À Rennes, tout le monde connaît Iskis (mot breton signifiant “bizarre”), le centre LGBT de la capitale bretonne et seul centre de la région où convergent usagers, militants et associations depuis 2001. Grâce au Plan national pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2023-2026 mis en place par la Dilcrah (La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT ), deux salariées ont pu rejoindre l’année dernière l’équipe de bénévoles afin d’organiser et de soutenir les nombreuses actions mises en place par le lieu… Mais dans un communiqué publié le 7 octobre, l’association tire la sonnette d’alarme, la Dilcrah ayant amputé de 40 000 euros les aides au fonctionnement du centre, mettant en péril les recrutements nécessaires au fonctionnement d’Iskis, dont les missions ont augmenté et permettent aujourd’hui un meilleur accompagnement du public.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce communiqué ?
La baisse drastique de notre budget. En 2023, la Dilcrah nous a aidés à hauteur de 24.000 euros. En 2024, nous avons reçu 50.000 euros, ce qu'il nous fallait pour embaucher deux salariées à 80%. Cette année, la participation est tombée à 10.000 euros. Quand on a demandé des explications, la délégation nous a renvoyé à la préfecture, qui nous a répondu que c'était à cause du contexte budgétaire, sans d'autres précisions. Comme nous faisons partie de la fédération LGBTI+, nous échangeons avec les autres centres sur nos activités. À besoin équivalent, le centre de Rennes a eu beaucoup moins que les autres cette année. On a donc déposé un recours au tribunal administratif pour essayer d’obtenir des réponses. Aujourd'hui c'est nous, mais ça pourrait bientôt concerner tous les autres.
Quels sont les rôles de vos deux salariés ?
On a une coordinatrice administrative, dont l’action nous permet de répondre très rapidement aux demandes. Et c’est également elle qui s'occupe de l'emploi du temps de l'association. Nous avons ensuite embauché une coordinatrice de l'accompagnement du public, en raison des nombreuses sollicitations qu'on reçoit de personnes en difficulté, qu’il s’agisse de problèmes juridiques, administratifs, de santé…
Quelles sont les activités d’Iskis ?
Au départ, il y avait vraiment deux missions principales. La première, c'était de proposer aux personnes LGBTI+ en difficulté un endroit avec des personnes concernées vers qui se tourner. La deuxième, c'était que ce lieu puisse s'organiser entre personnes LGBTI+ pour faire du militantisme et défendre nos droits. Avec le temps, cela s‘est décliné en plusieurs choses. Par exemple, on a aujourd’hui une commission culture qui s’occupe de diffuser et de mettre en valeur la culture LGBTI+. On organise à ce titre, une fois par an, un festival de cinéma queer, Regard(s). On met aussi en place des ciné-débats, des clubs de lecture… On a une bibliothèque queer et féministe. On a aussi une commission santé, qui s'occupe d'informer les personnes sur leur santé et sur leurs droits. Je pense notamment aux personnes en parcours de transition, ou à celles vivant avec le VIH. On travaille aussi en collaboration avec des associations comme AIDES, qui vient proposer des dépistages au sein du local. On a également une commission accueil-écoute qui concerne tout ce qui est de l’ordre de la lutte contre l'isolement des LGBTI+. On organise des groupes de paroles, des permanences régulières, notamment conviviales où s’amuser, manger ensemble… Plein de choses pour faire en sorte que des personnes isolées puissent trouver une communauté, des ami·es, se faire du bien et ne pas rester seules si cela leur pèse. On ne remplace évidemment pas des professionnels de santé, on ne fait pas de suivis, mais si quelqu’un a besoin d’écoute, on essaie au maximum de pouvoir répondre à ce besoin.
Combien avez-vous de bénévoles ?
Alors ça dépend un petit peu des moments. Je dirais qu'il y en a entre 20 et 30 qui sont très régulièrement présents à l'association. Et il y a des personnes qui préfèrent nous rejoindre sur des projets ponctuels. Par exemple, je dirais qu’il y a une soixantaine de bénévoles qui participent au festival de cinéma et culture queer. Pour la marche des fiertés, on peut compter sur 80 à 100 personnes. Chacun participe selon ses envies ou ses possibilités.
Quelles seront les conséquences du départ de vos salariées pour le centre ?
Jusqu'en 2023, on avait énormément de mal à répondre à toutes les sollicitations. Du coup les personnes attendaient, et des mails nous passaient même sous le nez. On n’était pas non plus en mesure de toujours répondre au téléphone, donc toutes les personnes qui ne pouvaient pas forcément écrire un mail, qui n'avaient pas accès à l'informatique ou autre, ne parvenaient pas à nous joindre facilement. D’autres sont venues et ont trouvé porte close parce qu’il n’y avait personne. On était beaucoup moins disponibles, et des gens ont dû attendre alors qu’ils étaient dans des situations d’urgence. Et puis, forcément, on touchait beaucoup moins de monde. Aujourd’hui, on a augmenté le volume de nos activités. Il faut comprendre que pour mettre en place une activité, il faut définir un budget et faire avec tout un tas de contraintes organisationnelles qu’il faut définir, et auxquelles il faut répondre.
Tu peux me donner un exemple d’une activité en particulier ?
Par exemple, cette année on a aidé la ville de Rennes à élaborer son nouveau plan de lutte contre les discriminations, qui va entrer en vigueur cette année. On a pu y participer grâce à nos salariées qui, en libérant du temps aux bénévoles, ont permis à certains d’entre eux de participer aux séances de travail. Ca n’aurait jamais été possible avant. Dans l'idéal, on aurait souhaité passer le poste administratif à temps plein, voire les deux, mais dans la situation actuelle, si on arrive à garder les emplois, ce sera déjà bien. En tout cas, il y a largement assez de boulot pour passer à 100%.
Comment expliques-tu cette baisse de dotation ?
Je pense qu’il y a une méconnaissance sur les besoins des centres. Et il est important pour nous de prouver leur utilité. On est peut-être le premier à qui ça arrive, mais dans les années à venir, cela pourrait se généraliser. La lutte contre les discriminations ne doit pas passer au second plan, même en cas de crise budgétaire. Le mercredi, dans les permanence, on a entre 70 et 80 personnes. On sent qu’on est important.
Et puis n’oublions pas que les discriminations augmentent. On est de plus en plus sollicité par des personnes qui sont dans des situations vraiment très compliquées. Ça nous désole de constater le manque de soutien des institutions, parce que le climat politique ne va pas s’arranger, et nous en avons été personnellement victimes. En 2023, en amont de la marche, le groupe identitaire L’Oriflamme a déployé une banderole “Fuck LGBT” avant de dégrader nos locaux à deux reprises en 2024 (jets de peinture sur la façade, tags, glue dans la serrure). L’escalier arc-en-ciel de la fac de Rennes 2 a également été dégradé à deux reprises. C’est hyper démoralisant pour les personnes qui viennent à l’association. Les militants ont conscience des dangers, et vivent avec ça. Mais quand on vient au local chercher de l’aide et qu’on se sent déjà vulnérable, c’est très dur. Et puis on se demande où ça va s’arrêter. À Tous, il y a quand même eu une attaque à l’explosif.