L’un des plus sûrs moyens d’aller vers la Paix est de rechercher le Beau, mot qui possède une « parenté étymologique avec les notions de bon et de bien. » Mon propos n’est pas celui d’un hagiographe, mais je choisis ici l’emploi de ce mot « dans la sphère intellectuelle et morale » pour évoquer Son Altesse Sheikha Mozah Bint Nasser Al-Missned.
Permettez-moi d’exprimer à la fois, dans ces lignes, un regret et un espoir, aussi forts l’un que l’autre. Ils m’unissent à nombre d’êtres humains conscients que la valeur de la Paix dépend de celle qu’on lui attribue, des efforts engagés et constants qu’on lui consacre et qui en mesurent, aujourd’hui comme hier, la permanence de la fragilité.
J’émets dans ce cadre une hypothèse : la Paix a besoin, parmi d’autres exigences, de femmes tutélaires, adjectif pris ici dans le sens de son étymologie générale tutela qui désigne l’action de veiller sur quelque-chose ou quelqu’un, et plus particulièrement de son origine latine tutelaris, lorsqu’il s’agit d’administrer un domaine qui peut être, soit physique (territoire), soit conceptuel et moral (la dignité humaine).
Or, nous venons de perdre une grande Dame, une immense figure de la Paix et du respect de chaque Personne sur terre avec la disparition de Simone Veil. Ce nous inclut bien entendu l’humanité entière : dans l’universalité de son combat pour la Dignité, Simone Veil avait l’autorité lui permettant, après avoir survécu à l’enfer hitlérien, de rappeler l’effectivité de l’extermination des Juifs et des Tziganes, ainsi que d’autres minorités. Honte à ceux qui la nient !
Par son courage et sa force de témoignage, Simone Veil a résisté au triste et pitoyable combat d’arrière-garde qui voulait priver les femmes de la libre disposition de leur corps et, parfois, de leur vie. Elle a aussi participé, parmi ses multiples interventions au cours desquelles sa générosité humaniste s’est exprimée, au rappel de la nécessaire protection de « l’hominité de l’homme », selon l’expression de Vladimir Jankélévitch. Elle s’applique dès la naissance, c’est à dire, dans le cadre d’un continuum qui s’impose, sans un instant d’interruption, de l’enfance à la vieillesse.
C’est précisément pour l’enfance que Sheikha Mozah œuvre depuis des années, par l’éducation et la protection sanitaire. Un être humain a droit à la dignité dès le début de sa vie. Je ne sais si Simone Veil et Sheikha Mozah se connaissaient ; je mesure ce que leur parcours a de différent, particulièrement dans les épreuves invivables de la Shoah ; mais je crois que Sheikha Mozah, dans un registre autre, peut et doit incarner le courage qui porte une mission salvatrice.
Il existe dans le monde de très nombreuses femmes, connues ou anonymes, qui font honneur aux valeurs d’une humanité désormais orpheline de Simone Veil. Par les soins qu’elles apportent aux plus démuni(e)s - et cette constatation s’étend sur une portée incluant tous les secteurs de la bienfaisance, qu’elle soit spontanée et individuelle, ou regroupée et étendue à une sphère plus large -, tant de femmes offrent à ce monde la fraternité qui, figurant dans notre triptyque républicain comme la fondation de la plus belle des nations, constitue le liant universel.
La perspective qu’une femme musulmane prenne le relais qu’une femme juive tend de son bras si réel parce que si symbolique, qu’une Émira Qatarie place les pas de ses altruistes actions dans ceux d’une Française dont la noblesse d’âme était sans équivalent parmi les personnalités de ce monde, constitue une espérance de Paix.
Il faut aider et appuyer le ferme soutien qu’apporte Sheikha Mozah aux projets internationaux visant à améliorer la qualité et l’accessibilité de l’éducation sur l’ensemble du globe. Car s’il est une leçon que je retiens de la vie de Simone Veil, c’est qu’elle fut, sinon seule, souvent soutenue par quelques trop peu nombreux esprits éclairés et courageux. Ses combats n’en sont que plus remarquables. Il convient que Sheikha Mozah bénéficie, dans sa détermination à œuvrer en faveur du petit être qu’est l’enfant, de l’appui le plus large possible.
Sans doute se tournera-t-elle vers le ciel où se trouve l’âme de Simone Veil afin de bénéficier de la bienveillance et de la force nécessaires à une mission sans fin et exaltante : l’Education, pour toutes, pour tous. Cela s’appelle une chance donnée à chacun. Cette chance que n’ont pas eue les enfants exterminés par le crime nazi.
M. Morad EL HATTAB
Lauréat du Prix littéraire pour la Paix et la Tolérance
Diplômé Médaille d’Argent de l’Académie des Arts, Sciences et Lettres