustrant la persistance d’un colonialisme économique et technologique qui perdure sous d’autres formes.

III. Le mythe des bâtisseurs

En Algérie, de nombreux néo-colonialistes mettent en avant les infrastructures et les constructions réalisées durant la période coloniale comme preuve supposée des "bienfaits" de la présence française. Or, ces réalisations n’ont jamais été conçues pour le bien-être de la population autochtone, mais exclusivement pour répondre aux besoins des colons et du système colonial.

Ces infrastructures – routes, chemins de fer, bâtiments administratifs, ports – avaient pour objectif premier de faciliter l’exploitation des ressources naturelles et humaines de l’Algérie. Elles servaient à organiser et optimiser le pillage des matières premières, à assurer la logistique des colons et à renforcer l’appareil répressif destiné à maintenir la domination coloniale.

De plus, ces constructions n’ont pas été financées par la France métropolitaine, mais bien par les richesses de l’Algérie elle-même. La fiscalité imposée aux indigènes, les expropriations de terres agricoles et l’exploitation des ressources minières ont permis de financer l’ensemble du système colonial. Quant à la main-d’œuvre, elle était presque exclusivement algérienne, souvent sous-payée ou même soumise au travail forcé dans certaines périodes, notamment pour les grands chantiers publics.

Le travail forcé imposé aux Algériens dans la construction des infrastructures coloniales rappelle d’autres systèmes d’exploitation organisés sous contrainte, à l’image du STO en France sous l’Occupation, où la main-d’œuvre indigène était contrainte de travailler sans véritable contrepartie, dans des conditions de grande précarité et sous une surveillance militaire stricte. Les Algériens étaient réquisitionnés pour bâtir des infrastructures qui ne leur bénéficiaient pas, mais servaient à renforcer l’exploitation de leur propre territoire.

Les hôpitaux réservés aux colons

Parmi les infrastructures mises en avant par les défenseurs du colonialisme, les hôpitaux occupent une place centrale. Pourtant, ces établissements étaient en grande majorité réservés aux colons européens et à l’administration coloniale. Les Algériens autochtones, qui représentaient pourtant l’immense majorité de la population, avaient un accès extrêmement restreint aux soins, souvent relégués à des dispensaires sous-équipés et sous-financés.

Le système de santé colonial était structuré de manière à privilégier les colons et à maintenir les Algériens dans une situation de précarité sanitaire. Les taux de mortalité infantile et les épidémies qui décimaient les populations indigènes montrent à quel point la santé des Algériens n’était pas une priorité pour l’administration coloniale.

L’école : réservée aux colons

L’éducation sous le régime colonial était un outil de domination et d’exclusion. En 1830, avant la colonisation, environ 60 % de la population algérienne était alphabétisée (moyenne des sources), grâce à un réseau d’écoles coraniques et d’instituts d’enseignement (travaux de Mouloud Kacem Naît Belkacem, Mahfoud Kaddache, Charles-Robert AGERON). En 1962, à l’indépendance, le taux d’analphabétisme atteignait 85 % (fourchette basse), selon les études de Charles-Robert Ageron. Ce recul dramatique illustre le véritable impact du colonialisme sur l’éducation.

L’école coloniale était réservée aux colons et aux quelques Algériens triés sur le volet et qui devaient accepter de se plier aux exigences du système colonial, notamment en renonçant à leur identité culturelle et linguistique. L’accès des Algériens à l’éducation était intentionnellement restreint pour empêcher la formation d’une élite intellectuelle capable de remettre en question l’ordre colonial. Le peu d’écoles ouvertes aux indigènes dispensait une instruction rudimentaire et orientée vers la soumission aux autorités coloniales.

Ainsi, prétendre que la colonisation aurait "bâti" l’Algérie revient à masquer la réalité d’une exploitation brutale, où les infrastructures n’étaient qu’un outil au service de l’asservissement et de l’exploitation d’un peuple privé de ses propres richesses.

IV. La psychologie du colonialisme et du post-colonialisme : un refus de reconnaissance

Le colonialisme a laissé des séquelles profondes non seulement sur les pays colonisés, mais aussi dans l’esprit des anciens colonisateurs. L’un des mécanismes psychologiques majeurs observés est le refoulement collectif. Ce phénomène s’explique par une volonté consciente ou inconsciente d’échapper à la culpabilité et à la responsabilité historique. En France, ce refoulement s’accompagne souvent d’un récit national glorifiant l’expansion coloniale, minimisant ses crimes et présentant l’entreprise coloniale sous un prisme paternaliste.

Ce processus de refoulement se manifeste également à travers les résistances face aux revendications mémorielles des peuples anciennement colonisés. Les discours officiels et certains milieux académiques occultent volontairement certaines réalités du passé colonial, créant une fracture entre la perception des faits par les descendants des colonisés et celle des sociétés colonisatrices. La mémoire coloniale est ainsi fragmentée, instrumentalisée et parfois niée.

Le colonialisme refoulé dans la mémoire collective

En psychanalyse, Sigmund Freud a démontré que ce qui est refoulé ne disparaît jamais, mais ressurgit sous d’autres formes, créant des tensions internes et sociales. Ainsi, en tentant de masquer son passé colonial, la France nourrit un malaise mémoriel persistant. Ce malaise se traduit par une crispation face aux débats sur l’enseignement de la colonisation, une réaction défensive lorsqu’il est question de crimes coloniaux et une mise en avant d’un récit historique expurgé de ses violences. Un exemple marquant de ce refoulement est la controverse autour des statues de figures coloniales en France, comme Bugeaud ou Colbert. Leur maintien dans l’espace public reflète la difficulté de la société française à assumer pleinement la brutalité de son passé colonial.

Ce déni collectif s’exprime par :

  • Le blocage des archives coloniales, empêchant une lecture complète des faits historiques et limitant l’accès aux documents relatifs aux massacres et exactions commis par l’armée française. Aujourd’hui encore, une grande partie des archives sur la guerre d’Algérie et la répression coloniale restent inaccessibles. Par exemple, les dossiers relatifs aux disparus de la bataille d’Alger (1957) et aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata (1945) ne sont que partiellement ouverts aux chercheurs, limitant l’accès à une vérité historique complète 
  • La minimisation des exactions dans les manuels scolaires, où la colonisation est souvent réduite à un "échange culturel", sans mentionner les destructions, les massacres et l’exploitation systématique ;
  • Le refus de toute reconnaissance officielle des crimes coloniaux, comme en témoigne l’absence d’excuses de l’État français pour les violences perpétrées durant la guerre d’Algérie, à l’exception de quelques déclarations politiques ponctuelles ;
  • La glorification de certaines figures coloniales, à travers des statues, noms de rues et hommages officiels, alors que ces mêmes personnages sont directement responsables de massacres et de politiques répressives.

Le néo-colonialisme et les résistances idéologique

Les velléités néocolonialistes de la droite et de l'extrême droite participent à entretenir le déni de la réalité coloniale et de ses atrocités. Des figures politiques et médiatiques issues de ces courants défendent une lecture biaisée de l’histoire coloniale, allant jusqu’à revendiquer les "aspects positifs" de la colonisation. Cette rhétorique vise à légitimer la domination passée et à justifier les ingérences actuelles de la France dans les affaires africaines.

Ce phénomène est nourri par un racisme structurel et une islamophobie persistante dans un Occident qui ne semble pas avoir perdu ses tendances racistes. Certains discours politiques associent systématiquement immigration, islam et menace civilisationnelle, dans un prolongement des justifications coloniales du XIXe siècle. Par exemple :

  • La loi du 23 février 2005, qui prônait l’enseignement des "aspects positifs de la colonisation" avant d’être abrogée sous la pression de l’opinion publique.
  • Les débats sur l’immigration, où certains responsables politiques assimilent la présence de populations issues des anciennes colonies à une "invasion" culturelle menaçant l’identité nationale.
  • La nostalgie du colonialisme, exprimée par des groupes d’extrême droite qui idéalisent l’Algérie française et considèrent l’indépendance algérienne comme une erreur historique.

Ce climat idéologique empêche toute avancée vers une véritable reconnaissance des crimes coloniaux et contribue à perpétuer les inégalités héritées de cette période. La négation du passé colonial est un obstacle majeur à une réconciliation sincère entre la France et ses anciennes colonies.

V. Le mythe de la repentance : reconnaître ses torts n’est pas s’humilier

L’accusation de "repentance" ou de "dette mémorielle" est une stratégie rhétorique visant à délégitimer toute reconnaissance des crimes coloniaux. Pourtant, la France elle-même a exigé et obtenu des réparations de l’Allemagne nazie après 1945.

Une reconnaissance inégale des crimes historiques

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a versé plus de 80 milliards d’euros de réparations aux victimes de la Shoah et aux pays concernés par l’occupation nazie. La France a bénéficié de réparations financières, de la restitution de biens spoliés et d’excuses officielles de l’Allemagne à plusieurs reprises. Ces réparations ont été perçues comme une nécessité morale et juridique, et non comme une humiliation.

Pourquoi alors appliquer un double standard lorsqu’il s’agit des crimes coloniaux ? Pourquoi la France aurait-elle le droit d’exiger des comptes, mais ses anciennes colonies devraient-elles "passer à autre chose" ?

En 1984, lors d’un discours à Verdun, Helmut Kohl et François Mitterrand se sont tenus la main en signe de réconciliation. Cet acte n’a pas affaibli l’Allemagne, mais l’a renforcée dans son rôle en Europe.

D’autres pays ont également reconnu et réparé leurs crimes :

  • L’Afrique du Sud a mis en place une Commission Vérité et Réconciliation après l’apartheid.
  • Le Canada a indemnisé les peuples autochtones victimes des internats forcés.
  • Les États-Unis ont accordé des réparations aux Japonais-Américains internés durant la Seconde Guerre mondiale.

La reconnaissance des crimes coloniaux : un double standard

Malgré les avancées internationales en matière de justice mémorielle, la France refuse toujours de reconnaître pleinement la nature génocidaire et systémique des exactions commises en Algérie et dans d’autres colonies. Officiellement, la France n’a jamais qualifié la colonisation de crime contre l’humanité, bien que certaines figures politiques, comme Emmanuel Macron en 2017, aient timidement évoqué cette qualification. Cependant, aucune loi ni action concrète n’a suivi ces déclarations.

La "rente mémorielle" : un concept fallacieux

Certains cercles politiques avancent l’argument de la "rente mémorielle", affirmant que les anciennes colonies exploiteraient un sentiment de culpabilité. Or, cet argument est infondé : contrairement aux Juifs victimes de la Shoah, qui ont reçu des réparations financières, institutionnelles et culturelles, l’Algérie et d’autres ex-colonies n’ont jamais bénéficié d’une reconnaissance ni d’une compensation.

Au contraire, la France continue de profiter des accords postcoloniaux qui lui assurent un accès privilégié aux ressources et aux marchés de ses anciennes possessions.

Une aide au développement trompeuse

La France n’a jamais payé de réparations à l’Algérie. L’"aide au développement", souvent présentée comme un geste de bonne volonté, est en réalité une aide conditionnée, largement compensée par des accords commerciaux inégaux. L’exploitation des ressources naturelles reste sous contrôle de groupes français, et il n’existe pas de véritable transfert de technologie vers ces pays, maintenant ainsi une dépendance structurelle.

L’humiliation d’un État qui refuse son passé

L’humiliation de la France ne vient pas de la reconnaissance de ses crimes, mais de son refus d’y faire face. Contrairement à l’Allemagne, qui a su affronter son passé et en sortir renforcée, la France persiste dans un déni qui affaiblit son image internationale. Rejeter la reconnaissance des crimes coloniaux sous prétexte de préserver la fierté nationale est une stratégie contre-productive qui ne fait que nourrir l’extrême droite, porteur des plus bas instincts de l’être humain.

Il ne s’agit pas de "repentance", mais d’une reconnaissance légitime

Parler de repentance est une manipulation rhétorique. Exiger de la France qu’elle reconnaisse ses crimes coloniaux n’a rien à voir avec un acte religieux ou moral : il s’agit d’une exigence de vérité historique.

Les peuples anciennement colonisés ne demandent pas que la France se flagelle, mais qu’elle reconnaisse objectivement les exactions commises et présente des excuses officielles.

Exemple : En 1995, Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs sous Vichy. Cet acte n’a pas affaibli la France, il a permis un pas vers une réconciliation mémorielle. Pourquoi ce qui a été possible pour les crimes de Vichy ne le serait-il pas pour les crimes coloniaux ?

L’indemnisation : un principe de justice, pas une faveur

Une fois la reconnaissance faite, la question des indemnisations doit être posée. Plusieurs solutions existent :

  • Indemnisation des familles de victimes de massacres coloniaux (ex. Sétif, Guelma, Kherrata).
  • Restitution des biens pillés dans les musées français.
  • Reconnaissance officielle et intégration des faits coloniaux dans les programmes scolaires.

Exemple : En 2021, la France a restitué au Bénin 26 œuvres d’art pillées pendant la colonisation. Ce geste montre qu’il est possible d’agir sans affaiblir la France.

Une nécessité pour la réconciliation et la souveraineté des anciennes colonies

L’absence de reconnaissance et d’indemnisation ne profite ni à la France ni à ses anciennes colonies. Tant que ces questions restent en suspens, elles alimentent les rancœurs et empêchent une relation saine et apaisée. La France doit comprendre que reconnaître ses torts n’est pas un acte de faiblesse, mais une preuve de maturité politique et morale.

Exiger des excuses et des réparations n’est pas un caprice victimaire, c’est un droit fondamental. La France elle-même l’a fait auprès de l’Allemagne et d’autres pays. Il est donc légitime que les victimes du colonialisme obtiennent la même reconnaissance.

VI. Le colonialisme effacé des mémoires : une histoire sous silence

La colonisation n’a pas seulement été brutale, elle a aussi été cachée. Pendant des décennies, la France a délibérément occulté les crimes coloniaux en restreignant l’accès aux archives officielles. Aujourd’hui encore, une partie des archives coloniales reste classifiée, empêchant une lecture complète et transparente de cette période. Cette opacité institutionnelle empêche les chercheurs et historiens de documenter avec précision les massacres, les spoliations et les exactions commises dans les colonies.

Les archives militaires et administratives contenant des informations sensibles sur la répression des révoltes anticoloniales, les ordres de destruction de villages et les détentions arbitraires ne sont pas librement accessibles. Par exemple, les archives de la guerre d’Algérie, qui pourraient permettre d’établir la responsabilité de l’État français dans les tortures et exécutions sommaires, restent partiellement inaccessibles sous prétexte de "protection des secrets d’État".

Une histoire coloniale édulcorée dans l’éducation nationale

L'enseignement de l’histoire coloniale dans les écoles françaises est tout aussi édulcoré. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata (1945), où l’armée française a tué des milliers d’Algériens, sont largement ignorés ou minimisés. Ces événements sont souvent réduits à de simples "troubles" ou "violences ponctuelles", alors qu’il s’agit en réalité d’une répression massive planifiée par les autorités françaises. Les manuels scolaires présentent encore la colonisation comme un "échange culturel" ou une "mission civilisatrice", minimisant les violences et les politiques d’expropriation imposées aux peuples colonisés.

De plus, l’histoire de la résistance anticoloniale est rarement mise en avant. Des figures emblématiques comme Messali Hadj, Ferhat Abbas ou encore les combattants indépendantistes vietnamiens et malgaches sont souvent reléguées au second plan. À l’inverse, certains manuels glorifient des figures coloniales sans jamais mentionner leurs responsabilités dans des crimes de guerre.

Figures françaises et idéologie coloniale

Plusieurs grandes figures françaises, souvent présentées comme des intellectuels ou des visionnaires, ont en réalité soutenu activement la colonisation et développé des théories racistes pour la justifier :

Jules Ferry (1832-1893) : Il est considéré comme l’un des principaux architectes de la colonisation française. Dans son célèbre discours de 1885, il justifie l’expansion coloniale en affirmant : "Les races supérieures ont un droit sur les races inférieures". Il prône une colonisation destinée à "éduquer" et "civiliser" les peuples conquis, tout en servant les intérêts économiques de la France.

Alexis de Tocqueville (1805-1859) : Si Tocqueville est souvent cité pour ses réflexions sur la démocratie, il fut aussi un fervent défenseur de la colonisation. Dans son rapport de 1841, il recommande l’expropriation des terres des Algériens et n’hésite pas à soutenir des méthodes brutales pour "pacifier" la population autochtone.

Hubert Lyautey (1854-1934) : Résident général du Maroc et partisan d’un colonialisme paternaliste, il développe une idéologie où les indigènes doivent être maintenus sous contrôle strict, tout en étant instrumentalisés pour servir les intérêts français.

Louis Faidherbe (1818-1889) : Gouverneur du Sénégal, il met en place un système de domination militaire et économique sur l’Afrique de l’Ouest, instaurant un modèle d’exploitation des ressources locales au profit de la métropole.

Ces figures, encore célébrées dans l’espace public français à travers des statues et des noms de rues, témoignent de la difficulté de la France à assumer pleinement les implications de son passé colonial. En glorifiant ces personnages sans remettre en question leur rôle, le pays perpétue une vision biaisée et incomplète de son histoire.

VII. L’oubli forcé ne mène qu’à la répétition et au colonialisme refoulé

Le colonialisme est souvent présenté comme une période révolue, mais tant que la France refuse d’en assumer pleinement les conséquences, il reste une réalité persistante. Le néocolonialisme, les inégalités héritées du passé et la marginalisation des mémoires coloniales témoignent de cette continuité.

Comme l’a montré Freud, ce qui est refoulé ne disparaît jamais, il ressurgit ailleurs. Tant que la colonisation restera un sujet tabou en France, elle continuera d’être un point de crispation dans la société. Ce déni entraîne un malaise mémoriel collectif qui se manifeste par des réactions de rejet dès que le sujet colonial est évoqué dans le débat public. Ainsi, toute tentative de reconnaissance des crimes coloniaux est immédiatement caricaturée comme une "repentance excessive" ou une "haine de soi".

Reconnaître le passé colonial, ce n’est pas un acte de faiblesse, mais une preuve de maturité. C’est aussi la seule manière d’envisager une réconciliation véritable entre la France et ses anciennes colonies. Refuser cette reconnaissance empêche une relation saine et apaisée.

Un colonialisme toujours vivace

Le colonialisme n’est pas seulement un système économique ou territorial : il est aussi une idéologie. Malgré les indépendances, l’esprit colonial n’a jamais disparu. Les anciens colons et leurs héritiers politiques continuent d’entretenir une vision raciste et paternaliste vis-à-vis des ex-colonies.

Les discours politiques en France en témoignent : certains responsables évoquent encore "les bienfaits de la colonisation", minimisant les crimes commis. Lors du débat sur la loi du 23 février 2005, un article controversé prônait l’enseignement des aspects "positifs" de la colonisation dans les écoles françaises. Cet article a été abrogé sous la pression de l'opinion publique, mais il illustre l’incapacité à reconnaître la colonisation comme un crime historique.

L’idéologie coloniale persiste également dans les relations économiques et diplomatiques entre la France et ses anciennes colonies. Le maintien de bases militaires françaises en Afrique, le contrôle des ressources stratégiques et l’imposition d’accords économiques favorisant la France sont autant d’éléments qui prouvent que la domination coloniale ne s’est jamais totalement éteinte.

Colonialisme et racisme : une pathologie sociale ?

Le colonialisme, à l’instar du racisme, peut être vu comme une maladie sociale profondément enracinée. Il repose sur une hiérarchisation des peuples et des cultures, justifiant l’exploitation et la domination sous couvert de supériorité civilisationnelle. Ce schéma de pensée perdure encore aujourd’hui, notamment à travers l’islamophobie grandissante en Europe.

Dans l’espace public, la mémoire coloniale est souvent combattue par les milieux conservateurs et d’extrême droite, qui y voient une menace pour l’identité nationale. Les polémiques récurrentes sur les statues de figures coloniales, la crispation autour des débats sur la restitution des biens pillés et l’opposition systématique à toute reconnaissance des crimes coloniaux illustrent ce refus de regarder l’histoire en face.

La colonisation ne s’est pas seulement imposée par les armes : elle s’est enracinée dans les mentalités. Tant que ce modèle de pensée persiste, il sera difficile d’établir une relation véritablement égalitaire entre la France et ses anciennes colonies, entre la France et l’Algérie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.