Le Nomade des Mers est rentré samedi dernier, 25 juin, dans le port de Concarneau. Projet phare du collectif Low-tech Lab, le catamaran, véritable « bateau-laboratoire », a documenté, testé et partagé pendant 6 ans et 25 escales à travers le globe, des technologies dites « basses » (des techniques et pratiques définies comme utiles, accessibles et durables).
« On a réussi à créer un mode de vie totalement low tech à bord du bateau » se réjouit Corentin de Chatelperron, ingénieur de formation et capitaine du bateau. Une visite du bateau permet d’en avoir le cœur net : on voit des élevages de mouches et de grillons, des plantations et des systèmes de cuisson solaire (pour subvenir aux besoins alimentaires), des éoliennes pour produire de l’énergie et toute une panoplie d’outils, comme un pédalier multifonction.
Pour fêter dûment son retour dans son port d’attache, le Low-tech Lab organise le Festival Low Tech qui a débuté samedi dernier et se déroulera jusqu’au 3 juillet. Au programme : des conférences, concerts, expositions, ateliers, films, table rondes, discussions, visites scolaires, le tout dans une ambiance conviviale et décontractée.
Sensibiliser le public
« Qui connaît les low tech ? » La réponse à la question de la première conférence du festival, non sans provoquer des rires, n’a surpris personne : le public dans sa grande majorité est déjà largement acquis aux low tech.
Comment, alors, toucher un public plus large ? Une première stratégie du Low-tech Lab est médiatique. L’aventure du Nomade des Mers a notamment été documenté à travers un livre et une série télévisée sur Arte et d’innombrables articles y ont été consacrés dans la presse et les réseaux sociaux. L’autre grand projet du Low-tech Lab, l’Habitat Low Tech, une « tiny house » dans laquelle des low tech furent expérimentés pendant 9 mois - et qu’on peut visiter durant le festival - a également donné lieu à une forte couverture médiatique. L’Habitat Low Tech a aussi quelque chose d’exotique : avec ses 14 m2 et ces occupants (deux ingénieurs entourés de 11 low tech), il n’est pas forcément représentatif de l’habitat en général.
Une autre stratégie du Low-tech Lab est de favoriser, multiplier et connecter les différentes initiatives low tech nationales et internationales. Ainsi le programme « communauté » aide des individus ou organisations à concevoir des projets low tech dans des villes comme Grenoble, Marseille, Bordeaux, Boulogne-Billancourt ou Péi, et dans des pays comme le Luxembourg ou la Suisse. Le programme des « explorers », qui partent, parfois seuls, aux quatre coins du monde, vise à référencer et documenter des initiatives low tech. Quant aux outils internet, notons que le Low-tech Lab héberge 150 tutoriels sur son site web, dont une cinquantaine sont issus de l’expédition Nomade des Mers.
Se passionner pour les low tech
Le Festival Low Tech est l’occasion de se focaliser sur l’utilisation et l’appropriation des low tech. Construire une marmite norvégienne, cultiver des champignons ou des algues, réparer un vélo, utiliser des toilettes sèches, utiliser un concentrateur solaire pour cuire du pain ou torréfier des graines : un des objectifs des démonstrations et des ateliers du Festival Low Tech est de montrer que les low tech sont accessibles à tout un chacun. Toutefois, malgré cette volonté de démocratisation et de domestication, des obstacles subsistent au niveau opérationnel : « quand on n’est pas bricoleur, ce n’est pas si simple » déplore une participante lors d’une discussion.
Les partisans du low tech sont aussi régulièrement confrontés à des réactions pessimistes et négatives, des discours qui décrivent ces technologies comme un « retour en arrière ». L’ennemi a des visages multiples : la croyance aveugle dans le progrès, la complexité numérique des nouvelles technologies, les visions et promesses techno-optimistes de gens comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, la « start-up nation ».
D’où la volonté affichée de donner une image optimiste et enthousiaste des low tech. « Les low tech peuvent être un vrai sujet de plaisir, on montre que ce n’est pas quelque chose de douloureux » explique Sophie Vercelletto du fonds de dotation Explore qui héberge le Low-tech Lab. L’idée est de rendre les low tech « désirables » et de créer des « imaginaires positifs », selon de Chatelperron.
Les enjeux à venir sont nombreux. Comment intégrer les low tech dans des formations dans les écoles, lycées, universités et écoles d’ingénieur ? Comment casser le stéréotype de l’homme bricoleur et encourager plus de femmes à se lancer dans les low tech ? Comment retravailler l’esthétique et le design d’objets qui ont souvent une image de « garage », de bricolage ? Ces questions restent pour l’instant ouvertes.
Territorialiser les low tech
Les deux projets emblématiques du Low-tech Lab maintenant terminés, une question taraude l’assistance du Festival : quelles suites ? Pour l’infatigable Corentin de Chatelperron, l’aventure se poursuit fin 2022 avec le projet Biosphère 2 au Mexique. Accompagné de Caroline Pultz, architecte de formation, ils vont tester pendant quatre mois en milieu aride une trentaine de low tech autour de l’eau, de l’énergie et de la nourriture.
En Bretagne, le Low-tech Lab se tourne maintenant vers une activité davantage politique et collabore avec des acteurs publics et privés qui ne sont pas forcément sensibilisés à ces technologies. Dans un projet financé par l’ADEME, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, avec une vingtaine d’acteurs – dont un hôpital, des mairies, une école maternelle, un parc d’attraction, un hôtel, des associations et une brasserie - l’objectif affiché est « d’expérimenter de nouveaux fonctionnements d’organisation et de développement des low tech à l’échelle d’un territoire ». Suite aux expérimentations « hors sol » et au retour du Nomade des Mers, le défi pour le futur sera, en un mot, de territorialiser les low tech.