Morgan Crochet (avatar)

Morgan Crochet

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 décembre 2025

Morgan Crochet (avatar)

Morgan Crochet

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

Problematik, le média engagé qui manquait à la commu LGBT

Un nouveau venu s’apprête à faire son apparition du côté des médias LGBT, dont le projet innovant a créé la surprise sur Ullule. "Problematik", un “média queer pour dégager l’horizon” compte bien occuper le terrain et redynamiser la presse communautaire.

Morgan Crochet (avatar)

Morgan Crochet

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
problematik

L’époque bascule. Le capitalisme continue de détruire la planète, l’extrême droite monte, les milliardaires réactionnaires contrôlent les grands médias, la démocratie s’étiole. Résultat, les attaques contre “les minorités” s’intensifient. Avec les personnes racisées, les LGBTQ sont les premières cibles du fascisme, et chaque jour, le flux de mauvaises nouvelles assombrit nos perspectives.” Le ton a été donné dès la campagne de financement de Problematik, évolution collective du média Mécréantes, qui devait se tenir du 27 octobre au 27 novembre et s’est finalement terminée tambour battant ce vendredi 12 décembre sur la plateforme de crowdfunding Ullule. Porté par l’essayiste Léane Alestra (fondatrice de Mécréantes, elle est également autrice de Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? et des Vigilantes. Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l’extrême droite), la journaliste et cofondatrice de Manifesto XXI Apolline Bazin (également autrice de Drag. Un art queer qui agite le monde) et la militante Arya Meroni (elle devrait également faire paraître un ouvrage aux éditions La Découverte sur les stratégies des mouvements féministes et LGBT), Problematik est parvenu à récolter pas moins de 101.079 euros, une somme particulièrement élevée pour un média communautaire indépendant, et accessoirement son objectif de départ le plus ambitieux.

Les raisons d'un succès

On peut avancer plusieurs raisons à ce succès : la bascule de l’époque, comme évoquée précédemment, et la possibilité de voir le Rassemblement national accéder au pouvoir en 2027, mais aussi une campagne dynamique – la tribune de soutien a été signée par de nombreux universitaires, militants, politiques (EELV et LFI), journalistes (dont l’auteur de ses lignes) et artistes (dont les drags queens Sara Forever, Nicky Doll, Moon, Paloma, Babouchka Babouche, mais aussi Alexis Langlois, Fatima Daas, Adele Haenel, Melissa Laveaux, Océan, Hortense Belhôte…). Enfin, la ligne éditoriale annoncée, qui vient combler une place laissée vacante par les principaux médias communautaires actuels, et que Léane Alestra a parfaitement résumée ce vendredi 12 décembre au micro de Margot Bonnéry, journaliste médias à L’Humanité : “Les personnes queers ont un prisme situé intéressant, et du coup qu’est-ce que ça veut dire de parler de géopolitique, de parler d’histoire, de parler de culture, de parler des enjeux de lutte, de ce qui se passe dans l’actualité, avec une grille de lecture queer sur cela, et pas uniquement sur l’actualité queer.”

Fin du nombrilisme : un regard queer sur le monde

Si certains se demandent ce que la possibilité de voir apparaître dans le paysage médiatique un regard queer sur le monde a de si novateur, il n’est pas besoin de remonter bien loin pour en faire la démonstration. Aucun des médias LGBT actuels (racheté par Vincent Bolloré et le groupe Prisma Media, on devine le peu de marge de manœuvre dont bénéficient les journalistes, méritants, de Néon) n’a abordé la crise des Gilets jaunes en 2019, la guerre en Ukraine en 2022 ou encore le génocide à Gaza ces dernières années, et ce malgré les engagements associatifs et communautaires qui ont fait vibrer les Pride de 2025. Ce regard queer a évidemment quelques détracteurs du côté des identitaires et universalistes LGBT, lesquels se sont par exemple émus cette année de l’affiche intersectionnelle de la Pride de Paris, où les couleurs de l’arc-en-ciel côtoyaient celles du drapeau palestinien, demandant sous chaque publication incriminée : “Quel rapport avec les LGBT?” (Outre la solidarité bien compréhensible à l'égard de civils bombardés massivement, et quotidiennement, sur les bords de la Méditerranée, un lien tout LGBT a été énoncé par notre confrère Jean Stern dans son enquête sur le pinkwashing israélien, Mirage gay à Tel-Aviv (Libertalia) réédité cette année : “Israël a certainement tué davantage de LGBT en plus d’un an de guerre à Gaza que le Hamas en 17 ans de règne sur le territoire.”) Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. 

"Assignées au particulier, celleux qu’on range dans “les minorités” sont maintenues à la marge, hors des lieux de prise de décision politique. Mais c’est aussi depuis ce bord que leurs savoirs situés offrent une vision panoramique, capable de saisir l’ensemble des enjeux de nos sociétés. C’est cette clarté-là qu’il est urgent de mettre en avant. La mission de Problematik est donc de couvrir toutes les luttes de justice sociale et d’émancipation."

Ainsi Problematik ose dire les termes, et envisager de se hisser au niveau de l'Histoire. Un courage et une honnêteté appréciables quand tant d’autres avancent masqués, croyant dissimuler ce qui pourtant saute aux yeux, à condition de les garder bien ouverts.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.